Intervention de Cédric Villani

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 18 janvier 2018 à 10h15
Audition de M. Olivier Le gall président de l'office français de l'intégrité scientifique ofis et de M. Michel Cosnard président du haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur hcéres

Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office :

Merci pour ces commentaires. J'ai bien noté la proposition de Michel Cosnard de présenter le rapport de l'OST sur la position de la France dans les publications scientifiques, un thème important, d'autant plus que l'OPECST a prévu de travailler sur le thème général de la publication scientifique dans ses liens entre science et économie. La transition numérique a permis de grands progrès, mais elle a aussi posé un grand nombre de problèmes économiques, qui ne sont toujours pas résolus et sur lesquels des opinions très diverses s'expriment au niveau international.

J'ai noté le commentaire sur la spécialisation française en mathématiques. Ce sujet m'interpelle naturellement, d'autant que je suis actuellement chargé d'une mission sur l'enseignement en mathématiques qui, lui, n'a pas de quoi pavoiser en France et appelle des réformes urgentes et vitales.

J'ai apprécié l'insistance sur les nouvelles pratiques et les nouveaux enjeux, les nouvelles difficultés qui se posent aussi dans le thème de l'intégrité. La soumission électronique engendre de nouveaux défis. Les communautés scientifiques sont devenues beaucoup plus larges. Le rythme devient effréné. Ces dernières années, on a vu surgir des affaires d'intégrité scientifique impensables auparavant. J'évoquerai notamment cette étonnante affaire de chaîne d'experts et de faux referees qui a amené au retrait d'un grand nombre d'articles scientifiques publiés par l'éditeur Springer. Un auteur soumettait un article tout en donnant une liste de referees potentiels qui étaient, en réalité, la même personne sous de fausses identités. Certains éditeurs scientifiques respectés n'y ont vu que du feu, ayant envoyé, faute de temps, le papier pour expertise à un expert qui n'était autre que l'auteur lui-même. Ce genre de chose, qui constitue une goutte d'eau dans l'océan des publications mondiales, peut ternir, de façon grave, la réputation du secteur et du processus de publication dans son ensemble.

Le sujet a été pris au sérieux. Des sondages sur les pratiques ont permis de mesurer l'ampleur du phénomène, si l'on élargit le périmètre à la zone grise qu'évoquait Olivier Le Gall, à savoir : des données un peu trop sélectionnées, l'auto-plagiat, le manque de rigueur sur l'un des aspects du processus... Au final, certaines enquêtes ont révélé qu'un tiers des personnes interrogées déclaraient s'être livrées à des pratiques qui, même si elles n'étaient pas complètement immorales, n'étaient pas complètement convenables du point de vue de l'intégrité scientifique.

La distinction a été faite entre éthique et intégrité scientifique. Notre ancien collègue sénateur Claude Huriet insistait régulièrement sur cette distinction. L'éthique, c'est quand on est face à deux choix moraux mais contradictoires, qui font appel à des convictions personnelles et constituent souvent un dilemme ; l'intégrité scientifique se situe, en revanche, dans le domaine de la morale, pour lequel on ne peut transiger. Si un chercheur effectue un plagiat, c'est un acte immoral qui doit être puni.

En même temps, il existe des liens forts entre les deux notions et une zone intermédiaire. Certaines questions ne sont pas clairement tranchées. Dans l'affaire Springer, quand un éditeur envoyait un article pour revue à un expert qu'il ne connaissait pas, s'agissait-il d'un problème d'éthique, au sens du manque de rigueur, ou d'un manque de morale ?

Dans une autre affaire, un chercheur chinois avait publié un article sous une identité allemande en espérant surmonter un biais supposé lié à son origine. Ce genre de pratique est-il acceptable dans un contexte d'anonymisation de certaines soumissions ?

Publier trop, à répétition, est-ce moralement ou éthiquement répréhensible, sachant que cela met en tension tout le système ?

Parfois, des affaires extrêmement médiatisées peuvent conduire à la perte de réputation d'une équipe de recherche. Ce fut le cas pour ce chercheur respecté du Riken Institute au Japon, qui s'est suicidé en 2014 suite à la publication d'un article dont les résultats s'appuyaient sur des pratiques non rigoureuses de l'un des membres de son équipe.

Il y a quelques années, un homme politique très respectable avait qualifié de « criminels » certains chercheurs, en particulier dans le domaine des mathématiques financières. Intégrité ou éthique ? Comment la société doit-elle s'emparer des résultats scientifiques ? Où est la chaîne de responsabilités ?

En dehors de ces grandes affaires, il y a le tout-venant, les habitudes du système. J'ai apprécié votre insistance, à l'un et l'autre, sur le fait que c'est un sujet qui doit s'enseigner, auquel il faut sensibiliser, dès le début, nos jeunes et nos chercheurs. Une petite « affaire » peut être la porte d'entrée d'un cas grave. Il convient d'être rigoureux dans l'ensemble.

Vous avez insisté sur le fait que l'OFIS n'est pas un tribunal. Il a un rôle d'animation, d'observatoire, de plateforme, de recommandations. Que faut-il faire quand un cas pose question ? Il y a quelque temps, une collègue en sciences humaines et sociales m'a saisi parce qu'elle estimait que sa thèse avait été plagiée, preuves à l'appui, par une autre thèse qui avait repris certains éléments de ses travaux. Une liste de concordances soulevait de forts soupçons. Nous avons contacté le président de l'université, et celui-ci a mis en place des experts. Mais le nom des experts n'est pas connu, les rapports non plus. De plus, il se dit que l'un des experts consultés était un proche de la directrice de thèse qui faisait l'objet de cette accusation de plagiat. Je n'ai donc aucune garantie sur l'objectivité de cette commission. J'ai le sentiment que mon appel n'a simplement pas été entendu. Que faire dans un tel cas ? Doit-on se tourner vers l'OFIS ? Faut-il aller au pénal, une procédure lourde, complexe et potentiellement dangereuse pour la suite de la carrière ?

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