Intervention de Anne-Catherine Loisier

Délégation aux entreprises — Réunion du 18 janvier 2018 à 8h30
Compte rendu de madame anne-catherine loisier sénatrice de la côte-d'or sur le déplacement de la délégation en côte-d'or le 15 décembre 2017

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier :

Merci Madame la Présidente. Mes chers collègues, je suis très heureuse que la délégation aux entreprises ait accepté mon invitation à venir en Côte-d'Or pour découvrir, au-delà de ses vignes et de sa gastronomie, son tissu industriel très présent et la variété de ses entreprises. Je remercie particulièrement la présidente et tous mes collègues qui étaient présents : Michel Canevet, Dominique Estrosi-Sassone, Sébastien Meurant et Patricia Morhet-Richaud.

Notre journée était organisée autour de trois temps principaux : un premier consacré à Valinox Nucléaire, une filiale de Vallourec ; le deuxième aux entreprises du bassin de Montbard dans le cadre du lycée professionnel ; et puis un troisième qui n'apparaît pas dans le reportage mais qui est important et mérite d'être davantage connu et qui est celui de la filière bois, la Côte-d'Or étant le quatrième département boisé de France et abritent une filière bois -à la fois résineux et feuillus- très importante.

Tout d'abord quelques mots sur le groupe Vallourec, producteur de tubes pour le secteur de l'énergie et de l'industrie, qui emploie 19 000 collaborateurs, dont presque la moitié en Europe et un tiers en Amérique du Sud. Son chiffre d'affaires est de 3 milliards d'euros, il se fait essentiellement à l'étranger : 35 % en Amérique, 30 % en Asie, 20 % en Europe et 15 % en Afrique. Le groupe a traversé une passe difficile que l'on peut comprendre mais il est aujourd'hui en train de se redresser. Il compte 50 sites de production dans plus de 20 pays. À Montbard, nous avons rencontré le directeur du site et le président de Valinox. Depuis 40 ans, cette entreprise fabrique des tubes en alliage de nickel, sans soudure, qui participent au fonctionnement de la moitié des centrales nucléaires aujourd'hui en fonctionnement. Valinox est d'ailleurs membre du pôle de compétitivité Nuclear Valley. Ses produits sont dits « critiques » car ils sont à l'interface entre le circuit primaire et le circuit secondaire des générateurs de vapeur. Valinox est un leader mondial, dans cette industrie de pointe où ses concurrents sont essentiellement finlandais, japonais et chinois. L'outil industriel que nous avons pu découvrir permet l'extrusion à chaud de l'acier, puis le laminage à froid des tubes, à plusieurs reprises. Les installations sont assez impressionnantes : elles couvrent une surface de 13 000 m2 car les tubes sont de très grandes dimensions. Ils sont ensuite cintrés et contrôlés à chaque étape, la précision et la délicatesse du processus allant jusqu'à équiper les ouvriers de gants blancs. Valinox, comme l'ensemble de la filière nucléaire française, doit relever le défi de la concurrence mondiale en réduisant les coûts tout en garantissant le meilleur niveau de sûreté. Le président Stéphane Jeanneteau, qui nous a accueillis, a insisté sur le contexte dans lequel évolue aujourd'hui Valinox, et la nécessité de rester compétitif pour garder un certain volume de production. Il a profité de notre présence pour rappeler aux pouvoirs publics la forte concurrence à laquelle est soumise l'entreprise et la nécessaire « protection » de certains marchés, afin que l'industrie française puisse préserver son savoir-faire.

L'usine que nous avons visitée a commencé à produire en 2011, après avoir nécessité 80 millions d'euros d'investissement ; elle emploie aujourd'hui 250 personnes. L'année 2018, compte tenu du contexte du nucléaire, s'annonce difficile pour cette entreprise, néanmoins les perspectives sont bonnes, notamment grâce au projet Hinckley point d'EDF et à la poursuite du revamping du parc français. Il y a aussi quelques perspectives de débouchés canadiens et peut-être même indiens. Aujourd'hui, Vanilox cherche bien évidemment à se diversifier, notamment dans l'énergie renouvelable, à travers les centrales nucléaires à concentration solaire.

