Intervention de Nathalie Loiseau

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 février 2018 à 17:5
Institutions européennes — Audition de Mme Nathalie Loiseau ministre auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargée des affaires européennes sur le suivi des résolutions européennes du sénat

Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

Les résolutions adoptées par le Sénat éclairent le Gouvernement sur des sujets majeurs, mais parfois un peu techniques : la défense des intérêts économiques de l'Union européenne, l'avenir de la politique agricole commune, celui de l'Union économique et monétaire, la transition énergétique ou encore l'objectif d'une énergie propre pour tous. Le rapport des cinq présidents sur l'Union économique et monétaire, de juin 2015, est presque ancien compte tenu du rythme de nos travaux, mais sa structure en trois phases reste largement d'actualité.

La première phase, dite d'« approfondissement par la pratique », s'est achevée fin 2017, avec des réformes qui pouvaient être mises en oeuvre en s'appuyant sur les instruments existants : stimuler la compétitivité et la convergence structurelle, compléter l'union financière, poursuivre la consolidation budgétaire.

La seconde phase dite d'« achèvement de l'Union économique et monétaire » a commencé en 2017, avec un processus de convergence rendu plus contraignant, la fixation de normes se rapprochant des objectifs du pacte de stabilité et de croissance dans les domaines du marché du travail ou bien encore de l'environnement des entreprises, mais aussi la mise en place d'un mécanisme de stabilisation budgétaire pour la zone euro, conçu comme l'aboutissement de ce processus de convergence.

Enfin, au cours de la phase finale, d'ici à 2025, les réformes mises en oeuvre produiraient leurs fruits.

Le bilan de la première phase est considérable. Le semestre européen fonctionne bien, même s'il existe une marge de progression sur la mise en oeuvre des recommandations. Il a profondément évolué, avec une dimension sociale renforcée, que la France a fortement soutenue. Le dialogue avec la Commission est aussi désormais plus fluide, notamment grâce à l'envoi, dès février, du projet de rapport pays. Le comité budgétaire européen est désormais en place et a rendu un premier rapport en novembre 2017. Cette analyse d'un cycle complet de surveillance budgétaire permet de mettre en perspective la mise en oeuvre des règles budgétaires et présente aussi le mérite d'être disponible en ligne.

Mais les plus grandes avancées concernent l'Union bancaire dont le socle de règles communes et les deux premiers piliers sont pratiquement achevés. Les discussions au Conseil sur le mécanisme européen de garantie des dépôts bancaires, troisième pilier de l'Union bancaire, ont cependant montré une ligne de partage claire entre les États qui mettent l'accent sur la mutualisation du risque - la France, l'Italie, le Portugal ou l'Espagne -, et ceux qui insistent sur le respect des règles existantes pour réduire d'abord le risque - l'Allemagne et les Pays-Bas. Nous sommes très vigilants sur les conséquences possibles pour les établissements bancaires français

L'effort doit aussi porter sur l'achèvement de l'Union économique et monétaire, en mettant notamment en place une capacité budgétaire de la zone euro, pour permettre de résister aux chocs macroéconomiques, ainsi que de financer des investissements. Nous pourrons ensuite régler la question du pilotage politique par un ministre européen et d'un contrôle parlementaire européen exigeant. Il semble que, dans le contrat de coalition qu'ont signé ensemble la CDU, la CSU et le SPD, figure une mention explicite du soutien à l'investissement au sein de la zone euro et augure d'avancées intéressantes.

Sur la politique commerciale, le Gouvernement est mobilisé pour que l'Europe puisse mieux protéger nos compatriotes au travers d'une approche plus réaliste des rapports de force commerciaux. Cela va dans le sens de votre résolution de janvier 2017. Il s'agit, non pas de protectionnisme, mais du rétablissement des conditions de concurrence équitables. La France s'est fortement engagée au Conseil et a obtenu des avancées sur la réforme des instruments de défense commerciale. Un accord politique a été trouvé le 5 décembre 2017. La réforme, lorsqu'elle entrera en vigueur, je l'espère en juin prochain, permettra de lever la règle dite du « droit moindre » et de dissuader plus fortement ceux qui faussent la concurrence.

La nouvelle méthodologie anti-dumping est entrée en vigueur en décembre 2017. Elle nous permet à la fois de maintenir notre niveau de protection et de sortir du débat sur le statut d'économie de marché de la Chine, puisqu'elle s'applique à tous.

Comme le texte de votre résolution nous y invite, nous sommes déterminés à aller plus loin, en particulier sur les marchés publics. L'Union ne peut rester totalement ouverte si nos grands partenaires sont fermés. Nous travaillons pour que les discussions, bloquées au Conseil depuis 2016, reprennent sous la présidence bulgare.

Nous devons aussi être plus vigilants collectivement face aux investissements étrangers en Europe, car les dispositifs nationaux sont inégaux. La Commission a présenté, sur notre demande, une nouvelle initiative législative, en cours de discussion au Conseil, en faveur d'une meilleure coopération européenne dans ce domaine sensible.

