Le rapport du COI a effectivement été adopté à l'unanimité par ses seize membres. Il a fait l'objet de nombreuses réactions, certaines positives ou mesurées émanant d'associations, de collectivités ou de personnalités prestigieuses comme Alain Juppé, maire de Bordeaux et président de la métropole, d'autres plus virulentes provenant de grands élus, de collectivités, d'établissements publics ou d'associations attachées à la réalisation d'une grande infrastructure attendue depuis parfois des décennies. Nombre de présidents de région ou de département se sont également exprimés.
Ces réactions ne nous ont pas surpris. Il en avait été de même, il y a cinq ans, lors de la parution du rapport Mobilité 21. Chaque territoire a des problématiques propres et des besoins qui tardent parfois depuis des décennies à trouver leur solution. D'autant que, par le passé, la loi a nourri des espoirs difficiles, pour ne pas dire impossibles à satisfaire complètement : la loi d'orientation et d'aménagement du territoire de Charles Pasqua et Daniel Hoeffel, qui avait prévu un maillage autoroutier et de liaisons à grande vitesse, ou, plus récemment, le SNIT qui comptabilisait 175 projets pour un bilan financier de 245 milliards d'euros. Tout cela était prometteur mais difficile à mettre en oeuvre.
De plus, le contexte a changé. Les besoins des usagers des transports ont évolué, la vitesse n'est plus le seul critère pour effectuer un déplacement, et le prix constitue aujourd'hui un élément déterminant. L'environnement technique, la digitalisation et l'apparition des plateformes ont offert de nouvelles possibilités d'organiser sa mobilité. L'actualité a aussi mis en avant d'autres priorités : deux rapports de l'école polytechnique de Lausanne, en 2005 et 2012, et des accidents dramatiques comme celui de Bretigny-sur-Orge en 2013 ont montré la nécessité de mieux entretenir et régénérer le patrimoine ferroviaire. Il en est de même des incidents spectaculaires qui ont immobilisé les gares Montparnasse et Saint-Lazare il y a quelques mois.
Tout comme Mobilité 21 il y a cinq ans, le COI a pour objectif d'évaluer, de trier et de hiérarchiser les projets en fonction des possibilités budgétaires de l'État. Mis en place le 17 octobre 2017 par la ministre des transports, il est composé de seize membres (parlementaires, représentants d'associations d'élus et experts) et a vocation à suivre les problématiques d'investissement dans les infrastructures au-delà de la remise de son rapport. Notre lettre de mission nous demandait de contribuer à une redéfinition des mobilités pour les vingt ans à venir en nous appuyant sur l'innovation, en mesurant l'évolution des usages de nos concitoyens et en tenant compte des nouveaux impératifs que sont la transition énergétique et les capacités financières de l'État. Deux priorités se sont imposées à nous : l'amélioration des transports du quotidien, d'une part, et la modernisation des grands réseaux de communication dont l'État a la charge, d'autre part.
Notre rapport a souhaité promouvoir sept grands messages.
La transition écologique n'est pas une option et impose de donner la priorité aux mobilités actives, aux transports collectifs partagés et à la décarbonation des véhicules.
La mobilité du quotidien doit être notre fil directeur et concerner tous les territoires : urbains, périurbains et ruraux. L'amélioration des noeuds ferroviaires est aussi importante que le désenclavement routier des petites villes ou des villes moyennes.
La contrainte financière - qui s'est bien évidemment imposée à nous et était d'ailleurs explicite dans notre lettre de mission - nous a conduits à optimiser et prioriser toutes les dépenses ; de plus, il nous a paru souhaitable d'améliorer l'équilibre entre ce que paie l'usager et ce que paie le contribuable en matière de transport.
Nous avons eu en tête l'impératif de préserver la qualité des réseaux et des infrastructures existantes. On a beaucoup parlé, ces dix dernières années, de la dégradation des infrastructures ferroviaires. Or, on constate depuis quelques années, que nous devons aussi être très vigilants sur les infrastructures routières. Les classements internationaux ont d'ailleurs rétrogradé la France de plusieurs places et les indicateurs sur les chaussées et sur les ouvrages se sont aussi dégradés. Sans compter les infrastructures de la voie d'eau (les canaux, les fleuves et les rivières navigables), qui ont été trop longtemps délaissées et ont un besoin impératif de régénération, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité hydraulique.
