Intervention de Julian King

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 18 janvier 2018 à 9h30
Audition de M. Julian King commissaire européen pour l'union de la sécurité

Julian King, commissaire européen pour la sécurité de l'Union :

Messieurs les présidents, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cette invitation. C'est pour moi toujours un plaisir de vous rendre visite.

Le président Juncker considère que le développement de relations plus étroites avec les parlements nationaux est une priorité, et je soutiens totalement cet engagement. La Commission européenne doit davantage rendre compte aux Parlements nationaux et notre processus politique doit être plus efficace et plus transparent. C'est lors d'échanges tels que celui que nous avons aujourd'hui que ces relations peuvent se développer.

Je vous remercie également pour vos excellents rapports sur les sujets relatifs à la sécurité, notamment sur l'espace Schengen et sur la lutte contre la radicalisation en France. La Commission apprécie vivement ces contributions et en tient compte au cours du processus législatif.

Ces dernières années, la France a été durement touchée à plusieurs reprises par des attaques terroristes, ainsi que de nombreux autres pays européens. Mes pensées vont ici tout d'abord aux victimes de ces attaques et à leurs proches.

L'Union européenne a adopté des mesures de soutien aux victimes dans le cadre de la directive relative à la lutte contre le terrorisme, en se fondant notamment sur des mesures prises par la France.

Beaucoup a été fait en France pour renforcer la sécurité intérieure. La France a pris des initiatives à l'échelle européenne sur ce sujet. En effet, si les États membres restent en première ligne pour assurer la sécurité de leurs citoyens, l'Union européenne peut leur apporter un soutien et des outils afin de renforcer la protection. Les citoyens européens, à plus de 80 %, demandent d'ailleurs à l'Europe d'en faire plus dans ce domaine.

C'est dans ce cadre que le président Juncker a décidé de créer le poste de commissaire pour l'Union de la sécurité. C'est aussi pour cette raison que, l'an dernier, les présidents du Parlement, du Conseil et de la Commission ont fait de la sécurité l'une des priorités législatives à l'échelon européen pour les deux années à venir. En septembre, un sommet informel des chefs d'États européens consacré à la sécurité se tiendra à Vienne.

Je pense que nous pouvons dire aujourd'hui que des progrès concrets ont été faits depuis dix-huit mois pour renforcer la sécurité de nos citoyens et faire en sorte qu'il devienne plus difficile pour les terroristes de nous attaquer. Beaucoup reste à faire cependant.

J'évoquerai maintenant les principales avancées visant à instaurer une réelle Union de la sécurité.

Premièrement, nous avons renforcé les contrôles aux frontières extérieures de l'espace Schengen. L'espace Schengen constitue une des réalisations majeures de l'intégration européenne. Cela étant dit, les défis migratoires et sécuritaires que nous connaissons ont révélé des failles dans le fonctionnement de cet espace, qui ont exigé des adaptations et la mise en place de nouveaux instruments visant à renforcer la coopération au sein de l'espace Schengen et la sécurisation de ses frontières. Ainsi, le PNR, que la France a mis en oeuvre dans sa récente loi antiterroriste, permet de contrôler les mouvements des personnes voyageant par avion depuis et vers l'Union européenne. La Commission apporte un soutien, y compris financier, aux États membres afin de les aider à mettre en place leur PNR avant mai prochain.

Aujourd'hui, plus de 1 700 officiers du nouveau corps de gardes-frontières et de garde-côtes soutiennent les 100 000 gardes-frontières nationaux des États membres à nos frontières extérieures, en Grèce, en Italie, en Espagne ou en Bulgarie.

Depuis le mois d'avril dernier, des contrôles systématiques ont été mis en place à nos frontières extérieures afin que chaque personne entrant et sortant de l'espace Schengen soit contrôlée dans les bases de données sécuritaires européennes. La France été pionnière dans ce domaine et a mis en place de tels contrôles dès novembre 2015.

La Commission européenne a proposé, et les États membres ont récemment accepté, la mise en place d'un système d'enregistrement à l'entrée et à la sortie du territoire européen des ressortissants d'États tiers. Nous avons également proposé la mise en place d'un ESTA européen, à l'image du système électronique d'autorisation de voyage des États-Unis, qui permettra d'effectuer des vérifications concernant les ressortissants des États tiers dispensés de visas afin de pouvoir détecter en amont ceux d'entre eux qui pourraient poser un risque migratoire ou sécuritaire.

