Intervention de Jean-François Rapin

Commission des affaires européennes — Réunion du 1er février 2018 à 8h30
Économie finances et fiscalité — Agences de surveillance européennes : avis politique de mm. jean-françois rapin et claude raynal

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin :

Merci, monsieur le président, pour la confiance que vous avez accordée à Claude Raynal et à moi-même sur ce sujet extrêmement technique.

La situation a évolué ces dernières heures, puisqu'il semble qu'un front se mette en place entre l'Allemagne, l'Irlande et le Luxembourg pour faire échec aux propositions de réforme. Depuis la crise financière de 2008, l'Union européenne a adopté près de quarante propositions législatives pour le seul secteur financier. Dès 2010, un système européen de surveillance financière a été mis en place pour combler les lacunes de la supervision européenne révélées par la crise. Une revue de fonctionnement de ce cadre de surveillance était prévue en 2017.

La Commission a présenté l'année dernière quatre textes afin de proposer des améliorations ciblées. Cette révision est fortement contrainte par le calendrier électoral européen : l'absence d'accord d'ici aux élections européennes en repousserait l'adoption en 2021, au plus tôt. La proposition de la Commission s'inscrit par ailleurs dans un contexte d'urgence face au compte à rebours du Brexit, qui constitue paradoxalement aussi une opportunité pour accompagner la volonté politique de relancer l'Union des marchés de capitaux et le développement d'une supervision crédible des marchés.

Je vous présenterai brièvement les enseignements qu'il convient de tirer après sept années de fonctionnement du système européen de surveillance financière. Ce système est organisé autour des autorités nationales de surveillance et de trois autorités européennes de surveillance, dites AES. Dès l'origine, certains États membres étaient très réticents à l'idée de mettre en place des autorités européennes trop puissantes. Celles-ci ont pourtant progressivement acquis leur légitimité et, aujourd'hui, leur pérennité n'est pas remise en question.

Il serait cependant plus juste de parler d'autorités européennes de régulation, leur rôle en matière de supervision effective étant quasi inexistant : il se limite à favoriser la convergence des pratiques de supervision des autorités de surveillance nationales. Ces autorités sont, en revanche, chargées de l'élaboration des projets de normes techniques, c'est-à-dire de la législation dite de niveau 2.

L'infrastructure de surveillance est ainsi répartie entre le niveau national, avec les autorités sectorielles compétentes de chaque État, et le niveau européen, avec les trois AES. Le processus de décision fait la part belle aux autorités nationales, qui siègent au Conseil des superviseurs de chaque AES. Cette gouvernance intergouvernementale ne favorise ni la prise en compte de l'intérêt général de l'Union ni l'efficacité de la prise de décision.

Depuis 2010, l'évolution a été considérable, les États membres ayant consenti un transfert de souveraineté important lors de la crise des dettes souveraines. Depuis 2014, la supervision des plus grandes banques de la zone euro est confiée à la Banque centrale européenne, dans le cadre de l'Union bancaire. Dès lors, l'Autorité bancaire européenne a vocation à rester cantonnée, pour l'essentiel, dans des missions de régulation, sans prérogative de supervision directe sur les banques.

Il en est tout autrement de l'Autorité européenne des marchés financiers, l'AEMF, qui, en l'absence d'un superviseur européen des marchés financiers, s'est vu confier progressivement des missions de supervision directe sur certains secteurs, comme les agences de notation et, partiellement, les chambres de compensation. L'AEMF, avec son pouvoir effectif de supervision, fait donc figure d'exception. C'est d'ailleurs sur son développement que se concentre le projet de refonte proposé par la Commission.

L'initiative d'Union des marchés de capitaux a pour ambition de faciliter le développement du financement de l'économie par des marchés financiers européens intégrés. Elle demeure aujourd'hui largement imparfaite, alors qu'il s'agit d'un enjeu majeur pour le développement de notre économie et la stabilité financière de l'Union, mais aussi la protection des intérêts des investisseurs et de l'épargne de nos citoyens. Or, le développement d'une supervision européenne unique des marchés financiers est l'un des éléments indispensables à la poursuite de cette initiative.

Pour maintenir l'indépendance et la prépondérance de la place de Londres, le Royaume-Uni s'y refusait catégoriquement. Dorénavant, l'impulsion politique autour des marchés financiers européens doit reprendre et permettre enfin le développement d'une autorité européenne des marchés.

Quelle que soit l'issue des négociations sur le Brexit, la configuration des marchés financiers européens sera durablement modifiée, même si la place de Londres conservera un poids important. Les relocalisations d'activités au sein de l'Union européenne préfigurent une organisation multipolaire autour de différentes places, parmi lesquelles l'attractivité de Paris pourra s'exercer. Cet état de concurrence accrue incitera les différentes places à des arbitrages réglementaires qui devront être supervisés par une autorité européenne.

Faute d'une relocalisation au sein de l'Union ouvrant droit au passeport européen, les acteurs financiers implantés au Royaume-Uni verront leur accès aux pays de l'Union conditionné à des accords d'équivalence des pays tiers. Dans ce contexte, la gestion des relations avec les pays tiers et la surveillance des éventuels recours excessifs à des délégations d'activité ou à des accords d'externalisation revêtent une importance stratégique pour la défense des intérêts de l'Union.