Les infrastructures doivent être « phasées », car le temps n'est plus aux promesses mais à la mise en oeuvre et les grands projets doivent répondre à des critères réalistes : il est préférable de phaser les projets que de les repousser indéfiniment. Chaque phase doit faire l'objet d'une analyse de la valeur de façon à apporter une amélioration rapidement perceptible pour les territoires et pour les usagers.
Une politique d'investissement doit s'inscrire dans la durée pour intégrer pleinement le développement puis le déploiement des innovations. Peut-on, par exemple, ne pas tenir compte de l'arrivée des tractions à hydrogène ?
Il est indispensable de réaliser des contre-expertises des infrastructures plus en amont. Aujourd'hui, avec le Commissariat général aux investissements (CGI), la contre-expertise n'intervient que lorsque le projet est déjà complètement conçu. Or, dans certains cas comme le Grand Paris par exemple, on s'aperçoit qu'on aurait eu intérêt à en disposer plus en amont.
Nous avons dégagé quatre priorités pour répondre à l'urgence de la situation. Tout d'abord, il faut développer la qualité de service des réseaux et en assurer la pérennité. Des efforts importants s'imposent sur le réseau ferroviaire où plus de 5 000 ralentissements ont été constatés, alors qu'il n'y en avait que 3 000 à l'époque de Mobilité 21. Cela n'est pas nécessairement dû à une aggravation de la dégradation, mais aussi aux travaux des 1 500 chantiers actuellement en cours en France. Le réseau routier doit, en outre, être entretenu à son meilleur niveau, c'est une question de sécurité.
La deuxième priorité doit être de développer la performance en ville et de lutter contre la congestion et la pollution. Pour cela, il faut déployer un effort important pour les mobilités actives, optimiser les transports collectifs en zone urbaine, moderniser les noeuds ferroviaires et les grandes gares, développer le transport de rabattement en car sur voie dédiée dans les grandes périphéries urbaines et lutter contre l'autosolisme en favorisant le covoiturage.
Troisièmement, il convient de réduire les inégalités territoriales en assurant le meilleur accès pour les villes moyennes et en tenant compte des spécificités de l'outre-mer. Un plan de dix ans doit permettre de désenclaver les villes moyennes dont le réseau routier n'a que peu évolué pendant les dernières décennies.
Quatrième priorité : se doter d'infrastructures et de services de fret performants au service de l'économie française et transporter les marchandises selon le mode le plus pertinent.
Deux objectifs stratégiques ont également guidé nos travaux : placer la France à la pointe de l'innovation, notamment pour assurer les transitions énergétiques, favoriser et encadrer le développement de l'économie collaborative et promouvoir le véhicule autonome. Certains pays préparent déjà un cadre législatif et réglementaire adapté à cette innovation : ne soyons pas à la traîne et saisissons-nous de cette question !
Même si le COI s'est un peu écarté de sa lettre de mission, il a aussi considéré qu'un autre objectif stratégique était d'engager sans tarder les grands projets de liaison entre les métropoles, en commençant par les noeuds.
J'en viens à présent à la question du financement. Nous savons tous qu'il n'est plus possible de financer sans limites et la ministre des transports a eu l'occasion de dire devant vous qu'il y avait des arriérés de paiement, voire une dette... Cela est certes vrai, mais il n'y a là rien d'anormal ou d'incompréhensible. Les restes à payer de l'Afitf pour la période 2018-2022 concernent les engagements pris lors des deux dernières législatures. Souvenez-vous des engagements des lois Grenelle qui prévoyaient par exemple le lancement d'un grand programme de lignes à grande vitesse ; toutes n'ont pas été réalisées, mais quatre l'ont été, deux par une concession et deux par un financement dit « innovant », c'est-à-dire par un contrat de partenariat. L'Afitf a également eu à financer la montée en puissance d'études, d'acquisitions foncières et de travaux exploratoires pour le Lyon-Turin. Il faut y ajouter le remplacement des matériels des trains d'équilibre du territoire, pour 3,5 milliards d'euros, qui n'avaient pas été prévus par Mobilité 21. La dette se poursuit car un certain nombre de financements sont liés à des contrats de partenariat conclus pour une longue durée ; c'est par exemple le cas du GSM ferroviaire, ou de grands contrats autoroutiers, comme la liaison L2 à Marseille. Ces restes à payer sont de 6 milliards sur les cinq prochaines années, 10 milliards sur une plus longue durée, certains contrats comme la L2 allant jusqu'en 2050.
