Intervention de Christophe Lecourtier

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 janvier 2018 à 9h30
Évolution des politiques publiques de promotion des exportations et de l'attractivité de la france auprès des investisseurs étrangers — Audition de M. Christophe Lecourtier directeur général de business france

Christophe Lecourtier, directeur général de Business France :

Je vous remercie de vos aimables paroles, monsieur le président.

Je suis très heureux de retrouver autour de cette table des sénatrices et des sénateurs que j'ai eu l'occasion d'accueillir et d'accompagner en Australie et qui, pour certains d'entre eux - notamment M. Yung -, ont pris part, dans une certaine mesure et autant que possible, à la coconstruction des réformes que j'ai présentées au Gouvernement. On ne peut pas vouloir construire une « équipe de France » si on la conçoit tout seul dans le secret de son bureau.

De fait, le Gouvernement m'a chargé de mettre en oeuvre - et c'est ce qui m'a beaucoup intéressé - une réforme ne portant pas simplement sur Business France, créé il y a trois ans, mais sur notre attractivité, sur l'ensemble de l'écosystème, l'ensemble des acteurs du commerce extérieur, dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils sont nombreux, ce qui pose à nos entreprises un grand problème de lisibilité et d'efficacité.

Ma méthode, à partir du mois d'octobre, a consisté à consulter toutes les parties prenantes : bien sûr les entreprises, les différentes tutelles - ministère des affaires étrangères, ministère de l'économie -, mais aussi les chambres de commerce en France, les chambres de commerce à l'étranger, les acteurs privés, les parlementaires s'intéressant au sujet.

Vous avez souligné que cette méthode a été une des clés du succès français face aux Allemands et aux Japonais dans l'affaire des sous-marins. J'ai essayé là encore de reproduire cette méthode de travail, dans un contexte différent et sur une question différente, qui consiste à écouter les suggestions et les idées des uns et des autres.

Sur le fond, j'ai proposé au Gouvernement - c'est ce qui, je l'espère, sera annoncé le 9 février - une forme de révolution copernicienne dans la manière d'accompagner nos PME à l'export et dans le dispositif.

La révolution s'impose parce que les résultats sont extraordinairement médiocres quand on compare la France aux principaux pays étrangers. Je ne vise pas simplement l'Allemagne - qu'on a toujours en tête et qui est un champion de l'export depuis des générations ; certains disent même qu'elle était un champion de l'export avant d'être une nation unifiée. Je pense par exemple à l'Italie, qui, en quelques années, a réussi à passer d'une situation déficitaire un peu comparable à la nôtre à une situation excédentaire, qui a réussi à remobiliser un très grand nombre de ses entreprises pour les accompagner à l'export et qui compte à ce jour près de 200 000 exportateurs, contre 125 000 en 2016 pour la France.

Ce qui m'a frappé, c'est que pour la première fois depuis une quinzaine d'années, un certain nombre de clignotants sont au vert. Le premier, c'est la croissance qui est revenue en France et qui gonfle les voiles de nombreuses entreprises ; le deuxième, c'est la croissance qui est de retour dans notre environnement européen - je signale que notre balance commerciale est principalement déficitaire avec nos partenaires de la zone euro et de l'Union européenne, la France enregistrant un excédent commercial d'une vingtaine de milliards d'euros avec les zones extraeuropéennes - ; troisième clignotant au vert, la confiance des chefs d'entreprise, d'un point de vue qualitatif, mais aussi du fait de la restauration des marges, résultat d'une série de réformes engagées les années passées et qui commencent à porter leurs fruits.

Vous conviendrez avec moi qu'il est donc inacceptable que les différents acteurs publics - l'opérateur de l'État que nous sommes, les régions, les chambres de commerce et d'industrie, etc. - non seulement ne viennent pas en appui des PME, mais leur nuisent, au contraire, du fait de leur caractère désorganisé et de leur concurrence.

On pouvait peut-être se satisfaire dans des temps beaucoup plus difficiles de l'imperfection de ce dispositif; aujourd'hui, compte tenu de l'éclaircie qu'on observe, il est essentiel que les organismes qui ont pour but de faciliter les exportations des entreprises soient irréprochables.

Cette révolution copernicienne se caractérise par deux autres éléments.

Le premier, c'est qu'on a trop souvent l'impression que chaque organisme est le plus légitime et qu'il détient seul la vérité : nous, drapés dans notre organisation jacobine centralisée, un peu militaire, estimant que nous sommes les seuls à détenir le savoir-faire ; les régions estimant, à juste titre, qu'elles connaissent les entreprises implantées sur leur territoire ; les CCI se voyant comme une organisation dont la gouvernance est assurée par des entrepreneurs élus qui choisissent de dédier une partie de leur vie au service des autres entreprises ; les chambres de commerce à l'étranger jugeant qu'elles sont le reflet des écosystèmes et des communautés d'entrepreneurs locaux, français et étrangers ; les acteurs privés, enfin, qui considèrent l'action publique comme illégitime.

