Intervention de Louis Chauvel

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 18 janvier 2018 à 8h30
Audition de M. Louis Chauvel sociologue professeur à l'université du luxembourg auteur de « la spirale du déclassement » dans le cadre de la préparation du rapport d'information sur le pacte des générations

Louis Chauvel, sociologue, professeur à l'Université du Luxembourg :

Je vais essayer de répondre à toutes ces questions passionnantes, d'une manière qui ne sera peut-être pas exhaustive.

Avec la fin du système de Bretton Woods, nous sommes passés d'une société inflationniste à la fin des « Trente glorieuses », qui investissait dans l'avenir par la dette, ce qui était excellent pour les jeunes générations, à une société qui épargne pour accroître son patrimoine. Henri Mendras souligne que les gens qui ont eu 20 ans en 1962, année de la fin de la guerre d'Algérie, sont les premières générations qui n'ont pas du tout connu les guerres du XXe siècle. Ce n'est pas un hasard si la rupture vers la rigueur intervient en 1984. Nous sommes alors passés d'une génération qui a pu rembourser ses emprunts par l'inflation à une génération qui a commencé à sentir le poids de son endettement. Ce phénomène n'a été que pour partie compensé par la hausse des prix immobiliers. En 1984, un professeur agrégé pouvait avec son salaire annuel acheter 9 m² dans Paris. Aujourd'hui, il ne peut plus acheter que 3 m².

Ce passage a eu un fort effet de clivage entre les générations. Quand vous utilisez l'indicateur de l'inflation de l'INSEE, n'oubliez pas qu'il n'inclut pas la valeur économique des logements. En effet, du point de vue des statisticiens, ce qui est bien pour les uns peut-être épouvantable pour les autres, et globalement tout s'équilibre. Quand vous prenez en compte le patrimoine, et pas seulement le revenu, vous constatez que les inégalités ont explosé. Il y a un nouveau clivage entre ceux qui ont et ceux qui n'ont pas. Prenez, par exemple, le salaire de référence de la fonction publique, qui est d'environ 4 000 € par mois. Aujourd'hui, que pouvez-vous acheter avec ça ? C'est pourquoi, lorsque l'on regarde les seuls revenus, on peut penser à tort qu'il ne se passe rien. Mais, aujourd'hui, pour assurer un train de vie confortable, vous avez le choix entre travailler 70 heures par semaine comme avocat ou simplement faire un bon mariage. De nouveau, comme au XIXe siècle, il y a parfois plus d'intérêt à compter sur son conjoint qu'à travailler soi-même.

En ce qui concerne la natalité, je m'étonne qu'elle n'ait pas fléchi plus tôt. La structure des classes sociales n'est pas axée uniquement sur la distinction entre possédants et travailleurs. Je ne mets ici aucun jugement moral, mais je trouve gênante la revendication des syndicats étudiants d'obtenir des allocations pour les jeunes qui font des études, alors qu'ils sont quand-même privilégiés par rapport aux jeunes sortis du système scolaire. Mais ces derniers ne sont pas organisés pour être représentés.

Vous avez évoqué aussi la question de l'opposition entre le court terme et le long terme. Je suis frappé de voir combien sont peu nombreux les responsables politiques qui se sont intéressés à ces questions. La fraternité est une belle valeur, mais c'est par nature une relation inégale. Les jeunes sont surtout riches de leur capacité de vie, de leur énergie, de leur capital de santé, et en même temps, ils se trouvent dans une situation de forte déstabilisation par rapport à leurs prédécesseurs des années 1970. Il n'est pas besoin de leur mentir.

Avant tout, il existe des rapports de paternité et de maternité, de patrimoine et de matrimoine, entre des générations dissymétriques. Savoir si nous allons inventer une société postindustrielle est une question intéressante. On trouve aujourd'hui des développements sur ces aspects de dissymétrie culturelle entre les générations. Néanmoins, on observe un abaissement absolu des conditions de vie matérielles des enfants et des petits-enfants. Or, on ne fait pas naître la génération suivante seulement avec des idées généreuses. N'oublions pas que les enfants, il faut d'abord du lait pour les nourrir et des mètres carrés pour les loger. C'est pourquoi les conditions matérielles de la politique familiale et de la reproduction des générations ne doivent pas être négligées quand on pense à l'avenir. Tout ceci se discute d'autant plus facilement que l'on a personnellement une vie relativement confortable.

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