Intervention de Pierre Médevielle

Réunion du 31 janvier 2018 à 14h30
Véhicules autonomes : enjeux économiques et cadres légaux — Débat organisé à la demande du groupe union centriste

Photo de Pierre MédeviellePierre Médevielle :

Les constructeurs Renault et PSA, tout juste sortis d’une crise difficile, tentent de prendre pied sur le marché de la voiture autonome. La concurrence est rude, elle dispose d’énormes moyens et va très vite. En ce qui concerne les équipementiers, Valeo semble tout à fait au niveau, mais, à l’ère du numérique, les retournements peuvent se produire à la vitesse de l’éclair. Le robot-voiture, conçu comme un salon sur roues assumant la totalité du trajet, quels que soient l’état de la route ou les conditions météorologiques, reste une perspective de long terme.

La perspective temporelle est incontestablement bien plus rapprochée si l’on envisage une restriction de la circulation autonome à une partie du domaine routier, par exemple les autoroutes. Dans ce cas, l’échéance ne devrait pas dépasser deux ou trois ans.

Les espoirs sont également réels en matière de protection de l’environnement, nos véhicules thermiques étant devenus indésirables dans les grandes villes, pour des raisons évidentes de qualité de l’air et de santé publique. Aujourd’hui, dans les grandes villes, la saturation de la voirie urbaine est à la limite du supportable, avec des embouteillages récurrents. À certaines heures, l’air y est irrespirable.

Tous les responsables politiques ont bien compris que nous étions parvenus au bout d’un système. Il faut absolument sortir les véhicules thermiques des grandes agglomérations telles que Paris, Lyon, Toulouse ou Marseille. Ce sera possible si les élus responsables peuvent proposer des solutions alternatives.

Le véhicule ou la navette autonome semble ouvrir une nouvelle voie en matière de circulation urbaine et offrir une réelle perspective de substitution aux véhicules thermiques, devenus indésirables en ville. Il représente une solution démocratique pour assurer les transports de tous les citoyens dans les grands centres urbains. C’est certainement la révolution de demain ! Ces navettes autonomes viendraient compléter les transports existants, comme le tram ou le métro, en irriguant les plus petites artères.

Depuis quelque temps, les aides à la conduite ont déjà fait leur apparition dans certains véhicules : régulation de vitesse adaptative, stationnement accompagné, système de lecture des panneaux et d’évitement des obstacles.

Aujourd’hui, la conduite sans chauffeur, qui commence à se développer dans des pays tels que les États-Unis, la Chine et le Japon, soulève des questions auxquelles il sera nécessaire d’apporter rapidement des réponses concrètes afin de ne pas se laisser dépasser dans le domaine des technologies de demain.

La route est longue, et commence par une évolution des mentalités. Les clients ne semblent pas tout à fait prêts. Selon le baromètre annuel 2016 aramisauto.com/TNS Sofres sur « les Français et l’automobile », 57 % de nos concitoyens appréhendent un manque de fiabilité de ces véhicules et redoutent de lâcher le volant. Ils sont même 75 % à craindre de perdre le plaisir de conduire.

Au vu de la diversité des enjeux liés à la voiture autonome, force est de constater que les défis sécuritaires, économiques, technologiques, éthiques et réglementaires à relever pour faire de ce mode de transport une réalité sont énormes.

Le développement du véhicule autonome et connecté requiert des avancées non négligeables en termes d’infrastructures routières afin d’accompagner l’acquisition et le traitement des images. Il nécessite une harmonisation technique entre véhicules et véhicules ainsi qu’entre véhicules et infrastructures.

À ce jour, il n’existe pas de chiffrage précis des investissements nécessaires, mais il est indispensable de traiter le sujet du financement de l’adaptation des infrastructures routières à la conduite sans chauffeur. En préalable au développement de la conduite connectée, il faut réaliser des investissements gigantesques pour moderniser les voies de circulation.

