Merci à tous pour ce tour de France très riche et varié, et pour l'hommage que vous avez rendu à notre travail : il était collectif, et je tiens à y associer les trois excellents rapporteurs qui m'ont accompagné. Je tiens également à remercier la DGITM et le CGEDD, dont l'expertise nous a été d'un grand soutien.
Je souhaite avant tout éclaircir notre méthode de travail : nous n'avons pas joué au bonneteau avec les projets ! Nous sommes partis de la méthode d'évaluation utilisée par la commission Mobilité 21. Celle-ci était fondée sur des critères sociaux - le bruit, notamment, que vous avez évoqué et qui constitue un problème exaspérant pour les riverains d'infrastructures -, environnementaux et d'aménagement du territoire. Nous y avons ajouté un nouveau critère : la maturité des projets. En effet, programmer par anticipation peut conduire à priver certains territoires qui ont un besoin urgent de pouvoir le satisfaire.
J'aborderai les questions de manière thématique.
Tout d'abord, le fret. Il ne figurait pas dans le projet de lettre de mission, il y a été ajouté à notre demande. Il nous paraissait en effet légitime d'aborder cette question en même temps que celle des infrastructures. Par ailleurs, on a tous rêvé d'un transfert modal important pour le fret. Hélas, je crains que nous ne devions modérer nos espoirs. J'avais interrogé le ministre des transports allemand sur ce sujet lors d'un déplacement de la commission Mobilité 21. Lorsque je lui ai demandé combien de parts de marché il espérait gagner sur le transport routier de fret, il m'a répondu : « Dans 20 ans, le fret routier aura doublé en Allemagne. Le fret ferroviaire croît en prenant des parts au transport fluvial... »
La route est aujourd'hui le mode qui répond de la manière la plus efficace, la plus fluide et la moins coûteuse à l'augmentation des échanges commerciaux et aux besoins des transporteurs. Elle est plus souple, et s'adapte donc plus vite que les autres modes. Il suffit de regarder le développement des véhicules autonomes, des trains de camions pilotés par un seul homme - peut-être même seront-ils pilotés à distance dans quelques années !
Notre sujet, c'était les infrastructures. Nous n'avions pas la possibilité, dans le temps imparti, de nous intéresser aux services de fret et à la logistique, qui sont au coeur de vos questionnements.
J'en viens maintenant aux questions sur l'Ouest. A-t-il été abandonné ?
Tout d'abord, le Couesnon n'est plus une frontière : aujourd'hui, c'est un trait d'union. J'ai présidé durant quatre ans le syndicat mixte pour le rétablissement du caractère maritime du Mont-Saint-Michel. Les Bretons n'y étaient pas associés, je leur ai ouvert la porte : cela m'a semblé d'autant plus normal que, l'État se retirant, l'aide de deux régions n'était pas de trop pour porter le dossier. Vous le voyez, je ne suis ni anti-Bretagne, ni anti-Ouest. Cependant, nous avons inauguré en juillet dernier deux lignes à grande vitesse qui ont permis de rapprocher la façade ouest de Paris : la LGV Loire-Bretagne et la LGV Tours-Bordeaux. Certes, il y a plus loin encore à l'ouest, et je ne méconnais pas les problèmes de Brest ou Quimper : seulement, nous avons réalisé récemment deux grands programmes pour cette partie du territoire.
Les problèmes routiers évoqués par M. Chevrollier me semblent entrer parfaitement dans le champ de la problématique d'amélioration de la desserte des villes moyennes. Nous n'avons pas arrêté la liste des routes nationales qui bénéficieront du programme, mais la nationale 12 sera vraisemblablement éligible, de même que la nationale 21, qui dessert les Pyrénées. Néanmoins, ce sont des problématiques qui relèvent à la fois du niveau national et des contrats de plan État-Régions.
