Intervention de Gérald Darmanin

Commission spéciale Etat pour une société de confiance — Réunion du 7 février 2018 à 14h30
Audition de M. Gérald daRmanin ministre de l'action et des comptes publics

Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics :

C'est un honneur pour moi que de me rendre devant votre commission. Ce texte, que l'on appelle en effet communément projet de loi « Droit à l'erreur » est en réalité plus large puisqu'il s'agit d'un projet de loi pour un Etat au service d'une société de confiance. Nous avons travaillé ensemble sur les lois financières : vous connaissez mon état d'esprit d'ouverture. Il se manifestera tout particulièrement sur ce texte, qui est autant gouvernemental que parlementaire. La volonté du Président du Sénat et de son Bureau d'engager, à l'occasion de son examen, la procédure législative nouvelle de législation en commission, qui veut, à terme, qu'un texte soit débattu et adopté en commission, sans passer en séance publique, marque la détermination du Sénat à travailler avec sérieux et efficacité, au nom de l'intérêt général, étant entendu que s'il peut exister des divergences, elles ne sont que d'appréciation. Je l'ai dit, à l'Assemblée nationale, à la présidente de la commission spéciale, Mme Sophie Errante, et à son rapporteur, M. Stanislas Guerini, il serait bon de parvenir à une commission mixte paritaire conclusive. Sachez que le gouvernement fera passer le message pour que le compromis le plus efficace voie le jour. Je veux ici rappeler à quel point nous avons travaillé dans un esprit de coconstruction. Après 20 heures de discussion en commission, nous avons eu, avec les députés, trois jours et trois nuits de débats en séance, au cours desquels 966 amendements ont été examinés, parmi lesquels 143 ont été adoptés, dont 117 émanant des parlementaires, pour un tiers émanant des oppositions. Voilà qui témoigne d'un travail collectif et de l'esprit d'ouverture du gouvernement, qui sera toujours, avec Olivier Dussopt, le nôtre.

Ce texte est à la fois simple et compliqué. Simple, parce qu'il pose le principe du droit à l'erreur, qui est un principe de bienveillance en ce sens que la charge de la preuve retombe sur l'administration, quand c'était jusqu'à présent à l'usager de faire la preuve de sa bonne foi, ce qui change énormément de choses dans la vie administrative de notre pays. Et cela ne concerne pas seulement les questions fiscales, même si l'Assemblée nationale s'y est beaucoup -peut-être un peu trop- penchée. Je ne doute pas que votre assemblée s'attachera à considérer les conséquences de ses dispositions pour les collectivités territoriales, car il apportera de profonds changements, que les études d'impact ne reflètent qu'imparfaitement, car il est assez difficile de mesurer l'impact de quelque chose qui n'existe pas encore - et sans doute est-ce là une limite de l'évaluation ex ante.

Mais ce texte est aussi complexe, parce qu'il n'ouvre pas la porte à toutes les mesures de simplification que chacun a envie de porter. Pour avoir été parlementaire, élu local, je sais combien démange cette aspiration. Mais il ne s'agit pas, ici, d'un texte de simplification. C'est un texte qui pose des principes, comme celui du droit à l'erreur, qui prévoit des expérimentations, et un certain nombre d'autres mesures. Peut-être le Gouvernement a-t-il été un peu loin, et ce projet comporte-il trop d'articles, cela est tout à fait envisageable, mais en revanche, le gouvernement ne saurait agréer, toutes bonnes que soient les idées qui seront soumises au débat, des mesures de simplification qui feraient de ce texte, déjà un peu trop long, je vous l'accorde, un Frankenstein des « bonnes mesures de simplification ». Je rappelle, en revanche, que le Premier ministre a pris une circulaire qui impose un volet « simplification » dans chaque projet de loi. Ce sera le cas sur le projet de loi relatif à l'agriculture -qui pose, par ailleurs, problème puisque des articles concernant l'agriculture ont été supprimés à l'Assemblée nationale. Nous ne vous proposerons pas d'y revenir mais je constate que le monde agricole, au sens socio-professionnel du terme, demande de la simplification, mais peu de ces mesures prospèrent, car il est rare qu'elles ne viennent contrer les intérêts de tel ou tel -un chien aboie dans chaque niche administrative, ce qui explique une bonne part des surtranspositions et de la volonté de préserver des normes. Tenons-nous en donc au « volet » simplification, que l'on retrouve dans la loi de programmation militaire, la loi de programmation pour la justice, la loi « Pacte », portée par M. Le Maire. Je renverrai donc les mesures de simplification à ces débats, qui viendront bientôt devant vos assemblées.

