Lorsque j'ai accepté d'être rapporteure de cette proposition de loi, je ne prévoyais pas qu'elle déchaînerait de telles passions. Beaucoup d'entre vous ont subi un déferlement de mails passionnés, parfois mensongers, affirmant notamment que la volonté sous-jacente à la proposition de loi était de tuer l'école libre. Si certains nourrissent des inquiétudes à ce sujet, je les rassure : ce ne sont pas deux sénatrices d'Ille-et-Vilaine et de Vendée qui souhaitent empêcher l'ouverture ou le maintien d'écoles privées !
La proposition de loi reprend mot pour mot un amendement que le Sénat avait adopté à l'article 39 du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté, à l'initiative de la commission spéciale dont plusieurs d'entre nous faisaient partie. Il s'agissait d'une réponse au Gouvernement, qui tentait d'imposer un régime d'autorisation préalable pour l'ouverture des écoles privées. L'amendement démontrait qu'il était possible de conserver un régime déclaratif tout en l'actualisant et le sécurisant. Le Conseil constitutionnel censura l'article 39, adopté dans la rédaction du Gouvernement, pour des raisons de forme. Cette décision, certes respectueuse des libertés publiques, ne résolvait pas le problème que pose le régime actuel, dépassé, incohérent et dangereux.
Il se décline en trois procédures distinctes, en fonction de la nature de l'enseignement dispensé par l'établissement - premier degré, second degré général ou enseignement technique. Ces procédures ont été définies respectivement par les lois Goblet du 30 octobre 1886, Falloux du 15 mars 1850 et Astier du 25 juillet 1919. Elles font intervenir, à chaque fois de manière différente, le maire, l'autorité académique, le préfet et le procureur de la République. Elles fixent des délais extrêmement brefs au maire et aux services de l'État - respectivement huit jours et un mois, pour des décisions à prendre souvent en période estivale - et ces derniers ne peuvent s'opposer à l'ouverture de l'établissement que pour des motifs liés aux bonnes moeurs et à l'hygiène ; pour l'enseignement technique, sont pris en compte l'ordre public et la nature de l'enseignement dispensé. Curieusement, il est impossible de s'opposer à une ouverture sur les critères de fermeture de l'établissement, comme l'absence de diplôme du directeur ou sa condamnation pour crime ou délit contraire à la moralité.
Les possibilités d'action après l'ouverture de l'école sont également minces, ce qui place les élus et les services de l'Etat devant le fait accompli. Une école ayant ouvert en méconnaissance des obligations légales ne peut être fermée que par le juge judiciaire, ce qui implique des délais assez longs.
Le caractère obsolète de ces dispositions a été mis en lumière à la faveur de l'engouement nouveau pour les écoles hors contrat. Je n'émets aucun jugement de valeur sur ce phénomène, dont les causes sont multiples : individualisme croissant, défiance vis-à-vis de l'école publique voire du privé sous contrat, choix d'une éducation religieuse, préférence pour des pédagogies alternatives... La fréquentation des écoles hors contrat s'accroît vivement, surtout dans le premier degré : le nombre d'écoles et d'élèves y a plus que doublé entre 2011 et 2017.
Mais face à des phénomènes de radicalisation religieuse, de sectarisme, d'amateurisme ou d'insuffisance pédagogique, l'inadéquation et la dangerosité des dispositions actuelles sont patentes. L'école al-Badr de Toulouse, légalement ouverte, a été fermée par une décision du tribunal correctionnel en décembre 2016 après quatre contrôles des services de l'éducation nationale et presque deux ans de procédure. Mais lorsque la même équipe pédagogique dépose à l'été 2017 une déclaration d'ouverture - dans les mêmes locaux - l'opposition du recteur est jugée illégale car fondée uniquement sur les bonnes moeurs, et annulée ! Les enfants sont en danger et nous ne saurions, par notre inaction, être complices de cette situation.
Il faut concilier plusieurs principes juridiques : le droit de créer un établissement d'enseignement et le droit des parents de choisir l'instruction de leur enfant, qui participent de la liberté de l'enseignement, laquelle constitue l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ; le droit de l'enfant à l'instruction, défini à l'article L. 111-1 du code de l'éducation et par divers engagements internationaux - dont la Déclaration universelle des droits de l'homme. Un équilibre doit aussi être trouvé entre protection des enfants et facilité d'ouverture d'une école : mettre la marche trop haut risquerait de reporter une partie des projets d'école vers l'instruction à domicile et les écoles clandestines.