Comme vous le savez, à Byzance, lorsque les Turcs commençaient à saper les murailles de la ville, c'est la querelle autour du sexe des anges qui agitait les hiérarques byzantins avant que Constantinople ne soit envahie. Il faut donc que cette situation change et, pour ce faire, il faut reconnaître que personne, individuellement, ne détient la solution et que si nous travaillons tous de manière coordonnée en reconnaissant à chacun sa légitimité et son efficacité dans son domaine, on doit pouvoir construire cette fameuse équipe.

La clé de l'export, ce n'est pas d'avoir 100 personnes à New York, 150 en Chine. Tout se passe en France. Ma famille maternelle était propriétaire d'une petite PME normande qui est devenue numéro un mondial de la production de barattes à beurre mécaniques et championne du monde à l'export dans les années 70 et 80. J'ai bien compris, dès mon enfance, que le problème du chef d'une PME, c'est qu'il ne savait absolument pas vers qui se tourner dans son territoire pour réfléchir à une stratégie d'internationalisation. De surcroît, il était littéralement agressé par différents interlocuteurs lui proposant tous de lui vendre une mission, un salon, etc. - interlocuteurs dont il ne percevait que l'approche mercantile.

J'ai donc proposé au Gouvernement de structurer d'abord cette fameuse équipe de France dans les territoires, car c'est en France que l'export commence et si l'on veut réussir à l'étranger, il faut d'abord agir en France. C'est peut-être une évidence pour beaucoup d'entre vous, mais ce n'est pas ainsi que nous sommes organisés.

La deuxième chose, c'est que cette proximité ne doit pas se traduire par une avalanche de propositions - aller en Chine, aller au Brésil - ; elle doit principalement consister en une offre de conseil à destination de l'entreprise pour lui permettre, dans un dialogue avec un expert - c'est ce que nous allons faire -, de définir pas à pas une stratégie à l'international, laquelle passe d'abord par un diagnostic des forces et des faiblesses de la PME dans son projet d'internationalisation.

On ne s'engage pas dans une telle démarche sans préalablement s'être posé la question de l'adaptation de son produit au marché international, de sa maturité. Voilà un certain nombre d'années, il existait des programmes surprenants - je reste diplomate - consistant à emmener 5 000 PME en Chine. Mais ce mouvement de 5 000 PME vers la Chine ressemblait à la croisade des pauvres gens, cette croisade dont les participants étaient taillés en rondelles en chemin.

Monsieur le président, vous évoquiez les grandes entreprises du CAC 40, qui n'ont aucune difficulté à aller en Chine. Mais les petits, les obscurs, les sans-grade, qui sont notre raison d'être à 100 %, il faut d'abord les rassurer, les préparer, leur permettre, avant de partir vers un marché donné, de disposer de toutes les informations et de tous les moyens nécessaires pour réussir.

On sait, grâce aux statistiques des douanes, qu'une entreprise sur quatre, et même sur trois, qui exporte une année N, n'exporte plus l'année suivante, tout simplement parce qu'elle s'est pris les pieds dans le tapis. Et une entreprise qui échoue va en « contaminer » une dizaine d'autres en faisant part de son échec. En revanche, une entreprise qui réussit parce qu'elle a été bien préparée, bien conseillée, bien orientée, comme un jeune peut l'être dans le système éducatif ou universitaire, va « contaminer » positivement son environnement.

Pour conclure sur ce point, je dirai que nous avons complètement renversé le modèle en disant que tout va commencer en région, dans la proximité avec les entreprises. Nous allons donc repositionner une grande partie de nos forces pour pouvoir être au contact des entreprises dans les régions. Mais, comme nous agissons dans une logique d'équipe, nous n'allons pas ouvrir notre guichet tout seuls en méconnaissance des acteurs territoriaux ; nous allons agir en pleine cohérence avec les acteurs les plus légitimes des territoires.

Au premier rang de ces acteurs, il y a les chambres de commerce et d'industrie. On peut toujours critiquer tout le monde, et nous-mêmes sommes parfaitement critiquables, mais j'ai acquis la conviction que l'alliance entre Business France et les CCI est une alliance gagnante. Nous avons tous les deux des faiblesses et tous les deux des forces et l'addition de nos forces peut se révéler très puissante. La force des CCI de France, c'est la proximité, la connaissance du territoire, leur caractère généraliste et leurs relations avec les entreprises. Notre force à nous, c'est d'être un outil spécialisé dans l'international. L'union des deux permet de créer une force de contact, de proximité, pour aller voir les entreprises en faisant du porte-à-porte, établir le diagnostic de leur situation à l'export et leur offrir tous les moyens de réussir leur projet.