Deuxième sujet de ce texte, l'expérimentation. Nous pensons, et c'est un débat politique que nous avons eu avec une partie des groupes de l'Assemblée nationale, qu'il convient de faire avant de généraliser. Nous proposons ainsi de généraliser la procédure de médiation expérimentée, sous le précédent gouvernement, dans les Urssaf d'Ile-de-France, car l'essai a été conclusif : deux tiers des procédures de médiation engagées ont abouti à une transaction, évitant ainsi aux entreprises d'en passer par un contentieux.

Nous proposons aussi d'autres expérimentations. A l'Assemblée nationale, un certain nombre de députés y ont vu des risques de distorsion entre les territoires. Nous assumons ce choix, en nous montrant attentifs à ce que chaque région engage une expérimentation différente : possibilité de délivrer des papiers d'identité sans justificatif de domicile dans les préfectures, horaires tardifs de l'administration dans les juridictions, lutte contre les surtranspositions, au bénéfice des PME. Partout sur le territoire, ces expérimentations donneront lieu à des conclusions, et je souhaite que les parlementaires puissent assurer un suivi, parce que tout n'est pas dans les textes et beaucoup est dans les têtes.

Vient, ensuite, le droit au contrôle. Les relations entre l'entreprise et l'administration ne sauraient se limiter au pouvoir de contrôle et de sanction dont dispose cette dernière, qui peut aussi, en confiance, jouer un rôle de conseil. Vous aurez sur ce sujet, je n'en doute pas, un intéressant débat, notamment dans le domaine fiscal. Je pense à la garantie fiscale, avec l'idée qu'un premier contrôle puisse valoir une seconde fois ; à la possibilité de limiter dans le temps le nombre de contrôles d'une entreprise par les administrations quelles qu'elles soient. Comme élu local, il m'est arrivé de voir une entreprise subir neuf contrôles en sept mois, par neuf administrations différentes. C'est un peu la même chose que le maire qui a eu à subir quatre fois l'ouverture d'une tranchée dans les trottoirs, au grand dam des commerçants, jusqu'au moment où il a demandé aux services de se mettre autour d'une table pour établir un plan coordonné. Il en va de même dans l'administration, qui, enfermée dans ses silos, ne se concerte pas assez. Parce que, sans poujadisme, un petit patron n'a pas que ça à faire. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne doit pas exister de contrôle, mais qu'il serait bon d'éviter aux chefs d'entreprise des complications récurrentes, afin qu'ils puissent se concentrer sur la conquête de marchés et la création de valeur. Il s'agit donc d'expérimenter une limitation des contrôles, en optant pour une limitation dans le temps plutôt que par le nombre.

D'autres dispositions, enfin, ont été ajoutées par l'Assemblée nationale. Je pense à la transparence dans la mise en oeuvre des pénalités fiscales ; à la publication des statistiques - un amendement du groupe des Républicains que l'administration ne juge pas forcément utile. Je pense aussi à un amendement du groupe de la France insoumise, adopté à l'unanimité, cela vaut d'être souligné, pour une application du droit à l'erreur lorsque celle-ci est commise pour la première fois. Il s'agit de s'assurer que le droit à l'erreur ne devienne pas licence de frauder : se garer sur une place handicapés est une faute, qui doit être d'emblée sanctionnée, de même que la répétition d'un même erreur relève, sauf à arguer de phobie administrative, d'une licence qui mérite sanction. C'est autre chose que se tromper par mégarde dans une case à cocher. L'erreur est humaine mais persévérer est diabolique. Cet amendement mérite d'être conservé, et j'espère qu'il le sera.

Un amendement du Modem a également été adopté, visant à éviter la suspension de l'instruction d'une demande dès lors que la pièce manquante ne lui est pas essentielle. Nous avons tous connu, dans nos permanences, des gens qui ne bénéficiaient pas de l'allocation adulte handicapé, de minima sociaux ou de prestations auxquelles ils avaient droit par manque d'un papier administratif, que ce soit en raison d'un divorce, d'un déménagement ou de la disparition de leur entreprise. L'équilibre se situe, bien sûr, dans la possibilité pour l'administration de contrôler l'effectivité du droit d'une personne sans pour autant lui compliquer la vie à l'excès.