Concernant les TET, la mission « TET d'avenir » que j'ai menée il y a quelques années avait émis plusieurs recommandations : le renouvellement urgent d'un matériel en fin de vie, l'optimisation de l'articulation entre TER et TET, un effort d'investissement sur les lignes nationales structurantes - y compris sur les lignes POCL et POLT. J'avais à l'époque suggéré le déploiement de TET sur les lignes pendulaires, et notamment sur la transversale Bordeaux-Nice, car ce sont des matériels résistants, confortables et pouvant rouler à 250 kilomètres-heure sur les voies actuelles. Les Pendolino sont la propriété d'Alstom, qui en vend au Royaume-Uni et en Pologne. Il est extrêmement dommage que l'on se prive de cette possibilité. Néanmoins, suite au rapport de la mission, le gouvernement a investi 3,5 milliards d'euros dans le remplacement du matériel et confié au préfet Philizot la délicate tâche de négocier avec les régions pour qu'elles reprennent la gestion du parc de TET. Nous avons donc avancé sur ces sujets.
Sur la ligne POLT, nous avons obtenu le maintien du train de nuit, que la SNCF voulait supprimer : ces trains ont une vocation d'aménagement du territoire, et c'est ce que nous avons défendu. Il reste bien entendu des améliorations à faire : sur la ligne POCL, il faudra doubler les investissements dans les années à venir, pour desservir plus et mieux le Massif Central.
Après l'Ouest, nous voilà donc dans le Massif Central, avec son avantage et son inconvénient : il a des paysages magnifiques, mais c'est une région montagneuse. Outre sa difficulté à traverser les montagnes, le ferroviaire est un mode de transport qui nécessite un niveau minimum de trafic : or, le Massif Central s'est vidé ces dernières années... Dans notre rapport, nous avions fait deux recommandations concernant l'Aubrac et le Cévenol. Elles paraissaient contradictoires, mais elles étaient logiques. En Aubrac, l'A75 double le trajet des voies ferroviaires et les régions y avaient déjà transféré des cars TER. Les TET transportaient seulement 7 à 8 passagers d'un bout à l'autre de la ligne : nous avons donc choisi de ne pas poursuivre dans cette voie. Dans le Cévenol, en revanche, où les routes sont particulièrement dangereuses l'hiver, c'est l'absence d'alternative qui nous pousse à maintenir une ligne TET pourtant largement déficitaire.
Revenons aux fondamentaux de la ligne POCL. À l'origine, il s'agissait de désengorger la ligne Paris-Lyon tout en dotant le centre de la France d'une infrastructure permettant une véritable politique d'aménagement du territoire. Lors de ses travaux, la commission Mobilité 21 s'est intéressée au niveau de saturation des lignes existantes : sur la plupart des lignes, celui-ci était loin d'être atteint. Nous avons donc choisi de mettre en place des observatoires de la saturation.
Dans la plupart des cas, nous n'avons pas été démentis, sauf pour une liaison, la liaison Montpellier-Béziers, qui est proche de la saturation. Sur la liaison Paris-Lyon, deux innovations peuvent permettre de regagner de la capacité : le système de signalisation embarquée ERTMS-2 qui va être mis en place sur cette liaison, comme sur Marseille-Nice, et les nouveaux matériels TGV, qui sont plus capacitaires. Cela nous permettrait de gagner une vingtaine d'années au moins. En outre, les courbes de fréquentation se sont un peu stabilisées, même s'il y a une reprise aujourd'hui.
Le POCL n'est pas abandonné, mais reporté dans le temps. C'est la raison pour laquelle il faut améliorer la ligne existante, dépasser la vitesse de 200 kilomètres à l'heure, et changer les matériels roulants. Dès cette année, le wifi sera disponible à bord sur la liaison Paris-Clermont.
Je suis surpris qu'il n'y ait pas eu de question sur l'A45. Le noeud lyonnais est l'un des endroits les plus difficiles à traiter, tant sur le plan ferroviaire que routier. Beaucoup de solutions sont sur la table, mais il faut les prioriser et les mettre en cohérence. Nous avons eu ce débat, et demandé une expertise au CGEDD sur ce point. Il y a trois sujets dans le domaine ferroviaire : le noeud ferroviaire, le contournement ferroviaire et la gare de la Part-Dieu. Nous avons priorisé le noeud par rapport au contournement. En ce qui concerne la gare, il faut l'améliorer rapidement, avant de penser à une gare à deux niveaux.