Il y a des contraintes d'endettement et il faut éviter d'aggraver le déficit public. Nous sommes descendus en dessous du seuil des 3 %, mais il faut poursuivre l'effort. Ce qui est nouveau par rapport à Mobilité 21, c'est qu'un certain nombre de dépenses qui pouvaient être engagées par des contrats de partenariat sont aujourd'hui considérées comme des dépenses maastrichiennes, qui sont consolidées dans la dette publique de l'État. Cela démode ces financements, que l'on qualifiait alors d'innovants. Enfin, il y a la problématique fiscale : nous ne pouvons pas sans arrêt recourir à la taxation.
Dans ce contexte, nous avons proposé trois scénarios au Gouvernement. On en avait proposé deux dans Mobilité 21. Le premier, le plus proche du paragraphe de la lettre de mission inspiré par le ministère des finances, est celui d'une dette maîtrisée autour d'un nombre resserré de projets, en conformité avec la trajectoire de la loi de finances pluriannuelle, mais je dois reconnaître que nous n'y sommes pas parvenus complètement. Ce n'est pas exorbitant : en 2013, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault avait accepté le scénario 2 de Mobilité 21, qui était à 2,5 milliards d'euros. Le deuxième scénario est celui qui permet d'atteindre presque complètement les objectifs fixés par le Président de la République, concernant les déplacements du quotidien et la régénération des infrastructures existantes. Enfin, le troisième scénario est plutôt celui des territoires. Il doit permettre d'accélérer les projets, en particulier s'agissant des grandes liaisons interurbaines.
Entre 2013 et 2017, nous avons fléchi à cause de l'abandon de l'écotaxe - qu'au demeurant je ne regrette pas excessivement en tant qu'ancien président de l'Afitf, car elle a été bien remplacée par les 2 centimes de TICPE, applicables à l'ensemble des véhicules, mais dont le produit revenant à l'Afitf a baissé parce qu'il a été écrêté de 400 millions d'euros dès la deuxième année. La première année, l'Afitf en a disposé pour indemniser Écomouv' mais ensuite le ministère des finances a décidé de réduire la part affectée à l'Afitf. Or nous avions des besoins et nous avons pris du retard notamment dans le paiement à SNCF Réseau de la liaison Tours-Bordeaux et de la deuxième phase de la LGV Est.
Le troisième scénario est légèrement supérieur dans la phase 2018-2022 et explose ensuite dans les trois législatures suivantes. La raison est que l'on ne saurait pas dépenser plus de 3,5 milliards d'euros dans la première phase pour des raisons de maturation des projets et d'organisation des débats publics. En revanche, après, on pourrait faire plus au titre du rattrapage, et il faudrait même atteindre 4,4 milliards d'euros. Nous serons environ à 1 % du PIB en investissement, soit un peu en dessous de ce que font les pays les plus avancés en Europe, ce qui n'est pas indigne. On pourrait faire un peu plus au titre du rattrapage.
Comment financer ces scénarios ? Nous avons eu des débats passionnés sur ce sujet. Louis Nègre était particulièrement exigeant dans la mise en lumière des taxes prélevées sur la route (TICPE et autres) et a plaidé pour ne pas aller au-delà. L'idée n'est pas mauvaise, car l'État a prélevé beaucoup sur la route ces dernières années, notamment grâce à l'augmentation de 12 centimes de la TICPE et la remontée du prix du baril de pétrole sur les derniers mois, qui permettra de dégager des recettes importantes de TVA. Soyons donc raisonnables en réaffectant une partie des recettes de la route au transport, pour financer le scénario numéro 2, pour lequel 2 à 3 centimes de TICPE suffiraient.