Enfin, la résolution appelait à une plus grande transparence et à une meilleure information sur les sujets de politique commerciale. Une commission d'experts indépendants a été mise en place pour faire toute la lumière sur l'impact du CETA, cet accord économique et commercial global, ainsi qu'un plan d'action et un comité de suivi de la politique commerciale. Nous continuerons à travailler conjointement pour approfondir ce dialogue régulier entre le Gouvernement et le Parlement.

Avec les deux résolutions 101 et 129 sur le paquet législatif « Une énergie propre pour tous les Européens », le Sénat a réalisé un travail d'ampleur. La lutte contre le dérèglement climatique est un défi considérable, y compris pour créer des emplois sur le sol européen dans des filières industrielles innovantes. Quelle est la perspective d'ensemble ? Après les deux orientations générales sur l'efficacité énergétique de juin 2017, des avancées importantes ont été obtenues lors du Conseil du 18 décembre 2017 sur la directive et le règlement définissant le marché de l'électricité, sur le règlement relatif à la gouvernance de l'Union de l'énergie et sur la révision de la directive « renouvelables ».

Vous aviez souligné votre préoccupation à l'égard de la proposition de la Commission de supprimer les tarifs réglementés de vente. La France a su construire une coalition pour supprimer cette disposition : il restera possible de réglementer les prix, dans les limites de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.

Vous insistiez sur le danger de créer des centres de conduite régionaux qui pourraient imposer leur volonté au gestionnaire de réseau national d'électricité. Nous estimons aussi qu'il s'agirait d'une violation du principe de subsidiarité. Ce concept a disparu, on ne parle plus désormais que de centres de coordination régionaux.

Vous aviez souligné l'importance des mécanismes de capacité qui garantissent la sécurité d'approvisionnement et de l'ouverture transfrontalière réciproque de tous les types de mécanismes. La France a obtenu satisfaction : le niveau européen ne pourra pas interdire aux États membres de mettre en place de tels mécanismes, mais la charge de la preuve est inversée.

Enfin, la révision de la directive sur les énergies renouvelables constitue une étape essentielle pour la transition énergétique en Europe. Le Sénat nous avait mis en garde sur une ouverture par défaut des appels d'offres renouvelables aux capacités étrangères. Le Gouvernement a défendu une ouverture volontaire et a été largement suivi. Quant à une approche « technologiquement neutre » du soutien aux renouvelables, nous avons défendu la possibilité de conduire des appels d'offres spécifiques par technologie. La totalité de cette proposition n'a pu être reprise, mais nous avons desserré la contrainte.

Nous nous réjouissons que le Conseil maintienne le plafond actuel de 7 % pour les biocarburants de première génération entre 2020 et 2030 ; c'est un bon compromis. Seule reste donc ouverte la négociation sur le règlement ACER, sur lequel les positions du Gouvernement et du Sénat convergent.

Concernant l'avenir de la PAC, la Commission a publié, le 29 novembre 2017, sa « Communication sur l'avenir de l'alimentation et de l'agriculture », avec l'idée-force de recourir davantage à la subsidiarité.

Les principaux objectifs de la politique resteraient évidemment définis au niveau européen, mais les États membres auraient une marge de manoeuvre plus grande. Certains ont évoqué un risque de renationalisation de la PAC. Or la France, comme le Portugal et l'Irlande, n'acceptera aucune renationalisation, même partielle. Le commissaire Phil Hogan a rappelé lui-même, lors du Conseil agriculture du 29 janvier dernier, que cette option n'était pas envisagée par la Commission. Le contrat de coalition allemand confirme la nécessité de maintenir le niveau actuel de la PAC. Nous allons engager des discussions plus approfondies avec nos partenaires allemands pour obtenir un financement à 100 % communautaire du premier pilier de la PAC.

Le Président de la République a redit son ambition pour la PAC : assurer la sécurité et la souveraineté alimentaires de l'Union, mais aussi renforcer la compétitivité du secteur agroalimentaire, tout en garantissant aux agriculteurs un revenu décent. La future PAC devra être plus simple, plus efficace et moins tatillonne, permettre le développement des entreprises agricoles et agroalimentaires, en assurant un juste prix pour les producteurs, en favorisant le travail en filière et en adaptant les règles et dispositifs aux spécificités de chacune d'entre elles. Les financements européens devraient renforcer la gestion des risques qui est insuffisamment prise en compte, responsabiliser les acteurs, valoriser et rémunérer les services environnementaux de l'agriculture, favoriser les transitions climatiques, énergétiques, territoriales. Il nous faudra rénover le fonctionnement de la réserve de crise agricole européenne, mais aussi développer des outils comme les fonds de mutualisation, l'épargne de précaution ou encore les assurances climatiques. Il est nécessaire de se concentrer sur la valeur ajoutée européenne de la PAC, d'où notre opposition à tout cofinancement du premier pilier.

La négociation du prochain cadre financier pluriannuel, qui devrait débuter en mai prochain, permettra de trouver des financements. Mais la PAC ne sera pas la variable d'ajustement, nous l'avons dit haut et fort à la Commission comme à nos partenaires.

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