Intervention de Nathalie Beaudemoulin

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 7 février 2018 à 9h35
Les risques et enjeux liés à l'essor des monnaies virtuelles — Audition

Nathalie Beaudemoulin, coordinatrice du pôle Fintech innovation à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution :

J'anime le pôle Fintech innovation de l'ACPR, créé en juin 2016 pour guider les acteurs innovants dans leur parcours réglementaire. Nous travaillons sur les freins réglementaires et animons un forum Fintech pour dialoguer avec les acteurs innovants. Depuis notre création, nous avons reçu plus de 200 d'entre eux, désireux de créer des activités financières, souvent d'intermédiation. En 2017-2018, un nombre croissant d'acteurs sont venus nous voir pour savoir comment exercer des activités relatives aux crypto-actifs et comprendre le cadre applicable à ces activités. Ils souhaitent, pour certains, clarifier, comprendre le statut dont ils dépendent.

Il existe différentes activités : le service d'échanges entre crypto-actifs et monnaie légale ; l'achat et la vente de crypto-actifs physiques, y compris via des distributeurs semblables à des distributeurs de billets, certains prestataires disposant d'un stock en propre ; le service d'échange entre acheteurs et vendeurs, en tant que pur intermédiaire ; la conservation pour le compte de tiers de clés crypto-graphiques privées pour la détention, le stockage ou le transfert de crypto-actifs.

La détention de crypto-actifs sous chaîne de blocs (blockchain) s'appuie sur deux clés crypto-graphiques, l'une publique et accessible à tous, qui permet d'identifier les différents portefeuilles mais pas leur propriétaire, et l'autre privée, qui permet au détenteur du portefeuille sur lequel sont inscrites les unités de crypto-actifs de les utiliser et de les transférer vers un autre portefeuille. Seule la connaissance conjointe de ces deux clés donne la possibilité d'effectuer des opérations sur les crypto-actifs.

Une autre activité est l'échange de crypto-actifs contre d'autres crypto-actifs. Il existe, en outre, des activités de levées de fonds en crypto-monnaie et des produits d'investissement ou des dérivés sur crypto-actifs.

Les risques sont le blanchiment, le financement du terrorisme et d'autres activités illégales, les clés de détention étant anonymes. C'est comme si aucun nom ne correspondait à un IBAN mais que toutes les opérations réalisées avec cet IBAN étaient visibles de tous. Les consommateurs et investisseurs encourent des risques liés à l'achat d'un produit extrêmement volatil, puisqu'aucune régulation n'est applicable, y compris pour la protection des investisseurs.

Les cyber-risques liés à l'intégrité des plateformes sont très significatifs. Les serveurs où les clés privées sont stockées peuvent être piratés et les fonds transférés.

Les risques sur la stabilité financière ne sont pas avérés à ce stade, mais la volumétrie croissante des opérations et les connexions avec la sphère financière traditionnelle pourraient à terme entraîner la survenance de ces risques.

Le cadre réglementaire applicable, assez partiel aujourd'hui, est celui des services de paiement. En 2014, l'ACPR a estimé que, dans le cas d'une opération d'achat-vente de bitcoins contre une monnaie légale, l'activité d'intermédiation entrait dans le cadre de la fourniture de services de paiement et relevait donc de la première directive sur les services de paiement - ensuite complétée en 2015. Ces deux textes comprennent des règles de lutte anti-blanchiment. Toutefois, cette position française n'est pas partagée à l'échelle européenne. L'ACPR a formulé une nouvelle demande de clarification auprès de l'Autorité bancaire européenne.

L'autre cadre applicable est celui de la lutte anti-blanchiment. Selon la quatrième directive européenne, qui prépare la cinquième, les plateformes de conversion des monnaies virtuelles contre les monnaies légales et les fournisseurs de services de garde de ces fameuses clés crypto-graphiques privées vont être soumis à la lutte anti-blanchiment. Ils seront obligés de s'immatriculer et de subir un contrôle d'honorabilité et de compétence de leurs dirigeants et des bénéficiaires effectifs.

En France, l'article L 561-2 du code monétaire et financier, modifié en décembre 2016, prévoit que toute personne qui, à titre de profession habituelle, se porte elle-même contrepartie ou agit en tant qu'intermédiaire pur en vue de l'acquisition ou la vente de tout instrument contenant un crypto-actif sera soumise à la réglementation relative à la lutte anti-blanchiment. Toutefois, les solutions de garde de clé ne sont pas concernées.

La régulation est partielle. Elle est focalisée sur la lutte anti-blanchiment et sur les plateformes d'échange de crypto-actifs en espèces, donc vers le monde réel. Néanmoins, les risques s'accroissent, avec l'augmentation des valeurs, du nombre de clients et des types d'activités possibles. Nous appelons aujourd'hui à la mise en place d'une régulation idoine, qui s'articule autour des règles de lutte contre le blanchiment, de la protection des clients, de la sécurité des opérations et de la technologie des plateformes ainsi que de la solidité financière des prestataires.

Bien évidemment, comme les crypto-actifs n'ont pas de frontières, ce cadre devrait être au moins européen et plus certainement international.

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