Il y a aussi le sujet du déclassement des deux autoroutes. Comment reporter le trafic ? Comment assurer le transit ? Il y a deux hypothèses, l'une à l'Ouest et l'autre à l'Est. Il y a aussi la question de l'arrivée sur Lyon depuis les villes périphériques comme Saint-Etienne. Tout était prêt pour l'A45, sauf que l'arrivée prévue de cette autoroute, outre qu'elle a suscité l'opposition des Lyonnais, ne fait que déplacer la congestion pour l'arrimer dans l'agglomération lyonnaise. Au lieu de se renvoyer la patate chaude entre collectivités ou entre l'État et les collectivités, il faudrait remettre en place un grand débat public à ce sujet, et recréer une harmonie entre régions, départements et agglomérations, comme cela s'est passé en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Cela peut sembler ambitieux, mais il est légitime de procéder ainsi avant d'engager 800 millions d'euros sur l'A45.
J'en viens à la question de l'accès au Lyon-Turin. Le projet du Lyon-Turin, comme celui du canal Seine-Nord Europe, n'était pas dans notre portefeuille. Mais ce qui se rattache à ces projets ne pouvait pas nous laisser indifférents. Puisqu'il s'agit d'un projet de long terme, nous avons décidé, en attendant, de renforcer la voie alternative pour le fret, qui existe déjà, entre Dijon et Modane. Les autres projets sont ambitieux sur le plan technique et représentent un coût faramineux.
Sur le Lyon-Turin, ce que je peux dire n'engage que moi et non le Conseil. Le tunnel en lui-même ne me dérange pas, d'autant qu'il s'agit d'un projet européen. Quand j'étais rapporteur de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire en 1999, Raymond Barre, que j'avais auditionné, avait affirmé qu'il s'agissait plus d'un projet géopolitique que d'un problème de transport. Je peux l'entendre. Si un pays comme la Suisse, qui a moins de 10 millions d'habitants, a deux tunnels, nous pouvons aussi envisager d'en avoir plusieurs.
S'agissant de Caen-Alençon-Tours, je crois que cette ligne ne sera jamais électrifiée. En revanche, il faut être vigilant sur la régénération de la partie Alençon-Le Mans, car s'il n'y a pas d'amélioration d'ici 2023, SNCF Réseau pourrait ne plus exploiter la ligne, ce qui serait insensé vu l'ensemble des activités implantées au Mans.
Ce sujet nous ramène à la question de la technologie. Le train à l'hydrogène est-il prometteur ? Nous devons l'expérimenter, comme le font les Allemands. Alstom, qui est une entreprise française, maîtrise cette technologie. Sans entrer dans le détail de chacune des lignes, avant d'électrifier de nouvelles lignes, surtout lorsque les évaluations socioéconomiques ne sont pas bonnes, il faut se poser la question. L'hydrogène peut être une bonne réponse, en même temps qu'il constitue un tremplin pour l'industrie française.
Ce qui a été signé dans le cadre des CPER engage certes l'État, mais une renégociation à mi-parcours est prévue. C'est dans ce cadre qu'il faut évoquer ces sujets.
Sur la question du poids de ce rapport, posée par Patrick Chaize, je dirai qu'il vaut ce que valent tous les rapports. Il est à la disposition des pouvoirs publics et permet l'information de nos concitoyens. Je suis néanmoins confiant au sujet de l'usage qui pourra en être fait. Lorsque nous avons lancé la commission Mobilité 21, avec Frédéric Cuvillier, nous avions fondé des espoirs assez limités et pensions que ce rapport serait profondément critiqué. Il y a eu des critiques, mais elles se sont stabilisées et un grand nombre des recommandations faites ont été reprises.
Le rapport du Conseil d'orientation des infrastructures répond à une commande du Gouvernement et s'inscrit en phase avec ses orientations. Nous pouvons donc présager qu'il sera repris, sous une forme que j'ignore : la reprise d'un scénario, le mélange entre plusieurs des scénarios, etc. Il appartient désormais au Gouvernement et au Parlement d'en discuter, dans le cadre de la loi sur les mobilités. C'est un sujet passionnant, mais aussi difficile dans le contexte de maîtrise de la dépense publique.
