Intervention de Didier Mandelli

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 24 janvier 2018 à 9h00
Proposition de loi relative au développement durable des territoires littoraux — Examen du rapport et du texte de la commission en première lecture

Photo de Didier MandelliDidier Mandelli, rapporteur :

Ce texte semble peut-être familier à certains d'entre vous. Il vise en effet à relancer le processus d'examen des dispositions de la proposition de loi n° 3959 portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique, déposée à l'Assemblée nationale en juillet 2016 et adoptée en première lecture au Sénat en janvier 2017.

En deuxième lecture, le texte transmis par l'Assemblée au Sénat n'avait pas pu être examiné, compte tenu de la suspension des travaux parlementaires.

Au Sénat, Michel Vaspart avait été rapporteur de notre commission, et Philippe Bas avait été nommé rapporteur pour avis de la commission des lois. Je tiens à saluer la qualité de leur travail d'alors, et leur implication sur ce nouveau texte, le président Bas étant à nouveau rapporteur pour avis. Nous avons travaillé en étroite collaboration et plusieurs amendements que nous examinerons dans un instant font l'objet de propositions identiques de nos deux commissions.

La présente proposition de loi reprend l'essentiel du précédent texte dans la rédaction adoptée par le Sénat en première lecture.

Elle vise à mieux prendre en compte les effets du changement climatique sur l'érosion et l'élévation du niveau de la mer, afin de concilier le phénomène de recul du trait de côte avec le développement d'activités dans les territoires littoraux.

Je rappelle que le trait de côte représente environ 5 800 km pour la France métropolitaine et près de 10 000 km pour les outre-mer, et on estime qu'un quart de la côte en métropole connaît un phénomène d'érosion marquée, auquel s'ajoute l'élévation du niveau de la mer, accélérée par le changement climatique.

L'objectif principal du texte est d'intégrer et de gérer ce phénomène en améliorant l'information des acteurs locaux et en sécurisant juridiquement leurs activités. Il s'agit également de permettre aux collectivités territoriales de mener des opérations de recomposition spatiale, en tenant compte du recul à venir du trait de côte.

Pour cela, le texte prévoit la création d'une série d'instruments nouveaux, notamment de stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte, de zones d'activité résiliente et temporaire, et d'un nouveau type de bail immobilier.

Par ailleurs, le texte reprend un ajout du Sénat dans la précédente proposition de loi, permettant de déroger au principe d'urbanisation en continuité de l'urbanisation existante, sous certaines conditions.

Bien que le présent texte reprenne fidèlement la précédente proposition de loi, j'ai souhaité mener une nouvelle série d'auditions avec les principales parties prenantes, et j'ai effectué deux déplacements, dans le Finistère et en Vendée, afin de prendre la mesure exacte des difficultés rencontrées dans les territoires littoraux et d'entendre les observations de chacun sur ce texte, qu'il s'agisse d'élus locaux, de professionnels, d'usagers ou de représentants associatifs engagés en faveur de l'environnement. Des délais contraints ne m'ont malheureusement pas permis de faire des déplacements dans d'autres territoires littoraux.

Je rappelle que notre commission avait adopté en 2014 un rapport très complet sur l'application de la loi Littoral présenté par nos collègues Odette Herviaux et Jean Bizet. Ce travail, que je salue, a fait date en établissant un constat clair, équilibré et transpartisan sur les difficultés et les défis rencontrés dans les territoires littoraux, qui a directement nourri le texte que nous examinons aujourd'hui.

Comme ce point a été évoqué lors des auditions, je précise dès à présent qu'une meilleure prise en compte du recul du trait de côte dans l'aménagement du littoral n'implique aucunement de renoncer à lutter par ailleurs contre ce phénomène, par des investissements et des ouvrages de défense contre la mer à la hauteur des enjeux.

Ce n'est pas l'objet du texte mais c'est un sujet indissociable, pour lequel nous souhaitons une présence et un soutien forts de l'Etat car il s'agit d'une mission véritablement régalienne, de protection des populations et des biens. Il est indispensable d'avancer sur les deux fronts à la fois.