Deuxièmement, nous avons renforcé l'échange d'informations entre les États membres, ainsi que la coopération entre nos services de sécurité et de renseignement. L'utilisation par les forces de sécurité européennes des données du système d'information Schengen, qui comprend les informations sur les personnes et les objets recherchés, a augmenté de plus de 40 %. En 2016, 4 milliards de requêtes ont été effectuées par les États membres dans le Système d'information Schengen (SIS) qui contient actuellement 75 millions d'alertes. La France est l'un des premiers contributeurs au SIS, avec plus de 11 millions d'alertes au 1er janvier 2018.

Nous avons proposé une réforme du SIS, laquelle est en cours de négociation, afin de le renforcer. Il s'agirait par exemple de rendre obligatoire la notification par les États membres d'alertes relatives au terrorisme dans le SIS, ou encore de renforcer l'utilisation de la biométrie.

En décembre dernier, nous avons adopté de nouvelles mesures visant à renforcer l'interopérabilité de nos systèmes de gestion des frontières et des migrations afin qu'ils fonctionnent ensemble de manière plus efficace. Ces mesures devraient permettre de mieux détecter les personnes suspectes et de mettre un frein à l'utilisation d'identités multiples, pratique à laquelle ont eu recours par exemple les auteurs des attaques de Marseille et de Berlin.

La coopération entre les services de police des États membres est plus intense aujourd'hui. Nous avons mis en place au sein d'Europol un centre dédié à la lutte contre le terrorisme. Ce centre a apporté un soutien opérationnel à la France et à la Belgique à la suite des attaques terroristes, ainsi qu'à d'autres États membres attaqués depuis. Au total, ce centre a soutenu environ 175 opérations dans les États membres l'année dernière.

Bien que cela ne relève pas de la responsabilité de l'Union européenne, j'aimerais ici évoquer brièvement le renforcement de la coopération entre les services de renseignement, à travers le groupe antiterroriste (GAT), qui réunit régulièrement les services de renseignement des vingt-huit États membres, et auquel j'ai l'honneur de pouvoir participer. Le GAT s'est même doté d'une plate-forme physique d'échange d'informations, située aux Pays-Bas. Il est important de le souligner, car nombreux sont encore ceux qui estiment qu'il n'existe aucune coopération européenne en matière de renseignement. C'est tout simplement faux ! À l'échelon européen, nous travaillons désormais à renforcer la coopération entre le GAT et Europol.

Troisièmement, nous avons restreint le périmètre d'action des terroristes en limitant leurs moyens d'action et en renforçant notre résilience.

La nouvelle directive sur les armes à feu, qui a été proposée par la Commission européenne immédiatement après les attentats de Paris en novembre 2015 et qui a été adoptée l'année dernière, prévoit des contrôles plus stricts de l'acquisition et de la détention d'armes à feu, en particulier pour éviter une utilisation détournée par des organisations criminelles ou des terroristes. Nous avons notamment renforcé les critères de désactivation des armes à feu, car les terroristes ayant commis l'attentat contre Charlie hebdo avaient utilisé des armes à feu mal désactivées.

La lutte contre les trafics illégaux d'armes à feu a été intensifiée, notamment dans les Balkans. Europol joue un rôle important dans ce cadre.

Nous avons également adressé des recommandations aux États membres en octobre dernier afin que la vente de substances dont l'utilisation peut être détournée pour fabriquer des explosifs artisanaux, comme le TATP, soit mieux contrôlée. En avril prochain, la Commission proposera une révision du règlement de l'Union européenne sur les précurseurs d'explosifs afin de durcir les restrictions et les contrôles sur ces substances.

Dans la directive relative à la lutte contre le terrorisme, nous avons érigé en infractions pénales des actes tels que le financement du terrorisme, le fait de dispenser ou de recevoir un entraînement au terrorisme ou de voyager à des fins de terrorisme.

En outre, pour lutter contre le financement du terrorisme, la Commission a présenté trois propositions, actuellement en cours de négociation, visant à compléter le cadre juridique concernant le blanchiment de capitaux, les mouvements illicites d'argent liquide ainsi que le gel et la confiscation d'avoirs. L'accord politique récemment trouvé sur la cinquième directive anti-blanchiment rendra obligatoire dans tous les États membres la mise en place de registres bancaires centralisés.

La Commission européenne fera de nouvelles propositions en avril prochain afin de faciliter l'accès des forces de l'ordre à ces registres. Nous voulons aussi renforcer la coopération entre les unités de renseignements financiers de chaque État membre.