La refonte du système de surveillance prend la forme d'un paquet législatif important, composé de quatre propositions distinctes, dont la plupart datent de septembre 2017 : deux propositions pour la révision des trois règlements fondateurs des AES, un texte pour des modifications ciblées du Comité européen du risque systémique, et une proposition, de juin 2017, consacrée au sujet, hautement stratégique, des chambres de compensation centrales, dites CCP.

Les dispositions essentielles du paquet législatif concernent l'amélioration de la gouvernance et l'évolution du cadre de financement des trois AES, ainsi que, plus spécifiquement, le renforcement des pouvoirs de l'AEMF.

Les deux premiers éléments du dispositif semblent consensuels et nous paraissent aller dans la bonne direction. La Commission européenne propose, en effet, de mettre en place une structure de gouvernance plus autonome et, partant, plus efficace, en introduisant dans chaque autorité européenne un conseil exécutif indépendant composé du président et de membres indépendants permanents. Ce conseil sera notamment chargé de préparer les décisions qui seront adoptées par le Conseil des autorités de surveillance et disposera de pouvoirs discrétionnaires à l'égard des particuliers et des autorités nationales de supervision.

La révision du cadre de financement consacre deux ambitions : asseoir le fonctionnement autonome des AES et permettre à la Commission européenne de se désengager budgétairement en faisant reposer le financement de leurs budgets, actuellement jugés insuffisants, sur des cotisations annuelles versées par les institutions financières. Une contribution d'équilibrage de l'Union, fixée à l'avance dans le cadre financier pluriannuel, serait maintenue, mais plafonnée à 40 % des recettes globales des AES. Les modalités de calcul des contributions annuelles des établissements financiers seront définies dans des actes délégués de la Commission, qui mériteront toute notre attention.

Permettez-moi de vous livrer quelques chiffres pour mettre en perspective les enjeux budgétaires. Concernant l'AEMF, et dans l'hypothèse de l'entrée en vigueur de l'ensemble des dispositions proposées par la Commission, 193 créations de postes seraient envisagées, portant l'effectif global à 450 personnes environ, pour un budget de l'ordre de 90 millions d'euros. À titre de comparaison, le montant des redevances de surveillance prudentielle collectées par la BCE en 2017 s'élève à 424 millions d'euros, et le budget de la Securities and Exchange Commission américaine s'établit à 1,7 milliard de dollars.

La Commission propose de renforcer l'AEMF en lui confiant des compétences de supervision directe dans des domaines spécifiques. C'est sur ce point que se focalisent les discussions en cours. Le transfert de compétences des autorités de marché nationales vers l'AEMF pose des questions de subsidiarité et suscite l'opposition de certains États, qui y voient une menace pour l'indépendance et la pérennité de leur industrie financière nationale.

Le 23 novembre dernier, le groupe de travail « subsidiarité » de notre commission a considéré que ces textes ne portaient pas atteinte au principe de subsidiarité. Au reste, les transferts de compétences dont il s'agit sont équivalents à ceux consentis à la BCE dans le cadre de la supervision bancaire. Il n'y a donc pas matière à soulever une question de subsidiarité, sauf à la poser également pour la BCE. Ce transfert de compétences nous semble indispensable afin d'éviter, dans la mesure du possible, des arbitrages réglementaires préjudiciables aux intérêts de l'Union.

À ce stade, d'ailleurs, les dispositions envisagées par la Commission pourraient bénéficier d'une ambition plus large en ce qui concerne les produits, secteurs et infrastructures visés : la supervision des prospectus est prévue de façon trop hétérogène et les places boursières et dépositaires centraux sont exclus du dispositif.

Le constat est identique en ce qui concerne les sanctions : il aurait été opportun d'établir un régime certes efficace et proportionné, mais aussi suffisamment dissuasif, en prévoyant, comme le demande l'AEMF, la possibilité d'amendes proportionnelles au chiffre d'affaires.

L'AEMF se verra aussi confier un pouvoir en matière de délégation et de sous-traitance par des entités régulées à des entités de pays tiers. Ce dernier point revêt une importance particulière, car il s'agit de contrôler l'implantation au sein de l'Union de structures « boîtes aux lettres », dont une partie substantielle des activités serait déléguée à des structures dans des pays tiers, permettant ainsi de sécuriser l'accès au marché européen à travers le passeport européen sans prendre le risque de l'incertitude des accords d'équivalence.

Enfin, l'AEMF jouera un rôle central dans la préparation des décisions d'équivalence des régimes de pays tiers et - ce qui est nouveau - dans le suivi de ces décisions. Le retrait du Royaume-Uni rend nécessaire à court terme le renforcement des moyens de gestion des relations avec les pays tiers. C'est d'ailleurs dans cette logique que la Commission a proposé, avant l'été, de renforcer le rôle de l'AEMF en ce qui concerne la supervision des chambres de compensation.

On trouve dans ce projet la refonte de la gouvernance, avec la création d'un Conseil des autorités de surveillance en session exécutive des chambres de compensation, le renforcement des compétences de supervision directe, avec des contrôles sur place, ainsi que la possibilité, sur la base de critères spécifiques, d'imposer une localisation au sein de l'Union européenne pour les chambres de compensation identifiées comme les plus systémiques et pour lesquelles la supervision directe serait considérée comme insuffisante. L'AEMF serait aussi en charge du mécanisme d'équivalence avec les pays tiers.

C'est sur la base de ces remarques que nous vous proposons d'examiner l'avis politique qui vous est soumis. Ce travail est le fruit de plusieurs auditions, mais d'autres sont encore à venir. M. Raynal et moi-même nous rendrons à Bruxelles le 19 février sur ces sujets.

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