C'est cet équilibre auquel parvient la proposition de loi de Françoise Gatel, dont plusieurs d'entre nous, appartenant à des groupes différents, sont signataires, ainsi que les présidents de la commission des lois et de la commission des affaires sociales.
Son article premier simplifie le droit existant pour l'ouverture des établissements. Il unifie les trois régimes d'ouverture et les encadre mieux en allongeant les délais d'examen et en ménageant la possibilité de s'opposer à l'ouverture d'une école pour des motifs qui justifieraient sa fermeture. L'autre priorité de la proposition de loi est le renforcement du contrôle a posteriori. Il y a en effet des limites au contrôle sur pièces au moment de l'ouverture : l'enseignement dispensé ne peut s'apprécier que lorsque l'école fonctionne. Les deux phases du contrôle, à l'ouverture et après, sont complémentaires. Malgré un sursaut des services de l'État après 2015, les vérifications sont encore lacunaires et, lorsque des manquements sont constatés, les procédures sont insuffisamment claires et opérationnelles. L'article 2 les clarifie et les renforce.
Enfin, dans le même esprit de simplification, qui bénéficiera aux porteurs de projets comme aux élus et aux services de l'État, la proposition de loi harmonise les conditions d'exercice des directeurs et enseignants des établissements privés, qui diffèrent fortement entre le premier, le second degré et l'enseignement technique. Là encore, le droit en vigueur est curieusement beaucoup plus contraignant pour les établissements techniques que pour l'enseignement général et particulièrement le primaire, alors que c'est à ces stades que la conscience des enfants est la plus fragile.
À l'article premier, l'amendement que je vous soumets - avec l'accord de Mme Gatel - simplifie encore les procédures. À la place des deux déclarations existantes, une seule sera effectuée auprès des services académiques, qui joueront un rôle de guichet unique. Les délais d'opposition sont unifiés à trois mois pour tous les acteurs, y compris le maire, et les motifs d'opposition sont rénovés : ordre public ; protection de l'enfance et de la jeunesse - qui remplace l'hygiène et les bonnes moeurs ; méconnaissance des conditions d'exercice du demandeur et du directeur, qui sont désormais clairement distingués - ce qui va dans le sens d'un plus grand respect de la liberté de créer une école ; méconnaissance du caractère scolaire ou technique de l'établissement projeté. Enfin, parce qu'il s'agit de la solution offrant la plus grande sécurité juridique, les modalités de constitution du dossier sont renvoyées à un décret en Conseil d'État.
Je vous propose également une nouvelle rédaction de l'article 2, qui porte sur le contrôle de l'enseignement dispensé par les établissements hors contrat. Dans sa version initiale, la proposition de loi prévoyait un contrôle annuel de l'ensemble des classes hors contrat. Cette solution paraissait intéressante mais n'est pas réaliste, compte tenu des moyens disponibles, qu'elle aboutirait à disperser. En revanche, je vous propose de prévoir un contrôle obligatoire lors de la première année d'exercice, qui semble le minimum. Malheureusement, cela n'est pas encore le cas : 73 % seulement des écoles ayant ouvert à la rentrée 2017 seront contrôlées d'ici fin juin. Afin de contrôler la moralité des enseignants selon les mêmes modalités que leurs homologues du public et du privé sous contrat, je propose d'introduire une déclaration annuelle, à chaque rentrée, des noms et titres des enseignants. Le reste de mon amendement consiste en des modifications d'ordre rédactionnel qui clarifieront la procédure.
À l'article 3, j'ai entrepris une unification ambitieuse des conditions d'exercice des directeurs et des enseignants, tous niveaux confondus. Il s'agissait d'une demande forte des établissements privés, qui accueillent souvent des élèves de la maternelle à la terminale, voire au-delà, et sont gênés par la diversité des conditions prévues dans le droit en vigueur.
Enfin, je vous propose un article additionnel qui réalise diverses coordinations dans les codes pénal, des impôts, du travail et de l'éducation.
Voilà dans quel état d'esprit j'ai travaillé. J'ai entendu l'ensemble des parties prenantes et rencontré les services de différentes académies. Ce que je vous présente est le fruit d'un travail de compromis, qui vise à instituer un régime le plus simple et le plus efficace possible, tant du point de vue des citoyens que des élus et de l'État. Cette proposition de loi répond à un véritable problème, que nous ne pouvons pas ignorer, et qui, faute d'une action déterminée, ira en s'amplifiant.