Les espaces publics ont été le théâtre des récentes attaques terroristes, que ce soit à Berlin, Nice, Barcelone, Manchester, Stockholm ou Londres. Il nous faut renforcer notre résilience face à ce type d'attaque. C'est dans ce cadre que la Commission a proposé un plan d'action comprenant un volet d'appui financier à hauteur de 120 millions d'euros afin de soutenir les villes et les territoires désireux de mettre en place des éléments de protection des espaces publics, tout en conservant leur nature ouverte. Un appel à projets a déjà été lancé et j'encourage les villes et les territoires à y participer.

Afin de renforcer l'échange de bonnes pratiques dans ce domaine, nous avons également mis en place un Forum des exploitants d'espaces publics visant à encourager les partenariats public-privé dans le domaine de la sécurité et à favoriser les échanges avec les exploitants privés, tels que les gestionnaires de centres commerciaux, les organisateurs de concerts, les gestionnaires d'installations sportives et les sociétés de location de voitures.

La Commission européenne organisera le 8 mars prochain à Bruxelles, en lien avec le Comité des régions, une conférence des maires des villes européennes sur la protection des espaces publics. Cette conférence fait suite à la conférence de Nice de septembre dernier et à la déclaration qui y a été adoptée.

S'il est essentiel de restreindre les moyens d'action des terroristes, il nous faut aussi travailler en amont afin de prévenir et de combattre les phénomènes de radicalisation. Nous pouvons nous féliciter des défaites de Daech sur le terrain en Syrie et en Irak, mais force est de constater que son idéologie continue malheureusement de se propager, notamment en ligne.

C'est pourquoi, et ce sera mon quatrième point, nous agissons davantage en amont afin de lutter contre la radicalisation en ligne et dans nos communautés. Depuis 2015, nous avons mis en place un Forum européen de l'internet, rassemblant les États membres et les opérateurs internet, afin de travailler ensemble sur le retrait des contenus en ligne. Des progrès ont été faits dans ce domaine, grâce notamment à l'utilisation d'outils de détection automatique par les entreprises de l'internet.

Nous devons cependant aller plus loin : il faut que les contenus terroristes soient retirés dans des délais plus rapides, voire qu'ils ne soient plus mis en ligne du tout. La Commission européenne analysera dans les mois à venir les progrès. Nous sommes prêts, si cela est nécessaire, à légiférer sur ce sujet.

Il est également important de promouvoir des contre-discours en ligne. Dans ce cadre, nous avons mis en place un programme européen afin d'aider nos partenaires de la société civile à élaborer des récits alternatifs positifs.

Il nous faut également apporter un soutien à la lutte contre la radicalisation dans nos communautés. Ainsi, la Commission européenne a mis en place depuis quelques années un réseau européen de sensibilisation à la radicalisation, le RAN, pour Radicalisation Awareness Network. Ce réseau a pour mission d'apporter un soutien aux acteurs locaux en les aidant à développer des stratégies et des mécanismes adaptés. Il a ainsi produit un manuel sur les retours et la prise en charge des combattants terroristes étrangers et de leurs familles, en particulier de leurs enfants. Il s'agit d'un sujet sensible, sur lequel une coopération européenne est nécessaire.

Nous voulons aller plus loin. C'est pourquoi nous avons mis en place un groupe d'experts de haut niveau sur la radicalisation, afin de renforcer les liens entre les praticiens de terrain et les politiques. Ce groupe a récemment proposé une série de recommandations à la Commission européenne sur la lutte contre la radicalisation, notamment en prison.

L'actualité récente en France dans ce domaine nous démontre encore une fois la sensibilité et la complexité de cette question. Il est essentiel de partager les expériences à l'échelon européen. La Commission européenne organisera donc le 27 février prochain, en lien avec la présidence bulgare, une conférence sur l'échange de bonnes pratiques entre les juges, les procureurs, et le personnel des prisons sur la question de la radicalisation en prison. La Commission fournira également un appui financier afin de renforcer les formations dans ce domaine. Enfin, le RAN prépare une version révisée de son manuel sur la lutte contre la radicalisation en prison.

Cinquièmement, nous travaillons étroitement avec nos partenaires dans les pays tiers. Les déstabilisations à l'extérieur de nos frontières ont nécessairement des effets internes. C'est pourquoi il est aussi dans notre intérêt d'aider nos partenaires dans la lutte contre le terrorisme et la radicalisation chez eux. L'Union européenne a renforcé sa coopération avec le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, les Balkans occidentaux, la Turquie, le Sahel et la Corne de l'Afrique, grâce à un dialogue politique renforcé, à un plus grand nombre de projets et à un soutien financier accru aux mesures prises pour lutter contre le terrorisme, combattre et prévenir l'extrémisme violent.