L'usine s'est installée à Montbard, ville d'origine médiévale qui compte 5 500 habitants et bénéficie d'une desserte par le TGV ce qui est précieux et irrigue le territoire. Il faut dire que la zone industrielle est particulièrement importante à Montbard, compte tenu notamment de cet arrêt TGV qui permet à la ville de se situer à moins d'une heure de Paris. Ce territoire est héritier d'une longue tradition de métallurgie ouvrière : elle regroupe neuf entreprises métallurgiques dont Valinox au sein d'une association appelée Metal'Valley.

L'objectif à Montbard est ainsi de faire correspondre les besoins en recrutement de ces entreprises et la formation des demandeurs d'emploi dans le cadre d'initiatives qui ont été déployées autour du lycée professionnel. Nous y avons été très bien accueillis par un proviseur très impliqué dans ses fonctions et vraiment à l'écoute à la fois des jeunes et des entreprises. Il cherche à recréer un lien de confiance entre les jeunes et l'école, et à donner aux jeunes les clés pour être employables dans un monde professionnel où ils seront appelés à changer de métier et à évoluer. Il a mis en place un maillage territorial au plus près des entreprises avec lesquelles il a des rapports réguliers et il a notamment mis en place deux pôles de formations qui sont assez singuliers : en maroquinerie et en maintenance industrielle. Nous avons visité ces ateliers avec des jeunes particulièrement épanouis et qui avaient l'air vraiment heureux dans leur formation.

En maroquinerie, le lycée propose un CAP -en deux ans pour les apprentis, et en un an pour les adultes- ainsi qu'une seconde professionnelle. Les trois branches débouchent sur des classes de 1ère et de Terminale Pro en Métiers du cuir.

Il a mis en place cette formation dans le cadre d'un partenariat avec l'entreprise de maroquinerie Thomas qui travaille beaucoup de produits de luxe avec des grandes marques. C'est aussi satisfaisant pour nous, parlementaires, de savoir que ces grandes marques sont bel et bien fabriquées en France. Les représentants de l'entreprise étaient présents lors de notre visite pour témoigner du bénéfice qu'ils tiraient de ce partenariat. Auparavant, cette entreprise avait des difficultés pour recruter des jeunes et avaient souvent à faire à des jeunes ayant suivi des formations autour de l'esthétique, de la coiffure, ou bien d'autres choses très éloignées de la maroquinerie. Ils devaient acquérir à la fois l'habileté manuelle et apprendre à s'adapter à l'environnement industriel de cette entreprise. Aujourd'hui, grâce au partenariat de long terme qui a été mis en place avec le lycée professionnel, cette entreprise recrute chaque année les douze apprentis issus de ce lycée. De plus, comme l'a évoqué le proviseur, les trois quarts de ces jeunes viennent de plus loin que du bassin de Montbard, ce qui illustre bien l'attractivité dont jouit cette formation.

Le lycée propose aussi des formations industrielles, qui commencent par la découverte de différents métiers : chaudronnerie, maintenance industrielle, numérique et électrotechnique, afin d'éveiller les jeunes à des filières méconnues. Une formation post-bac a été ouverte en 2013 qui offre une mention complémentaire d'agent en contrôle non destructif (MCACND) pour contrôler la qualité des tubes produits dans le bassin d'emplois. Cela répond à un besoin singulier en technologies de contrôle exprimé par les entreprises de la Metal Valley. La grande réactivité et le dialogue qu'a réussi à instaurer cet établissement avec les entreprises du bassin est donc vraiment à souligner.

Les adultes en formation continue au GRETA peuvent aussi bénéficier de l'ensemble de ces dispositifs.

C'est donc un bel exemple de synergie entre des acteurs de l'enseignement attentifs et réactifs et des entreprises qui font confiance et travaillent sur les contenus avec les enseignants. Ces enseignants sont particulièrement impliqués dans la construction d'une orientation réussie et accompagnent les jeunes dans tous leurs projets, la rédaction de leurs CV etc. La Mission locale est également associée pour être au plus près des besoins de ces jeunes : elle organise aussi en parallèle des Job dating qui mobilisent les entreprises du territoire. Les bailleurs sociaux contribuent également, en proposant des logements proches de l'entreprise pour ces jeunes qui viennent souvent d'assez loin.