Si, comme nous le craignons, ces recettes ont déjà été affectées à d'autres dépenses, nous suggérons deux autres pistes : la première, c'est de relancer les discussions avec les professionnels de la route sur la niche fiscale dont ils bénéficient sur le carburant, qui représente plus de 900 millions d'euros par an pour les poids lourds et les taxis et qui va tripler d'ici à 2022 du fait de la montée de la contribution carbone des autres usagers. Il n'est pas illégitime d'en discuter la formule avec les organisations professionnelles qui, bien évidemment, en contestent le bien-fondé. C'est la deuxième proposition - flécher une partie du produit qui en résulte sur des améliorations de la route - qui est peut-être une bonne politique et constitue un facteur de sécurité et d'efficacité pour les professionnels. Troisième proposition, nous ne voulons pas rouvrir la polémique de l'écotaxe, ce qui serait inopportun et prématuré. Il faut plutôt attendre de voir ce que donnera la révision de la directive Eurovignette. Mais il est possible de réfléchir à une redevance d'usage forfaitaire. Elle avait été avancée par une grande organisation des transporteurs au moment du débat sur l'écotaxe. Peut-être faudrait-il l'étendre aux véhicules utilitaires légers (VUL), qui contribuent fortement à la pollution. Cela permettrait de taxer les poids lourds et les VUL en transit, qui ne participent pas aux dépenses d'entretien et de régénération de la voirie, qu'ils utilisent et dégradent.
S'agissant des projets et des programmes à réaliser, les programmes de régénération sont une nouveauté. Parmi les programmes prioritaires, il y a d'abord des travaux routiers, ferroviaires et fluviaux. La voie d'eau doit être prise en considération : les ouvrages créés après la guerre sont vétustes, les bétons sont usés et cela pourrait conduire à une interruption du trafic sur la Seine. Cette situation pourrait concerner d'autres voies fluviales. Nous avons pu le constater avec le Président Maurey lors d'une visite d'écluses dans les Yvelines.
Enfin, nous avons proposé de phaser les projets pour respecter nos obligations financières, en particulier pour trois projets : la liaison nouvelle Paris-Normandie, la liaison nouvelle Provence Côte d'Azur et la liaison Bordeaux-Toulouse. Il nous a semblé souhaitable de commencer à travailler sur les noeuds et, dans un second temps, sur les voies.
Nous avons été heureux de constater l'évolution des mentalités des décideurs publics, à Nice notamment, qui permet une dynamique nouvelle. Le projet de LGV à Nice n'a pas abouti à cause de désaccords profonds sur le tracé entre certaines collectivités territoriales. En 2013, une mission a proposé de changer la priorité en faisant comprendre aux élus que leur besoin n'était pas forcément la grande vitesse mais plutôt une infrastructure robuste et capacitaire pour assurer des transports de masse et réguliers. J'évoquais ce sujet avec un ministre plénipotentiaire de la principauté de Monaco, qui m'expliquait que son seul objectif était de transporter tous les jours les 25 000 salariés qui assurent le fonctionnement de la principauté avec efficacité et fiabilité, rien de plus. Nous sommes revenus à Marseille où nous avons fait des réunions avec les élus des territoires, qui veulent que les travaux commencent rapidement. Ils ont adhéré à la démarche consistant à aménager d'abord les trois noeuds de Marseille Saint-Charles, Nice-Saint-Augustin et Toulon. Ensuite, il y aura d'autres phases et notamment la création des voies nouvelles pour augmenter la capacité sur ces lignes. C'est un projet à 15 ans, qui fait preuve de réalisme et de sagesse.
S'agissant de la Normandie, nous proposons quelque chose d'identique. Il convient d'abord de régler la problématique de la gare Saint-Lazare pour assurer une plus grande robustesse de la ligne et une sécurité des horaires pour les usagers.
Enfin, s'agissant de la ligne Bordeaux-Toulouse, le projet GPSO (grand projet ferroviaire du Sud-Ouest), mis en place depuis 10 ans, acquiert une dimension nouvelle en associant l'État, les régions, les départements et les villes traversées. Il y a une attente très forte. On aurait pu imaginer autre chose depuis la recomposition des régions : il peut sembler aussi important de relier Toulouse à Montpellier, mais cela n'est pas la priorité des élus des territoires. On a donc proposé de travailler d'abord sur les problématiques d'accès à Toulouse-Matabiau et de traiter les problématiques de desserrement des contraintes au Sud. Il y aurait une première phase, Toulouse-Agen, puis Bordeaux-Agen. Le dossier Bordeaux-Dax n'est pas fermé par ailleurs, même si Dax n'a pas la même population que Toulouse et Bordeaux. Mais si demain le trafic de fret augmente fortement vers l'Espagne, on pourrait passer à cette phase nouvelle dans un troisième temps.
Nous avons essayé de faire coïncider les attentes des territoires et les capacités financières de l'État et des collectivités territoriales, car nous savons que ces dernières connaissent une baisse de leurs dotations.