Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je prends la parole aujourd’hui devant vous en étant bien consciente de l’importance des enjeux du débat qui nous réunit. Mais je vous ai entendus, et je sais que nous partageons cette conscience des enjeux.
Votre proposition de loi s’inscrit de fait dans une longue histoire d’initiatives parlementaires portant sur cette question essentielle.
Le plan Climat, lancé en juillet 2017 par le ministre d’État Nicolas Hulot, appelle à une plus grande adaptation aux changements climatiques de nos territoires, en particulier ceux qui sont situés en bord de mer. Il est plus que jamais impératif de repenser l’élaboration de nos politiques publiques et d’anticiper les effets du changement climatique pour imaginer, penser le littoral de demain et se projeter dans l’avenir.
Les enjeux sont multiples : occupation et aménagement résilients des territoires littoraux, développement socioéconomique, préservation de leurs richesses naturelles, transition énergétique… Dans cet espace se cristallisent nombre de questions actuelles et futures.
L’interface entre la mer et la terre est mobile, et le restera toujours : nous ne pouvons ignorer cette réalité. Nous devons donc être conscients de l’évolution de notre trait de côte, être capables d’anticiper son futur, tout en préservant l’attractivité des territoires littoraux. Voilà pour les enjeux de la question et du débat qui nous occupe aujourd’hui.
Le littoral français, long de 20 000 kilomètres de côtes, est soumis à de fortes pressions, qui vont croissant : entre 1936 et 1968, s’y sont installés 25 % de la population française. En 2005, se concentraient sur le littoral 12 % de la population française. Entre 2000 et 2006, l’artificialisation des sols y était encore près de trois fois plus élevée que la moyenne nationale. Il faut avoir ces chiffres en tête comme éléments de contexte pour notre discussion.
Environ un quart de notre littoral recule plus ou moins intensément sous l’effet de l’érosion. Près de 30 kilomètres carrés de notre territoire ont ainsi disparu en cinquante ans, et cela risque de s’accélérer. Ce phénomène naturel est très particulier puisqu’il ne s’agit pas d’un « risque », à l’instar des inondations, par exemple, malheureusement d’actualité aujourd’hui, qui peuvent survenir à plusieurs reprises sur le même territoire et surtout de manière imprévisible.
Le recul du trait de côte est un phénomène inéluctable, encore accentué par les effets du changement climatique. Il est néanmoins prévisible, quantifiable, cartographiable.
Ces trois caractéristiques en font une question particulière. C’est la raison pour laquelle, dans ce contexte, le Gouvernement salue votre initiative.
S’agissant de ces phénomènes d’érosion et de gestion du trait de côte, deux questions principales nous semblent en effet devoir être rapidement traitées.
Se pose d’abord la question des principes de prise en compte du recul côtier dans la gestion de nos territoires. On sait que l’organisation du repli des activités concernées est absolument primordiale – je l’ai évoquée avec certains d’entre vous ces derniers jours. Cela signifie que la relocalisation de certaines activités, de certains quartiers, voire, à plus long terme, de villes entières, à l’intérieur des terres pourrait devenir une réalité de plus en plus fréquente. C’est le cas, par exemple, de Lacanau, qui a mis cet enjeu au cœur de la réflexion sur l’aménagement de son territoire et a lancé un appel, qui nous intéresse particulièrement, à développer de nouveaux outils.
Ensuite, il faut aborder la question, déjà d’actualité, du financement des opérations de relocalisation ou d’indemnisation des biens concernés par le recul côtier.
Tels sont les deux aspects qui nous paraissent essentiels et qui structurent notre approche.
Votre texte, messieurs les sénateurs, pose donc la question des modalités de prise en compte du recul côtier. La spécificité du phénomène d’érosion appelle des solutions nouvelles qui privilégient l’anticipation et l’adaptation. Ce phénomène intéresse tout d’abord, et en premier chef, les territoires et leur aménagement dans toutes leurs spécificités.
À cette fin, il faut améliorer les outils des collectivités compétentes en matière d’aménagement du territoire et faire évoluer le cadre juridique existant pour permettre aux territoires concernés de bien prendre en compte la temporalité de ce phénomène dans leurs documents d’urbanisme. Pour que notre société puisse s’adapter, elle doit aussi davantage s’attacher à préserver des écosystèmes qui soient en bon état, riches en biodiversité. C’est un enjeu que nous oublions trop souvent et qui est pourtant absolument essentiel : il faut garder en mémoire et à l’esprit le fait qu’une dune ou une mangrove préservée constitue un des remparts les plus efficaces et les moins coûteux contre la subversion marine.
C’est pourquoi il nous faudra aussi collectivement développer des solutions fondées sur la nature, qu’on appelle « écosystémiques », pour restaurer certains écosystèmes littoraux dégradés, ce qui pourrait avoir des conséquences non seulement, bien évidemment, sur les populations humaines, mais aussi, plus largement, sur la nature et la biodiversité.
Les orientations que je viens d’énumérer vont à l’encontre de la logique de gestion des risques qui prévaut dans la proposition de loi. L’approche des plans de prévention nous semble mal adaptée au regard de la spécificité du phénomène évoqué. Il est vrai que la réalisation de plans intégrant l’érosion du trait de côte a pu parfois apporter une première réponse dans certains territoires.
En revanche, cela a conduit à interdire toute construction dans la zone impactée par l’érosion à un horizon de cent ans. Or, s’il est pertinent d’interdire des constructions dans des zones soumises à des risques pouvant se produire à tout moment, il paraît disproportionné de « geler » des territoires qui seront atteints par l’érosion à un horizon parfois éloigné, mais toujours prévisible. C’est la caractéristique de l’évolution du trait de côte.
Au-delà, il apparaît également nécessaire, à nos yeux, de bien informer la population, notamment les acquéreurs de biens exposés à l’érosion, et de responsabiliser les constructeurs de bâtiments nouveaux. Cette information contribuera à la prise en compte du phénomène d’érosion par les marchés immobiliers, aujourd’hui déconnectés de cette réalité. Nous avons tous certains exemples présents à l’esprit que je ne détaillerai pas ici.
C’est là, j’en suis bien consciente, un changement de pied majeur, mais nécessaire dans l’approche du phénomène d’érosion.
Messieurs les sénateurs, votre texte pose ensuite la question des financements de l’indemnisation des biens concernés par le recul côtier.
Cette question mérite d’être abordée selon deux angles distincts.
D’abord, les territoires font « remonter » un besoin de financement pour conduire des projets d’anticipation et de recomposition urbaine. Le ministre d’État et moi-même entendons cette demande ; il est certain que des solutions doivent être trouvées, et nous allons y travailler. L’État doit être en mesure d’accompagner certaines expérimentations, …