Cette démarche fonctionne bien, largement soutenue par Madame le maire de Montbard et la municipalité, mais aussi par les élus locaux, et la région compétente dans ce domaine. Elle trouve également un prolongement auprès du club des entrepreneurs de l'Auxois qui a mis en place en amont une initiative à destination des plus jeunes avec sa commission école-entreprise. Ils interviennent dans les collèges pour expliquer les métiers d'une manière simple : à partir d'un stylo, ils détaillent l'ensemble des entreprises et des emplois mobilisés pour sa fabrication. Ils ont regretté la persistance de quelques entraves, certaines déjà connues de notre délégation: le manque d'attractivité et de promotion de l'apprentissage notamment au sein de la formation initiale et des collèges, qui freine le recrutement du lycée professionnel ; ensuite, les freins réglementaires. Par exemple, l'interdiction d'embauche pour les mineurs complique l'accès à l'emploi, de même que les limites imposées en matière d'horaires ou d'activités réputées dangereuses. Le lycée envisage aujourd'hui des missions industrielles à l'intérieur du lycée, sur des machines correspondant à celles utilisées en entreprise, pour permettre l'immersion des jeunes et essayer de dépasser ces problèmes de mises en situation au sein des entreprises.

Après cette découverte de l'écosystème construit autour du lycée professionnel, nous avons pu échanger avec des entreprises du bassin de Montbard et notamment le président de l'association Métal Valley. Il a insisté sur les difficultés liées à la surtransposition en matière environnementale, sanitaire ou sécuritaire. Il a donné comme exemple le plafond d'exposition au chrome 6 qui a été divisé par 50 en France depuis 3 ans et abaissé à 1 microgramme, ce qui constitue la marge d'erreur ! Cette règlementation pour laquelle son entreprise doit investir 1 million d'euros uniquement pour se mettre en conformité est sans plus-value... or le seuil est à 5 en Allemagne, Suède et Espagne. La production de tubes en acier a été divisée par 4 en dix ans en France : les entreprises savent qu'elles ont une part de responsabilité puisque c'est à elles d'investir dans l'innovation, dans l'adaptation, mais la surtransposition est malheureusement à l'origine de beaucoup de difficultés et de cessations d'activité. D'autres entreprises ont insisté sur des problématiques du même ordre, par exemple pour la filière bois, la règlementation de l'aspiration des poussières de bois en France est là encore beaucoup plus exigeante que les normes européennes. Cela induit des surcoûts de production et des surcoûts de facture énergétique.

Deuxième sujet bien connu aussi de l'ensemble des acteurs publics et qui a encore une fois émergé : la lourdeur et l'inconstance des obligations administratives. Les entreprises se sentent souvent seules et étouffées sous les règles et les contrôles qui leur sont imposés. Et elles soulignent le fait que les plus petites entreprises ont les plus grandes difficultés à réaliser ne serait-ce que la veille réglementaire, d'où l'importance de tous les partenaires intermédiaires et notamment les chambres de commerce et d'industrie qui accompagnent les chefs d'entreprises. Des entreprises du secteur de la pierre, qui est très présent aussi en Bourgogne, mais aussi de la menuiserie ont exprimé leur saturation à l'égard des tracasseries administratives. Plusieurs chefs d'entreprises ont enfin dénoncé de nombreuses difficultés dans la mise en place du prélèvement à la source. Ils estiment qu'il appartient à chacun de faire son travail : à l'État de collecter l'impôt, et aux entreprises de se concentrer sur leur production pour résister à la concurrence internationale.

D'autres sujets d'inquiétude ont été dénoncés : l'accès au très haut débit, les difficultés persistantes de recrutement malgré les efforts des établissements d'enseignement, et pour les entreprises de la Metal Valley, ce qu'elles ont appelé le « radicalisme » en matière de transition énergétique. Dans le cadre de leur activité, pour chauffer les tubes qu'elles produisent, elles utilisent et brûlent du gaz. Elles n'ont pas de possibilité de faire autrement, même avec des énergies renouvelables, puisque l'intermittence des énergies renouvelables ne les rend pas suffisamment fiables pour assumer leurs transformations dans de bonnes conditions.

Dans un second temps, nous nous sommes rendus dans la partie la plus forestière de la Côte-d'Or, le Morvan, pour y découvrir un pôle d'excellence rurale qui a été porté par une petite communauté de communes. Il s'agit d'un éco-pôle bois. Cette petite communauté de communes a réalisé en 2008 cette zone industrielle de 35 hectares consacrée à la transformation du bois, selon un principe d'économie circulaire. On y trouve d'abord une scierie qui réalise la première transformation de résineux : s'est ensuite installée une entreprise allemande, JRS, qui réutilise les produits connexes de cette scierie pour faire des pellets et souhaite développer à moyen terme des activités ou des produits autour de la fibre de bois. La matière première très présente sur ce territoire est donc mise à profit dans l'instauration d'une plateforme industrielle avec des entreprises qui se complètent, et qui permettent son usage circulaire et optimisé.