J'ajoute que les pouvoirs publics doivent impérativement agir de concert et mettre en cohérence leurs initiatives. Lors d'un déplacement, j'ai été alerté de décisions de l'État autorisant des prélèvements massifs de granulats ayant pour conséquence d'amplifier fortement l'évolution du trait de côte, cette fois-ci en raison de facteurs humains, alors que les élus locaux, qui n'en ont pas été informés, s'employaient à la limiter ! Une meilleure coopération doit permettre de prévenir de telles incohérences.

Je vous propose à présent de vous présenter synthétiquement le contenu du texte, dont les dispositions sont réparties entre trois chapitres.

Le chapitre Ier comprend un article 1er unique, qui prévoit l'élaboration par l'État d'une stratégie nationale de gestion du trait de côte, servant de cadre de référence. Il prévoit également l'élaboration facultative par les collectivités de stratégies locales sur ce sujet, afin de mettre en oeuvre les principes de la stratégie nationale, et de proposer, le cas échéant, l'établissement d'un zonage dédié pour gérer ce phénomène.

Le chapitre II comprend les articles 2 à 8.

L'article 2 - c'est nouveau - définit le recul du trait de côte : il s'agit d'un déplacement vers l'intérieur des terres de la limite du domaine maritime en raison de l'érosion côtière ou de l'élévation permanente du niveau de la mer. Cet article permet donc de préciser le phénomène qui motive l'ensemble du texte.

L'article 3 prévoit de rendre éligible à une indemnisation par le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), également appelé « fonds Barnier », les propriétaires de l'immeuble du Signal, à Soulac-sur-mer en Gironde, devenu emblématique des difficultés en matière de gestion du recul du trait de côte. La spécificité de cet article est qu'il concerne une affaire en cours d'examen devant le Conseil d'Etat, ce dernier ayant récemment transmis une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

L'article 4 intègre aux plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN) une évaluation du risque de recul du trait de côte et prévoit la possibilité de délimiter des zones d'activité résiliente et temporaire (ZART) sur proposition d'une collectivité ou d'un groupement concerné. Le PPRN précisera alors la durée maximale pendant laquelle des constructions, ouvrages, aménagements ou exploitations peuvent être réalisés, utilisés, exploités ou déplacés dans les ZART. Ce zonage pourra être assorti d'interdictions ou de prescriptions.

En cohérence avec ce mécanisme, l'article 5 prévoit, lorsqu'une stratégie locale de gestion intégrée du trait de côte a été élaborée et portée à sa connaissance, que le préfet de département décide si une révision ou une modification du PPRN est nécessaire.

L'article 6 prévoit, à titre général, que le préfet transmet aux collectivités un document relatif aux caractéristiques, à l'intensité et à la probabilité des risques naturels existants, dans le cadre du « porter à connaissance » en matière d'urbanisme.

La bonne information des différents acteurs économiques est essentielle pour intégrer le phénomène du recul du trait de côte. L'article 7 impose donc au vendeur ou au bailleur d'un bien situé dans une ZART d'informer l'acheteur ou le preneur de la durée pendant laquelle les constructions, ouvrages, aménagements ou exploitations peuvent être réalisés, utilisés ou exploités au regard du risque de recul du trait de côte.

Quant à l'article 8, il prévoit qu'en l'absence d'objectifs de gestion du trait de côte dans les SRADDET, les schéma régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires, les schémas de cohérence territoriale prennent en compte les objectifs fixés par la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte.

Le chapitre III est constitué des articles 9 à 19, qui comprennent des dispositions plus diverses.

L'article 9 permet de déroger au principe d'urbanisation en continuité de l'urbanisation existante dans les communes littorales dans plusieurs cas : pour densifier les hameaux, pour relocaliser des constructions dans le cadre d'une ZART, pour réaliser des constructions ou installations liées aux activités agricoles et forestières ou aux cultures marines, ou pour établir des annexes de taille limitée.