Ainsi, au 1er janvier 2017, l'Union européenne avait engagé plus de 2 milliards d'euros dans environ 600 projets ayant trait à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. Nous avons également déployé depuis deux ans des experts en sécurité dans nos délégations de l'Union européenne dans treize pays tiers. Les agences de l'Union européenne, comme Europol, Frontex, Eurojust ou CEPOL, l'agence de formation des polices, ou encore le RAN, apportent également un soutien aux pays tiers prioritaires.

Bien entendu, nous travaillons également étroitement avec les États-Unis et le Canada, ainsi qu'avec les organisations internationales comme l'ONU et l'OTAN sur ces questions. Nous avons ainsi adopté l'année dernière une série de 24 propositions visant à renforcer notre coopération avec l'OTAN, notamment en matière de lutte contre le terrorisme et les menaces hybrides et cyber.

Sixièmement, je souhaite vous dire quelques mots de l'action de l'Union en matière de cybersécurité.

En 2017, on a dénombré plus de 4 000 attaques chaque jour à l'échelon européen, y compris pendant la campagne du président Macron. Elles ont souvent un coût élevé pour nos économies. Elles pèsent même parfois sur nos institutions démocratiques. Elles portent aussi gravement atteinte à la confiance de nos citoyens et de nos entreprises en notre capacité à assurer leur protection.

Pour doter l'Europe des outils adéquats pour faire face aux cyberattaques, nous avons proposé en septembre dernier une large panoplie de mesures destinées à renforcer la cybersécurité dans l'Union européenne, dont la création d'une nouvelle Agence de cybersécurité, sur le modèle de l'actuelle Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l'information, l'ENISA. Elle assistera les États membres dans la gestion des cyberattaques. Nous avons également proposé un nouveau système européen de certification, qui permettra de garantir la sécurité d'utilisation des produits et des services dans l'environnement numérique.

Nous souhaitons aussi améliorer la coopération, notamment en matière d'identification et de poursuite des coupables. Nous présenterons ainsi prochainement une proposition sur la preuve électronique en ligne. Il s'agit de faciliter l'accès aux preuves situées hors du territoire d'un État membre.

Pour conclure, je souligne qu'aucun État membre ne peut vraiment lutter seul contre le terrorisme. L'Union européenne est là pour soutenir, aider, apporter des outils communs. C'est là une des priorités de la Commission pour les deux années à venir.

Je compte sur vous également pour travailler à la mise en oeuvre des politiques et des décisions européennes à l'échelon national. En effet, elles ne serviront à rien si elles ne sont pas effectivement mises en oeuvre sur le terrain.

Je souhaite être en contact régulier avec les parlements nationaux. J'espère que nous pourrons renouveler ce type de rencontre afin de poursuivre notre dialogue sur ces sujets.

Si vous me le permettez, je dirai maintenant quelques mots sur le Brexit et les questions liées à la sécurité. Il est très difficile d'échapper à ce sujet !

Les terroristes de Daech ne reconnaissent pas les frontières entre les États membres. Ils visent non pas un État ou un autre, mais nos communautés, nos valeurs, notre façon de vivre ensemble. Les menaces terroristes sont globales et transfrontalières, comme du reste les cyberattaques. L'Union européenne et le Royaume-Uni ont beaucoup à gagner à travailler ensemble sur les questions de sécurité, que ce soit dans le cadre actuel ou après le Brexit.

Après son départ, le Royaume-Uni aura encore la possibilité de décider de manière souveraine, s'il le souhaite, de coopérer avec l'Union européenne. Je pense qu'il sera dans l'intérêt du Royaume-Uni et de l'Union européenne de poursuivre cette coopération, dans un monde où les menaces resteront importantes et en constante évolution.

Bien entendu, nous devrons résoudre des questions politiques et juridiques complexes, concernant par exemple la participation du Royaume-Uni à Europol ou à d'autres agences. Il existe en effet des accords avec des pays tiers, mais aucun ne permettrait aujourd'hui une coopération continue et systématique du Royaume-Uni avec les agences. Je pense aussi à l'utilisation et à l'alimentation des bases de données européennes comme le SIS.

Tous ces sujets devront être abordés au cours des négociations à venir. Il est en tout cas certain que nous avons intérêt, des deux côtés, à faire face ensemble à une menace commune, aujourd'hui comme après le Brexit. J'espère que nous trouverons un moyen de gérer ces questions ensemble.

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