Le deuxième acteur très important, ce sont évidemment les régions. Je suis toujours un peu étonné que la loi NOTRe, que le Parlement a voté il y a deux ans, n'ait pas davantage marqué les esprits des administrations parisiennes. La vérité, c'est que les régions sont en première ligne dans l'internationalisation des entreprises, dans la promotion de l'attractivité.

Nous allons donc nous déployer en région, mais sous l'autorité des exécutifs régionaux : nous n'allons pas nous implanter tel un parasite sur leur territoire en leur expliquant ce qu'il faut faire. Nous proposerons aux régions que cette force d'hommes et de femmes - nous envisageons de consacrer entre 400 et 450 conseillers à cette activité de porte-à-porte auprès des PME - s'inscrive dans la stratégie des régions. Demain, je serai en Normandie pour lancer avec le président Hervé Morin et les présidents de chambre de commerce et d'industrie normandes un premier pilote.

Puisque sont présents ce matin dans cette salle plusieurs sénateurs représentant les Français établis hors de France, je veux dire un mot de ce qui se passera à l'étranger.

À l'autre bout de la chaîne, à l'étranger, j'engage une forme de révolution en levant un tabou : il est en effet temps de dire qu'il n'y a pas que Business France qui soit capable d'accueillir et d'accompagner l'entreprise sur le terrain. D'autres acteurs ont une légitimité et une efficacité à tout le moins égales, voire supérieures dans certains pays, à la nôtre. J'ai engagé des discussions avec les têtes de réseau des chambres de commerce françaises à l'étranger pour voir dans quelles conditions nous pourrions concéder notre activité à des acteurs privés, dès lors qu'ils le souhaiteraient - il ne s'agit pas d'imposer quoi que ce soit à quiconque - et en auraient la capacité. Je pense à des pays comme l'Espagne, Singapour ou Hong Kong, qui sont des marchés importants. Ces acteurs peuvent être les chambres de commerce françaises à l'étranger. Nous construirons donc à l'autre bout de la chaîne une nouvelle équipe qui sera formée d'une alliance entre Business France et ces chambres de commerce françaises à l'étranger, pour un véritable partenariat public-privé.

J'avais commencé à le faire en Australie, cela avait bien fonctionné, cela a permis le succès de nos couleurs, et je crois qu'on peut le faire aujourd'hui. Votre assemblée sera sensible au fait que cela permettra de faire des économies en allégeant le coût de mon organisation. Surtout, à partir du moment où l'on s'accorde sur la stratégie et les règles, on peut être plusieurs acteurs différents à conduire la même stratégie.

À la fin, nous devrions parvenir à un système infiniment plus efficace pour les entreprises, plus simple, qui s'intégrera parfaitement à la loi NOTRe, sans entraîner les régions - ce qui est toujours un risque - à recréer leurs propres dispositifs parallèles à ceux de la Nation. Nous aurons là un vrai partenariat public-privé au sein de cette équipe de France, réunissant, dans les territoires, les CCI et, à l'étranger, les CCIFE, ainsi que les acteurs privés. Cette construction bénéficiera à tous, personne n'étant éloigné de son territoire de légitimité, chacun étant conforté là où il est et là où il veut être, tandis que les bénéfices au sens collectif du terme seront partagés dans une entreprise qui n'est plus vouée à exacerber les concurrences, mais à servir la Nation à un moment où l'on observe, comme je l'ai dit à tout à l'heure, une éclaircie et où il faut foncer.

En ce qui concerne les structures juridiques, je sais d'expérience qu'il faut d'abord mettre en avant les raisons qu'on peut avoir pour s'engager ensemble, s'accorder sur l'essentiel, avant de soulever la question des structures. Le mal français, ce sont tous ces mécanos : on pose la question des structures et chacun rentre dans sa tranchée, et l'on passe ensuite des mois, des années parfois, à se battre. Et même quand on finit par fusionner les organisations, il reste des cicatrices compte tenu de la façon dont ces rapprochements ont été conduits, si bien que les gens ont du mal à travailler ensemble - c'est un peu ce qu'on observe à Business France.