Cet article a soulevé des réactions qui me semblent disproportionnées par rapport à l'objet véritable du texte. En effet, ces opérations sont strictement encadrées.

Tout d'abord, elles ne peuvent pas cibler les espaces proches du rivage. Par ailleurs, elles doivent faire l'objet d'une autorisation par l'autorité compétente de l'Etat, après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, et elles ne peuvent être autorisées si elles portent atteinte à l'environnement ou aux paysages. Enfin, elles n'ouvrent pas de droit ultérieur à une extension de l'urbanisation.

Ces nombreux garde-fous permettront de prévenir les risques de dérives. Il me semble donc très inapproprié de prétendre qu'il s'agit par cet article de permettre un « bétonnage du littoral », comme nous avons pu parfois le lire ou l'entendre lors des débats sur le précédent texte. Aucun d'entre nous ne souscrit à cette vision et nous avons tous en partage le souhait de préserver le patrimoine naturel du littoral.

Par ailleurs, les auteurs de la présente proposition de loi, et Michel Vaspart au premier chef, ont été à l'écoute des parties prenantes, en ne reprenant pas une disposition adoptée lors de l'examen du précédent texte qui permettait la création de zones d'activités économiques mais qui avait soulevé des inquiétudes. Cela montre, je crois, l'esprit d'ouverture qui guide l'intention du législateur sur ce sujet.

Il nous semble néanmoins indispensable de faire évoluer l'état du droit, car les difficultés dans les territoires littoraux sont réelles, nombreuses et durent depuis trop longtemps. Je rappelle que plus de 1 200 communes sont soumises au régime de la loi littoral, y compris les communes accueillant des lacs de plus de 1 000 hectares, et ce sur l'ensemble de leur territoire, y compris les zones rétro-littorales éloignées du rivage. Nous aurons sans doute l'occasion d'en reparler lors de l'examen de cet article.

L'article 10 précise les motifs d'élargissement de la bande littorale (dite « bande des 100 mètres ») dans le cadre d'un Plan local d'urbanisme (PLU), en y ajoutant la prévention des risques naturels liés à la submersion marine. Cet ajout, consensuel lors du précédent texte, vise à intégrer une préconisation du rapport de nos collègues Odette Herviaux et Jean Bizet.

L'article 11 procède à une coordination concernant les dispositions à viser en matière d'enquête publique préalable à une modification de la servitude de passage longitudinale, qui vise à assurer la circulation des piétons le long du littoral. L'objectif est de sécuriser juridiquement ces procédures.

L'article 12 vise à intégrer l'exposition aux risques naturels dans le processus d'évaluation environnementale, afin d'améliorer la prise en compte de ces enjeux lors de l'autorisation des projets.

L'article 13 permet au département de déléguer son droit de préemption au titre des espaces naturels sensibles à un établissement public foncier de l'État. Cette faculté vise à tenir compte des territoires qui ne comprennent pas d'établissement public foncier local.

L'article 14 prévoit que les immeubles du domaine privé de l'Etat, des collectivités territoriales et de leurs groupements, et des établissements publics fonciers, situés dans une ZART sont inaliénables, en ne permettant que des cessions ou des échanges entre personnes publiques.

L'article 15 permet de recourir à des actions ou opérations d'aménagement, des opérations de préemption et de réserves foncières afin de réduire la vulnérabilité des territoires face au risque de recul du trait de côte. L'objectif est de prévoir la mobilisation d'outils classiques à disposition des collectivités pour réaménager les territoires affectés par le recul du trait de côte.

L'article 16 crée un nouveau type de bail, le bail réel immobilier littoral, dit « BRILi », destiné à prendre en compte le risque de recul du trait de côte dans les zones d'activité résiliente et temporaire (ZART) tout en permettant d'y développer des activités.

Ce bail sera ouvert aux personnes publiques disposant de biens dans ces zones caractérisées par une certaine précarité de l'occupation et des constructions existantes ou nouvelles. Il doit permettre aux personnes publiques de valoriser ces biens tout en apportant des garanties au preneur de ce bail réel, lui-même en mesure de consentir un bail sur le bien concerné.

