Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis très heureuse d’avoir l’occasion de débattre avec vous sur le sujet du véhicule autonome.
L’arrivée des véhicules autonomes est un enjeu de société important. Le véhicule autonome va transformer notre manière de nous déplacer, notre rapport à la mobilité, nos filières économiques. Il nous faut préparer ces mutations en offrant un cadre favorable à l’innovation et protecteur, afin que la sécurité, dans toutes ses acceptions, soit assurée.
C’est le bon moment pour débattre de l’autonomie quasiment totale en tout environnement d’usage, qui n’est pas un sujet à l’horizon de 2050, ni même de 2040. On peut dire aujourd’hui qu’elle sera probablement une réalité d’ici à dix ans, et que des avancées significatives auront lieu durant le quinquennat en cours. Les navettes autonomes sur des parcours délimités sont déjà une réalité. La conduite automatisée sur routes séparées est testée en conditions réelles. Les applications à la logistique urbaine voient le jour. D’autres modes de transport, notamment maritime, développent des solutions de conduite autonome.
C’est le bon moment pour échanger, car le Gouvernement prévoit d’adapter, au travers du projet de loi d’orientation des mobilités que je construis et dont nous aurons à débattre d’ici à l’été, notre cadre à cette réalité, après avoir consulté l’ensemble des parties prenantes.
Avant d’entrer dans le détail sur ce point, permettez-moi de revenir sur les enjeux que j’ai identifiés et qui recoupent certains de ceux qu’a évoqués Pierre Médevielle.
Le premier enjeu est évidemment celui de la sécurité routière. On sait que les facteurs humains, qu’il s’agisse de la consommation d’alcool, de la somnolence ou de la vitesse excessive, sont les principales causes d’accidents de la route. La délégation de conduite permettra de limiter l’impact de ces facteurs.
Le second enjeu est celui de la qualité des services de mobilité. La voiture autonome apportera un confort accru lors des déplacements, mais c’est surtout en matière de mobilité partagée que l’on peut anticiper un apport décisif pour les Français, grâce notamment à de nouveaux services susceptibles de compléter l’ossature des transports en commun, en offrant des possibilités de rabattement ou un complément de desserte en période creuse ou en zones périurbaines ou rurales.
Le troisième enjeu est celui de l’impact environnemental. Le véhicule automatisé devrait permettre une fluidification du trafic routier et un accroissement considérable de l’efficacité des mesures de régulation dynamique du trafic. Cependant, il réduira aussi le coût d’usage du véhicule motorisé et doit donc être propre : motorisation peu émettrice de gaz d’échappement et de particules et écoconduite sont indispensables. Par ailleurs, la question de l’utilisation de la voirie sera cruciale.
Les enjeux économiques sont également considérables. Les véhicules autonomes vont bouleverser plusieurs filières, en particulier la construction automobile et le transport de marchandises et de personnes, qui représentent respectivement, en France, environ 500 000 et 700 000 emplois. Des recompositions de la chaîne de valeur dans ces industries sont à prévoir, avec l’arrivée de nouveaux entrants.
La France dispose d’atouts majeurs dans ce domaine, et c’est le rôle de la puissance publique d’accompagner la transformation de nos filières en veillant à en anticiper les effets sur l’emploi et la formation professionnelle.
Enfin, le dernier enjeu est celui de l’acceptabilité des systèmes d’automatisation, condition sine qua non de leur développement. Comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur Pierre Médevielle, cette acceptabilité ne doit pas être considérée comme acquise. Il importe de mieux connaître les perceptions et les freins d’acceptabilité ou éthiques suscités par l’apparition du véhicule autonome.
Comment la puissance publique – l’État, mais aussi les collectivités territoriales – peut-elle apporter une réponse face à ces enjeux ?
La révolution du véhicule automatisé représente une opportunité majeure pour développer de nouveaux services, en milieu urbain comme en milieu rural, avec une sécurité accrue et des impacts environnementaux contrôlés. Des transformations importantes doivent être opérées, mais elle constitue une chance à saisir pour nos filières.
