Le rôle des ONG est aujourd'hui très difficile. Elles sont perçues localement comme étant biaisées, et uniquement sur le terrain pour apporter de l'aide aux populations musulmanes. Elles ne sont donc pas acceptées par les Arakanais ni par le gouvernement.
Le travail de réappropriation, de réconciliation, d'explications est en cours, mais il est très compliqué.
Comment les parlementaires peuvent-ils apporter leur aide ? Je parle là sous le contrôle de notre ambassadeur : un groupe d'amitié Birmanie-France a été créé par la chambre basse juste avant la transition. Je ne sais pas s'il a été reconduit.
Tout échange avec les parlementaires est utile, notamment pour rappeler que la Birmanie ne doit pas être réduite à cette crise, aussi grave soit-elle. Nous avons le devoir d'accompagner ce pays dans la poursuite de sa transition démocratique et dans sa construction économique.
Les Nations unies jouent un rôle clé. Le problème vient du fait que la confiance a été rompue entre cette organisation et la Birmanie.
Or la seule façon de faire avancer la situation et de faire en sorte que cet accord ne soit pas un acte manqué est d'impliquer la communauté internationale - ce que les Birmans acceptent difficilement.
Il faut trouver la voie - et ce n'est pas simple - d'une réconciliation, d'une explication, en démontrant au gouvernement birman que les Nations unies ne sont pas là pour s'ingérer dans ses affaires, mais au contraire pour accompagner le mouvement en cours.
L'ASEAN a également un rôle à jouer. Pour l'instant, compte tenu de sa ligne, celle-ci ne s'ingère pas dans les affaires de la Birmanie. La garantie de la mise en oeuvre d'un accord avec le Bangladesh repose sur l'implication de la communauté internationale et des Nations unies. La voie est étroite. Le gouvernement birman a refusé l'entrée de la représentante spéciale des Nations unies pour les droits de l'homme.
Je pense que la France doit faire comprendre la nécessité du rôle que doit jouer la communauté internationale.
Notre implication en Birmanie, notre aide au développement et nos ambitions en matière économique ne sont absolument pas liées ni conditionnées à la situation actuelle. Je crois l'avoir dit : nous faisons une claire distinction - même si cela paraît parfois difficile -entre ce que font les militaires, les forces de l'ordre, à qui nous imputons clairement la responsabilité de la situation, et le gouvernement d'Aung San Suu Kyi, qui dispose d'une marge de manoeuvre extrêmement étroite.
Aung San Suu Kyi a effectivement longtemps été considérée - à tort - comme une icône : c'est avant tout une femme politique comme elle le rappelle régulièrement elle-même qui oeuvre pour son pays dans un contexte particulièrement difficile! Cette approche pragmatique est une voie médiane. Il n'y a pas aujourd'hui pour la Birmanie d'alternative à Aung San Suu Kyi. Qu'en est-il de la visite du pape ? Le pape était sur cette ligne. Il a en effet été, au Bangladesh, bien plus allant sur le sujet qu'en Birmanie. Un mot jugé excessif de la part du pape aurait été susceptible d'enflammer la situation, d'autant que la situation des chrétiens en général et des catholiques en particulier en Birmanie est loin d'être enviable.
Le pape avait programmé son voyage pastoral à la fois en Birmanie et au Bangladesh indépendamment de la situation des Rohingyas : il venait de nommer deux cardinaux dans les deux pays, mais la situation des chrétiens, qui constituent une toute petite minorité, est également extrêmement délicate.
L'accord n'inaugure-t-il pas de nouvelles crises ? Comme je l'ai indiqué, la précipitation dans laquelle les deux pays ont souhaité le conclure résulte de pressions nationales. Le Bangladesh ne veut et ne peut supporter une telle population sur une longue durée, compte tenu de son niveau de développement.
La pression est donc très forte pour rapatrier les Rohingyas, sans qu'il n'existe de plan pour la suite. Du côté birman, la pression internationale amène le pays à se diriger à contrecoeur vers cette solution.
J'entends votre remarque : pourquoi les rapatrier, quel est leur avenir ? La loi sur la nationalité de 1982 est toujours en vigueur. Les Rohingyas doivent prouver qu'ils sont présents dans le pays depuis 1823 au moins. Ils n'ont pas de papiers : que va-t-il se passer ? Il existe un grand point d'interrogation quant à la suite.
Que signifie le terme de « libanisation » que j'ai employé ? Outre la confrontation des communautés, qui risque malheureusement de se développer, vient se greffer une revendication ancienne, apparue dans les années 1950, sur la création d'une entité autonome rohingyas, ce dont la Birmanie ne veut bien sûr pas. C'est la raison pour laquelle la Birmanie nouvellement indépendante avait refusé de leur reconnaître un statut particulier.
Revendication territoriale, autonomie, voire indépendance, conflit entre le Bangladesh et la Birmanie autour de cette zone frontalière très instable et poreuse : il y a là tous les ferments d'une situation complexe qui en rappelle d'autres.
Qu'en est-il du reste ? Je vous confirme que, de notre point de vue, aussi grave que soit cette crise - et elle est dramatique - la Birmanie ne se résume pas à cela. J'ai vécu sur place durant près de cinq ans. Je partage avec vous la conviction que ce pays est un pays d'avenir. Nous sommes par exemple engagés dans le développement de Rangoun et dans l'aménagement de cette ville.
Notre marge de manoeuvre est cependant extrêmement étroite, dans un contexte qui nous amène à accompagner la transition démocratique, que nous souhaitons, et à supporter le développement économique. En 2015, on pensait à tort que la Birmanie était un nouvel Eldorado. Les opportunités y sont certes considérables, mais tant que les fondamentaux ne seront pas réglés, la question birmane sera toujours en devenir. La capacité de ce pays à se développer reste donc aujourd'hui posée.