Mon projet, que j'ai conduit autrefois à Bpifrance, c'est d'associer ces femmes et ces hommes de bonne volonté autour d'une stratégie, celle de « Team France ». Mais il ne faut pas être naïf : il faut pouvoir mesurer l'efficacité de cette association. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé au Gouvernement que cette équipe - les CCI, les régions, les CCIFE et nous-mêmes - se dote d'un système d'information unique, un outil de relation avec les entreprises dans lequel chacun d'entre nous - et nous serons le plus gros contributeur - injectera l'ensemble de ses données.

Chacun pense qu'il est propriétaire des entreprises, de ses clients. À partir du moment où l'on mutualise à la fois la connaissance des PME françaises, la connaissance des marchés, la connaissance des filières, etc., on forme un pot commun qui à la fois rassure et structure l'action des différents acteurs.

Nous allons construire cette sorte de système nerveux qui permettra de relier entre eux des acteurs de nature différente. Cela évite de poser d'emblée la question des structures et cela permet de passer au travail immédiatement.

En Chine, nous allons bien entendu développer le même dispositif. J'ai passé pas mal de temps sur place au contact de la chambre de commerce locale pour étudier avec elle la bonne articulation de notre organisation. Le défi est considérable : le Président de la République l'a dit, nous sommes en partenariat avec un pays dont la valeur ajoutée produite par les entreprises a beaucoup augmenté au cours des dix ou quinze dernières années. À ce jour, la Chine n'est plus simplement l'usine du monde, un pays producteur de biens de consommation pour le compte d'entreprises étrangères - je pense aux téléphones Apple. C'est un pays qui, dans beaucoup de domaines, crée des produits, qui met au point des technologies entrant en concurrence avec les nôtres.

Le problème se pose de l'accès au marché chinois et il existe en la matière une certaine asymétrie. Le Gouvernement mène une diplomatie économique et commerciale en liaison avec l'Union européenne. Nous, nous avons choisi une approche beaucoup plus pragmatique, qu'illustre, comme vous l'avez rappelé, la signature d'un accord avec JD.com, plate-forme de commerce concurrente d'Alibaba. Dans le projet de guichet unique que nous développons avec les CCI et de plateformes numériques qui y seront associées, aux termes de l'accord que j'ai signé moi-même avec son président Richard Liu, nous allons pouvoir référencer sur ce site plusieurs centaines de PME françaises. Notre accord porte sur 2 milliards d'euros d'exportations sur deux ans. Ces PME pourront ainsi vendre vins et spiritueux, cosmétiques, produits de design, etc., autant de produits ayant une forte identité française pour le président de JD.com.

Si l'on arrive à avoir un discours politique aussi clair que celui qu'ont tenu le Président de la République et les ministres et si nous parvenons à nous engouffrer dans la brèche pour proposer des solutions concrètes, pour rééquilibrer nos échanges et permettre un accès plus important des produits français au marché chinois, nous aurons là une stratégie claire et concrète, même si tout ne changera pas en trois jours.

Le Brexit se rapproche à grande vitesse. Nous notons, à travers les actions que nous menons en faveur des entreprises étrangères du secteur financier - mais pas seulement elles - installées en Grande-Bretagne un intérêt croissant pour une relocalisation de tout ou partie de leurs activités sur le continent européen. Beaucoup sont passées de la phase de surprise, de réflexion, à la phase d'action et il est fort probable que, au cours de l'année 2018, énormément de décisions de relocalisation en Europe soient prises - certaines sont déjà intervenues dans le domaine financier.

Aidés de Christian Noyer, ancien gouverneur de la Banque de France, et de Ross McInnes, qui était mon partenaire en Australie et qui se consacre aux entreprises industrielles, nous essayons de convaincre ces entreprises de choisir plutôt la France que l'Allemagne. L'attractivité relative de la France est actuellement à son pinacle pour des raisons évidentes : le Brexit, donc, mais aussi la situation en Allemagne, qui n'est pas encore totalement décantée, les situations en Espagne et en Italie, où se dérouleront des élections dans quelques semaines. Nous avons donc devant nous un boulevard, à charge pour nous de transformer l'essai.

La semaine prochaine, le Président de la République réunira à Versailles, avant Davos, de grands investisseurs étrangers et le succès de cette manifestation inédite - jamais rien de tel n'a jamais été organisé - démontre que tous ces investisseurs regardent vers la France, sont à la fois très heureux de ce qui s'y passe et très désireux de rattraper le retard enregistré ces dernières années, puisque, à tort ou à raison, l'image de notre pays était un peu plus complexe. Nous avons là - et la diplomatie parlementaire y contribue aussi - une occasion fantastique de modifier significativement l'orientation des courbes et de remettre la France dans le vent. Il est essentiel pour le rétablissement de notre économie, en nous appuyant sur les réformes qui ont été conduites ces dernières années, que nous profitions, plus que dans le passé, de cette situation pour gagner davantage à l'international.

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