Nous avons regardé le projet de l'A31 avec beaucoup d'attention. Nous sommes allés à Nancy, Metz et Luxembourg. Il est nécessaire de redimensionner l'autoroute existante, qui est non concédée et dégradée. Elle ne suffit plus, au regard du trafic des poids lourds et des frontaliers. Il faudrait concéder la partie Thionville-Luxembourg, mais prévoir une maîtrise d'ouvrage publique sur Thionville-Metz et Metz-Nancy. L'hypothèse d'un barreau extérieur à la hauteur de Nancy avait été évoquée, mais le maire et le président de l'agglomération n'y sont pas favorables, ce que nous avons entendu. Il ne nous appartient pas de dire s'il faut confier la maîtrise d'ouvrage à la région.
En ce qui concerne la 2x2 voies du Chablais, nous ne pouvons pas nous en désintéresser, mais il s'agit d'un sujet local au sens large du terme, dans la mesure où il est transfrontalier. C'est un sujet légitime, mais il nous a semblé que le département pourrait en assurer la maîtrise d'ouvrage. Pour cela, il faudrait modifier la loi. C'est un sujet qui était très cher à Jacques Oudin, l'un de vos prédécesseurs avec qui j'avais travaillé. Jusqu'à présent, les gouvernements s'étaient opposés à la tarification des 2x2 voies nouvelles sous maîtrise d'ouvrage publique, alors que les collectivités territoriales peuvent, par ailleurs, prévoir une tarification pour l'usage d'un pont ou d'un tunnel. L'État ne peut plus être partout. Il y a aussi des appréciations critiques de l'autorité environnementale, dont l'État ne pourrait s'affranchir.
Les territoires ruraux sont un sujet prioritaire et difficile à traiter, car ils présentent la caractéristique d'avoir une densité faible et une population éparpillée. Il y est dès lors difficile d'organiser des transports en commun, voire du transport à la demande. Trois axes peuvent être identifiés.
Premièrement, et c'est une idée de la ministre des transports, il faut combler les vides en matière de couverture du territoire par les autorités organisatrices de transport. Il faut également mettre en place des plateformes de covoiturage et aménager des parkings-relais, ce qui relève davantage des niveaux départemental et régional. Enfin, quelqu'un a évoqué le véhicule autonome en parlant de la ville. Peut-être qu'il présentera plus d'intérêt dans le monde rural, en permettant un service de transport à la demande beaucoup moins coûteux que celui assuré en bus ou en minibus. Nous devons expérimenter cela dès que possible. Le problème du véhicule autonome réside dans son stockage. Cela représente un problème en ville, lorsque l'on sait qu'un véhicule roule en moyenne 5 à 10 % de la journée.
Pour répondre à la question posée par Jean-Michel Houllegatte, nous souhaitons réduire la durée des procédures mais savons que ce sera difficile, parce que l'imagination du Parlement est importante, et parce qu'on essaie toujours de répondre à la demande des citoyens en matière environnementale et d'enquête publique. Mais nous souhaiterions également qu'il y ait des possibilités d'adaptation des projets avant leur mise en oeuvre.
Par exemple, pour revenir sur l'A45, nous savons que ce projet est primordial pour la région stéphanoise, mais que la solution trouvée pour arriver à Lyon n'est pas satisfaisante. Cependant, comme le dossier est ficelé - le débat et les enquêtes publics ont déjà eu lieu -, on ne peut plus rien changer, sauf à recommencer toutes les procédures, ce dont personne n'a envie. Je fais ici appel à l'imagination des parlementaires, mais il faudrait trouver un moyen de permettre des adaptations dans un cadre juridique solide, soit parce que le projet initial n'est pas satisfaisant, soit parce que le temps passé a conduit les besoins à évoluer. Le projet de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes est un bon exemple de ces dossiers qui, malheureusement, ont perdu de la pertinence avec le temps. Je ne dis pas qu'un aéroport ne serait pas utile pour l'Ouest, ou que l'extension de l'aéroport existant ne présente pas d'inconvénients. Mais, il y a quarante ans, on ne s'intéressait pas aux zones humides, les ingénieurs se sont peut-être fait plaisir en prévoyant deux pistes, alors qu'une seule aurait pu suffire, etc. Il n'est pas bon de faire durer les projets : ils perdent de leur pertinence et leur acceptabilité sociale devient plus compliquée. Ces sujets méritent une réflexion approfondie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.