La scierie Fruytier est la deuxième plus grosse scierie de résineux en Bourgogne : il y a une immense tension sur le résineux aujourd'hui puisque c'est essentiellement le bois utilisé dans la construction. C'est une entreprise qui a une longue histoire, qui remonte à plus de 70 ans, et qui emploie 600 salariés dans plusieurs pays, en France, en Belgique et en Allemagne. Ses sites industriels occupent des surfaces très importantes, près 150 hectares ce qui correspond à 300 terrains de football ! Ils sont installées à La Roche-en Brenil depuis cinq ans et y emploient 95 personnes. Le site comprend une unité de découpe, deux lignes de sciage automatique qui déploient des outils assez performants - notamment des canters - qui optimisent le matériau pour qu'il y ait le moins de déchets possible, avec en plus un grand séchoir puisqu'aujourd'hui les demandes portent davantage sur des produits séchés. C'est une scierie dont l'objectif d'approvisionnement est de produire 500 000 m3 par an, ce qui est très important, pour alimenter toute la filière (planches et plaquettes pour le bricolage et la construction, sciures pour le chauffage et les pellets, etc.). L'intérêt de ces démarches industrielles est l'adéquation entre le territoire et la matière première. Aujourd'hui l'enjeu pour le Morvan et cette entreprise est de développer des capacités de sciage sur des grumes plus grosses. Ne pas avoir de production de bois alignés et du même diamètre permet de répondre aux enjeux environnementaux de bonne gestion et de lutte contre les tempêtes : plus il y a de diversification dans un peuplement forestier, plus le bois va résister à la tempête. Ceci est un enjeu majeur à l'échelle de la France car nous n'avons pas beaucoup de scieries de gros bois et on sait que cette ressource va devenir stratégique.

La société Brenil Pellets est installée juste à côté de la scierie et en recycle les déchets pour fabriquer des pellets. L'entreprise JRS est leader sur le marché des pellets mais aussi de la fibre de bois pour tout ce qui est litière animale. C'est une société allemande qui développe beaucoup l'innovation et la recherche. Il s'agit d'une société familiale (Rettenmaier) qui remonte à 1878 et affiche une croissance de 20 % par an - il s'agit en effet d'un marché très porteur - et ouvre deux nouveaux sites chaque année. Elle compte sept centres de R&D et emploie 2 500 employés dans le monde. JRS identifie des fonctions qui sont liées à la fibre naturelle (absorption, abrasion, compactage, isolation). Elle développe à partir de là des produits variés (poudre de cellulose, fibres de bois, copeaux de fumage, ...), qui trouvent des applications en pharmacie, dans le secteur alimentaire, ou encore pour la filtration. La fibre de bois peut également entrer dans la fabrication du plastique, de l'amiante, des plaquettes de frein, des peintures, des litières ou dans la construction de routes... Il s'agit réellement d'une entreprise à haute valeur ajoutée qui illustre le type d'entreprises high tech qui peuvent se développer autour de la ressource en bois.

JRS a ouvert le site de l'éco-pôle en acquérant 9 hectares de terrain. Ce site, qui fait aujourd'hui vivre 43 emplois directs, mais davantage dans un avenir proche, permet à JRS de se rapprocher du client et du fournisseur : les déchets de Fruytier sont sa matière première, et la biomasse sert à chauffer l'ensemble de ses bâtiments, dont ceux de production. Il s'agit d'une démarche très écologique.

Le projet a été finalisé en juin 2013 et a mobilisé 35 millions d'euros, avec une production qui vient tout juste de démarrer. C'était donc un challenge intéressant pour la communauté de communes qui a créé cette zone d'activité en 2008. Aujourd'hui en 2018, tous les terrains sont vendus et toutes les entreprises fonctionnent, malgré la crise économique mondiale et les tensions passées par là. Cela est vraisemblablement dû au secteur où coexistent la matière première d'une part et l'écosystème de développement des entreprises d'autre part.

Merci encore à la délégation de s'être penchée un peu plus sur la Côte-d'Or dont j'avais à coeur de montrer un autre visage et les perspectives de développement industriel. Je vous remercie.

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