Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec un sentiment d’honneur et de gravité que je rapporte pour la première fois un texte qui n’a pas manqué de susciter d’importantes interrogations en commission des affaires sociales. Celle-ci s’est prononcée à une large majorité en faveur de l’adoption sans modification de cette proposition de loi, mais elle s’est montrée à juste titre partagée sur son contenu, eu égard à sa portée limitée.
Qu’est-ce donc que ce texte, inspiré par l’intention louable d’élargir les droits sociaux des proches aidants – ces personnes qui consacrent une large partie de leur temps à des membres de leur entourage qui ont besoin d’un accompagnement constant du fait de leur état de santé et de leur manque d’autonomie – mais dont la portée risque fort de ne pas être à la mesure de l’ambition ?
Ils sont actuellement près de 8, 3 millions – voire 11 millions selon certaines sources – à apporter leur aide, quotidienne et bénévole, à un membre de leur entourage proche. L’explosion de leur nombre est une conséquence directe de l’allongement de la durée de la vie et du désir qu’ont les personnes en perte d’autonomie de se maintenir chez elles : autant d’heureuses tendances dont on a trop longtemps négligé les effets. Tout à la joie de pouvoir jouir plus longuement de nos proches, nous oublions souvent que la fragilité qui accompagne l’âge ou le handicap exige que nous nous acquittions envers eux d’un surcroît de soins et d’attention.
Mes chers collègues, les proches aidants, les aidants familiaux, ces personnes dont le droit n’a pas encore figé l’appellation, connaissent une détresse profonde. Sourde et digne, souvent inexprimée parce qu’issue d’un mouvement qu’animent indistinctement devoir et compassion et que nous avons tardé à distinguer du simple soutien que se doivent les membres d’un même entourage, que la loi n’a pas à régir, cette détresse n’en est pas moins réelle.
Quand la personne s’abîme doucement, quand sa carrière est compromise, quand sa propre famille se fissure à force de vivre deux vies, la sienne et celle dont elle s’est donné la charge, alors notre devoir ne se résume plus à laisser à la société le soin de réguler d’elle-même ses propres cellules : il est d’apporter l’élément qui éveillera les consciences sur une réalité trop souvent ignorée.
Cet élément, le voici. Il n’est certes pas parfait. Le mérite de ce texte revient à notre collègue député Paul Christophe, du groupe UDI, Agir et Indépendants, qui l’a inscrit à l’ordre du jour réservé aux groupes minoritaires de l’Assemblée nationale. Il constitue une transposition aux proches aidants du dispositif de la loi du 9 mai 2014, également issu d’une initiative parlementaire et visant à permettre aux collègues d’un salarié dont l’enfant est atteint d’une maladie grave de lui faire don de jours de congés payés.
L’idée était fort belle, en ce qu’elle inscrivait dans la loi un élément de solidarité dans l’entreprise, dont les salariés étaient libres de s’emparer ou non. Elle n’avait néanmoins pas de véritable portée normative. Concernant les grandes entreprises, de nombreux accords d’entreprise antérieurs à la loi prévoyaient déjà des dispositifs comparables, voire meilleurs ; concernant les petites et moyennes entreprises, où les jours de congés au-delà du seuil légal sont presque inexistants, la loi ne se distinguait guère d’une simple déclaration d’intention. Pourtant, le Parlement l’a votée, parce qu’il s’agissait d’une main tendue, parce que, malgré le risque de voir ses effets partiellement neutralisés, elle disait aux parents d’enfants gravement malades, avec la solennité dont la loi seule peut être revêtue, la considération, l’empathie et l’appui des pouvoirs publics.
C’est ce geste que je vous demande de renouveler aujourd’hui. Je n’en partage pas moins l’insatisfaction de certains de mes collègues.
Je suis tout à fait consciente que la discussion d’un nouveau texte sur les proches aidants de personnes âgées ou handicapées nous fait passer à côté de la réforme ambitieuse et d’envergure que leur condition réclame.
Je suis tout à fait consciente que le don de jours de congés payés au proche aidant d’une personne en perte d’autonomie ne répond que très imparfaitement aux besoins réels qu’une pareille situation implique : l’aménagement du temps de travail, une homogénéisation des droits à la retraite de tous les aidants, une sécurité financière pour tous les aidants et, pourquoi pas, un véritable statut qui rassemblerait en un bloc unique tous ces droits dispersés et empilés au gré de textes successifs dont ils n’ont été jusqu’à maintenant qu’une matière incidente.
Dans l’attente d’une consolidation de ces droits, je m’engage formellement devant vous à veiller à ce que l’engagement pris par le Gouvernement, lors de la dernière conférence nationale du handicap, d’élaborer une stratégie nationale en faveur des aidants soit tenu, et surtout à ce qu’il intègre la condition des proches aidants de personnes âgées.
Forts de cet engagement, je vous demande donc, mes chers collègues, de voter cette proposition de loi en l’état. Je vous demande de me rejoindre dans une patiente détermination à donner aux aidants les droits qui leur sont nécessaires, et à leur adresser pour l’heure le signal qu’ils ne sont pas oubliés et que la représentation nationale prend leurs intérêts à cœur. Songez bien que la modification de ce texte, inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale réservé aux groupes minoritaires, contraindrait nos assemblées à poursuivre une navette dont l’aboutissement demeure plus qu’incertain. Nous ne perdrions certes pas l’occasion d’inscrire un droit essentiel au côté de ceux qui existent déjà, mais nous passerions à côté de celle, dont il est rarement donné au Parlement de se saisir, d’adresser aux aidants un geste fort, que je veux riche de promesses. §