L'article fixe les droits et obligations du bailleur et du preneur, en tenant compte des cas où le recul du trait de côte se réaliserait de manière anticipée par rapport au contrat.

Afin de renforcer l'attractivité de cet outil, l'article 17 applique aux entreprises nouvellement créées et signataires d'un BRILi les exonérations fiscales prévues pour les zones de revitalisation rurale (ZRR).

L'article 18, porte sur l'éligibilité au « fonds Barnier », et comprend deux volets.

Le premier vise à rendre les expropriations de biens exposés aux mouvements de terrain côtiers éligibles à une indemnisation par le fonds.

Le second volet permet de mobiliser le fonds pour les acquisitions de biens lors d'une opération d'aménagement pour réduire la vulnérabilité au recul du trait de côte, pour mener certains travaux de démolition ou de limitation d'accès dans le cadre d'une ZART, et pour indemniser les éventuelles pertes liées à la réalisation anticipée du risque de recul du trait de côte dans un BRILi.

Enfin, l'article 19 reprend une disposition adoptée dans la précédente PPL en vue de permettre aux départements de soutenir financièrement les comités des pêches et les comités de la conchyliculture.

Ce texte ayant été adopté dans cette version par le Sénat il y a tout juste un an, avec de nombreux points de convergence avec l'Assemblée nationale, je vous proposerai d'y apporter plusieurs ajustements, sans remettre en cause son économie générale.

Parmi les amendements que nous examinerons dans un instant, je vous proposerai à l'article 8 de préciser l'articulation entre l'élaboration des SRADDET et la prise en compte par les SCoT des objectifs en matière de recul du trait de côte. Un amendement visera par ailleurs à supprimer l'article 6 qui est redondant avec ce que prévoit déjà le code de l'urbanisme en termes d'information des collectivités territoriales sur les risques naturels auxquels leurs territoires sont exposés.

S'agissant de l'urbanisation en discontinuité, à l'article 9, je ne vous proposerai pas de modification à ce stade, car la rédaction me semble équilibrée, entre possibilités nouvelles et modalités d'encadrement, et je sais que nombre d'entre vous sont attachés à maintenir l'équilibre existant.

Je vous proposerai une réécriture de l'article 12 relatif à l'intégration des risques naturels dans le processus d'évaluation environnementale, afin de procéder à une modification plus opérante que celle actuellement prévue dans le texte.

Par ailleurs, je vous proposerai de supprimer l'article 14, qui prévoit de rendre inaliénables les immeubles du domaine privé des personnes publiques situés dans une ZART. Cette disposition me semble excessivement contraignante, pour les collectivités territoriales comme pour l'Etat, et risque d'avoir un effet contre-productif en dissuadant les parties prenantes d'utiliser ce nouvel outil.

À l'article 15, je vous proposerai de sécuriser les opérations de préemption dans les ZART en leur apposant une présomption d'utilité publique, peu contestable au regard des objectifs partagés que sont la protection des populations et la protection de l'environnement.

Pour l'article 16 relatif au BRILi, je vous proposerai d'apporter une série de précisions afin de consolider cet outil et l'équilibre entre les obligations du bailleur et du preneur, notamment en fixant les modalités de cession au bailleur des constructions réalisées par le preneur au cours du bail, et en précisant les droits dont dispose le preneur vis-à-vis du bien.

Enfin, je vous proposerai un amendement visant à limiter dans le temps le recours au « fonds Barnier » en vue de mener des acquisitions de biens dans le cadre d'opérations d'aménagement. Il me semble important de fixer un terme à ce dispositif transitoire, afin de pouvoir élaborer un outil plus pérenne de financement.

Voici en substance, les modifications que je vous proposerai sur ce texte, qui doit permettre de répondre concrètement et rapidement à des difficultés qui deviennent critiques pour l'avenir de nos territoires littoraux, avec le souci permanent d'assurer la protection de cet environnement exceptionnel, tout en créant de réelles possibilités de développement.

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