Sur le plan juridique, alors que de nombreux pays avancent de manière significative – les États-Unis ont pris une avance déterminante en permettant à titre expérimental, depuis septembre dernier, la circulation de 100 000 véhicules sur toutes les voies –, il est urgent que l’Union européenne fasse juridiquement le choix de l’intelligence artificielle et tranche les choix moraux qui s’y rapportent.

L’impossibilité d’opérer au sein d’un même cadre juridique est un obstacle majeur pour l’Union européenne. L’Europe et les États-Unis ont retenu deux approches différentes en ce qui concerne la réglementation des véhicules autonomes. L’Europe suit la ligne de conduite qui est la sienne depuis l’origine en matière de réglementation, le principe de base étant la fourniture d’un cadre réglementaire complet aux entreprises qui souhaitent développer cette technologie afin qu’elles puissent adapter leurs véhicules en conséquence. Elles auront alors l’assurance, si elles respectent scrupuleusement les réglementations en vigueur, de ne pas être poursuivies en cas d’incident ou d’accident. Les États membres de l’Union européenne cherchent à faire évoluer les réglementations existantes et à en adopter de nouvelles pour sécuriser la situation des véhicules autonomes et leur fournir un cadre stable.

Ainsi, la convention de Vienne de 1968 sur la circulation routière, qui disposait que « tout véhicule en mouvement […] doit avoir un conducteur », a été amendée en mars 2016 afin d’autoriser explicitement les systèmes de conduite automatisée, comme sur les bateaux et les avions, à condition qu’ils soient conformes aux réglementations des États ou qu’ils puissent être contrôlés, voire désactivés, par le conducteur. Il demeure pourtant que, actuellement, un véhicule complètement autonome ne peut pas circuler dans les États membres de l’Union européenne, signataires de cette convention.

Les États-Unis, eux, sont avantagés dans cette compétition par leur système plus permissif, qui autorise les constructeurs à poursuivre leurs expérimentations dans un nouvel État quand un autre les interdit.

En France, le processus d’expérimentation est bien plus lourd qu’au Royaume-Uni ou en Allemagne, et nous avons quelques mois de retard sur nos homologues européens en matière de textes réglementaires. Les constructeurs allemands ont fait pression sur leurs autorités pour que les fonctionnalités d’autonomie qu’ils souhaitaient installer sur leurs véhicules fassent l’objet d’une dérogation à la convention de Vienne. Les constructeurs français souffrent d’un manque de souplesse et pourraient être amenés à en pâtir de nouveau dans le futur.

En outre, la responsabilité des robots, la protection des données individuelles soulèvent des difficultés que nous avons également du mal à surmonter.

Les pays européens s’interrogent sur la détermination de la responsabilité en cas d’accident. En effet, la conduite sans chauffeur introduit de nouvelles parties à la chaîne des responsabilités. Il s’avère aujourd’hui nécessaire de définir les règles applicables au développement de la robotique et d’établir les responsabilités de chacun dans ce processus.

De plus, permettre à un ordinateur de gérer l’intégralité de la conduite d’un véhicule rend indispensable la mise en place de systèmes de cybersécurité ultraperformants pour éviter la prise de contrôle des véhicules autonomes par un tiers malveillant.

Au vu des nombreuses problématiques soulevées par la conduite sans chauffeur, deux conclusions s’imposent sur le plan purement routier.

Aujourd’hui, tandis que se développent très rapidement les aides à la conduite de véhicules de plus en plus assistés, il est nécessaire que les États membres de l’Union européenne harmonisent leurs positions dans les enceintes internationales afin que nos industriels puissent participer activement à cette révolution mondiale de la voiture autonome et réaliser des essais à grande échelle sur le vieux continent.

Par ailleurs, il faudra que les conceptions européennes en matière de collecte, de transmission et de traitement des données personnelles soient prises en compte dans le développement des véhicules autonomes.

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