Intervention de Stéphane Lacroix

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 31 janvier 2018 à 9h35
Audition conjointe sur « l'arabie saoudite dans son environnement régional »

Stéphane Lacroix, professeur associé à Sciences Po :

Le religieux est important, car l'Arabie saoudite est l'un des rares États au monde fondé sur le religieux. Il est l'instrument de légitimation du royaume.

Deux éléments caractérisent le système d'avant 2015 : l'État saoudien est fondé sur le partenariat entre une élite politique de princes qui gouvernent, et le clergé wahhabite qui contrôle la société et définit les normes à partir d'une interprétation du religieux. Ce n'est pas une théocratie, car le clergé ne gouverne pas. Un pacte répartit les tâches entre ces deux élites, chacune respectant l'autonomie de l'autre. Ce fonctionnement explique certaines contradictions apparentes entre un islam ultra fondamentaliste et les excellentes relations avec les États-Unis depuis 1945. La police religieuse, ou « Commission pour la promotion de la vertu et la répression du vice », est le bras armé du clergé pour l'application de la norme socio-religieuse dans la société. Ce système, construit en 1944, a perduré jusqu'en 2015.

À partir des années 1960 et 1970, la montée de religieux politisés, « islamistes », très populaires - certains ont quasiment 20 millions de followers ! - a remis en cause la séparation des deux domaines. Cette nouvelle classe de clercs politisés dans les universités puis sur les réseaux sociaux se distingue des clercs officiels. Leur discours est divers : certains sont plus radicaux que les clercs officiels, d'autres sont plus modérés, et ont demandé des réformes après le printemps arabe. Cela reflète la diversité de l'islam politique, d'Ennahdha à l'État islamique... Le pouvoir local cherche à les amadouer, mais est parfois répressif. Certains sont emprisonnés, d'autres continuent à critiquer le régime au travers de leur compte Twitter.

Depuis 2015, il y a eu une volonté profonde de remise en cause du pacte entre la famille royale et le clergé. En 2016, la décision, sous-estimée à l'époque, de retirer à la police religieuse la possibilité de procéder à des arrestations, coupe ce bras armé du clergé : elle ne peut plus appliquer de coercition ni faire la norme et se borne à donner des conseils dans les malls.

En 2017, MBS crée une Autorité suprême du divertissement, organisant des concerts - alors que la musique est considérée comme diabolique par les oulémas wahhabites. La future autorisation des femmes à conduire va à l'encontre du clergé wahhabite. Le politique définit désormais la norme religieuse et reprend le contrôle de la société. Une fatwa religieuse du Conseil des oulémas valide chaque décision politique, mais ce dernier est devenu une simple chambre d'enregistrement, qui donne son imprimatur à la manière du grand Moufti de l'université Al Azhar en Égypte.

Mohammed ben Salmane est en train de réformer le clergé, en nommant de jeunes responsables, dont un à la tête de la Ligue islamique mondiale. Ils ont une rhétorique bien plus ouverte, plus jeune, plus malléable politiquement - ils vantent les actions du prince - et souvent plus modérée. Mais jusqu'à quel point peut-il réformer le clergé par le haut ? La culture religieuse reste très conservatrice au sein du clergé. La période actuelle est révolutionnaire à l'échelle historique du royaume.

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