Pour ces raisons, notre action devra être ambitieuse, déterminée et progressive. Mon ambition, celle du Gouvernement, est d’abord de construire un cadre légal et réglementaire qui permettra la circulation en toute sécurité des véhicules automatisés de série avant la fin du quinquennat.
Cette ambition s’appuiera sur la mise en place d’un cadre d’expérimentation compétitif en cohérence avec le rythme de déploiement anticipé par nos filières. La progressivité est essentielle. L’élaboration du cadre réglementaire se fondera sur l’analyse des impacts et des risques identifiés lors des travaux menés en coopération étroite entre autorités publiques et industriels. Ces travaux devront permettre de construire le corpus de connaissances permettant l’évaluation et la validation des systèmes d’automatisation. Ce cadre totalement nouveau bouleversera la manière dont nous concevons la relation entre l’usage et le véhicule.
Quelle forme prendra le permis de conduire de demain ? Comment l’usager doit-il être informé des capacités de son véhicule ? Dans quelles conditions le constructeur doit-il assurer la mise à jour des algorithmes ? Comment le véhicule autonome doit-il communiquer avec son environnement ? Nous sommes déterminés à engager un travail méthodique pour construire des réponses concertées à ces questions.
Gérard Collomb, Bruno Le Maire, Mounir Mahjoubi et moi-même avons ainsi souhaité que l’État dresse un cadre d’action clair et ambitieux. C’est pourquoi nous avons nommé Anne-Marie Idrac haute responsable pour la stratégie nationale du développement des véhicules autonomes. Après avoir consulté constructeurs, acteurs du numérique, collectivités territoriales, usagers, opérateurs de transport de voyageurs et de marchandises et gestionnaires d’infrastructures, Anne-Marie Idrac a construit ce cadre d’action. Il sera finalisé dans les toutes prochaines semaines. Il répondra aux enjeux que j’ai évoqués et comportera notamment un programme d’expérimentation permettant de construire des outils d’homologation et d’évaluer les impacts sur les usages et l’acceptabilité.
Un chantier sur l’évolution des emplois et des compétences, la structuration des travaux sur l’acceptabilité, le déploiement des infrastructures connectées et la définition des modalités de travail avec les collectivités territoriales, qui sont un maillon essentiel du déploiement des véhicules autonomes, a par ailleurs été confié au Conseil national de l’industrie.
Enfin, vous connaissez l’importance des travaux internationaux et européens sur le sujet. La France va se doter d’un cadre d’action national, mais la compétition est mondiale, notamment avec les États-Unis et la Chine, pour ne citer que ces deux États. L’échelle pertinente est donc naturellement celle de l’Union européenne, qui doit être à l’avant-garde des innovations de rupture, comme le Président de la République le souhaite. La Commission européenne proposera une feuille de route en mai prochain. Notre cadre d’action alimente la préparation de ces travaux.
De notre point de vue, il y a trois priorités.
La première priorité est le financement. Le déploiement des véhicules autonomes et des infrastructures associées aura un coût important. La capacité de l’Union européenne à contribuer à cet effort sera déterminante, notamment au moment des débats sur le cadre financier post-2020.
La deuxième priorité est la cohérence réglementaire. Les règles de conduite sont encadrées par les conventions de Genève et de Vienne, auxquelles nous sommes parties. Nous travaillons activement à modifier ces textes afin qu’ils prennent en compte les évolutions engendrées par l’arrivée des véhicules autonomes, notamment en termes de responsabilité. Mais cela prend du temps, et sans attendre nous invitons l’Union européenne à réfléchir à l’opportunité de mettre en place un cadre réglementaire commun, de nature d’ailleurs à éviter des disparités au sein du marché intérieur.
Enfin, la troisième priorité est l’interopérabilité. Il est indispensable qu’un véhicule autonome puisse franchir le Rhin, les Pyrénées ou toute frontière au sein de l’Union européenne. Nous avons d’ores et déjà travaillé avec l’Allemagne et le Luxembourg à la mise en place d’un site-test à nos frontières, mais il est évidemment indispensable que l’Union européenne travaille sur ces corridors.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’avez compris, le Gouvernement a de grandes ambitions en matière de véhicules autonomes.