Je pense également à deux amendements du rapporteur, M. Guérini, l'un pour l'expérimentation d'un référent unique dans les maisons de service public dans les quartiers de la politique de la ville, l'autre, qui a suscité beaucoup de commentaires dans les médias, pour la gratuité, avant 2021, des appels à destination de l'administration, auquel le gouvernement a donné un avis favorable, tout en précisant qu'il était onéreux pour les finances publiques -plusieurs millions pour le ministère dont j'ai la charge- et nous avons souhaité que cela prenne effet avant 2021, certes, mais pas dans l'immédiat, parce que casser des appels d'offre en cours pour satisfaire cette exigence coûterait deux fois plus cher aux finances publiques.

Un amendement du groupe socialiste, qui prévoit une protection des agents dans l'application du droit à l'erreur, me paraît également important puisqu'il s'agit de considérer que le droit à l'erreur est aussi une forme de management des agents publics. Nous en avons tous connu qui auraient aimé appliquer des règles en intelligence d'une situation personnelle ou de celle d'une entreprise mais qui ne peuvent pas le faire, soit parce qu'ils n'ont pas la liberté d'initiative soit parce que les règles impliquant leur responsabilité sont trop fortes. Nous avons tous intérêt à ce que ce texte soit aussi un texte pour les agents publics, qui sont les mieux à même, sur le terrain, d'appliquer des mesures qui, tout en se voulant générales, s'apparentent parfois à une rigidité administrative. Lors d'un déplacement dans le département des Hautes-Alpes, la préfète m'expliquait ainsi qu'elle devait appliquer, dans le plus grand lac d'Europe, près de Briançon, à la fois la loi littoral et la loi montagne, ce qui n'est pas simple. On peut considérer que la préfète est à même de proposer des solutions respectueuses de ce que le législateur avait à l'esprit. Là est la question : ouvrir la possibilité, pour des agents publics, selon des règles définies par le législateur, de déroger à des règles générales. Mieux vaut peut-être en passer par cette voie qu'édicter des règles de simplification assorties d'exceptions, sauf à retomber dans le travers de la loi de 2013 du « silence vaut accord », qui a prévu plus de 1400 exceptions. Quand on prévoit 1400 exceptions à un principe général, est-on vraiment dans la simplification ?

Le gouvernement tient à un certain nombre de mesures qui ont fait débat, comme la création d'un avertissement pour l'Inspection du travail, qui, à l'heure actuelle, après un contrôle, n'a que l'alternative de ne rien dire ou sanctionner, sans disposer d'un carton jaune avant le carton rouge.

Je pense également à la question de la réponse que l'administration doit apporter et d'accusé de réception, qui a donné lieu à un débat faussé à l'Assemblée nationale, puisque nous partons du principe que, demain, le droit à l'erreur sera la règle pour l'usager et que c'est à l'administration qu'il reviendra de démontrer l'erreur. Nous avons eu une longue discussion et n'avons pas retenu, in fine, cette proposition.

D'autres dispositions ont donné lieu à débat, comme celle du « permis de faire », qui revient à mettre en place un certain nombre de dispositifs destinés à s'assurer que les lois restent bien d'objectifs et non pas de moyens. Prenons l'exemple du logement : l'accessibilité d'un logement pour une personne handicapée, de même que les règles relatives au bruit ou aux particules fines, par exemple, doivent rester des objectifs, sans que la loi, comme cela est le cas aujourd'hui, définisse la manière de l'atteindre, ce qui alourdit le coût de la construction et empêche l'innovation. Laissons aux entreprises le soin d'imaginer les moyens d'atteindre l'objectif, et faisons confiance aux acteurs économiques.

Nous avons, dans le même esprit, adopté un amendement sur la petite enfance, auquel les élus locaux seront sensibles et qui répond à leurs interrogations sur les coûts de construction et de gestion des crèches municipales. Bref, faire des lois d'objectifs et non pas de moyens, c'est accepter moins de réglementation.

Nous souhaitons, lorsque l'examen de ce texte sera venu à son terme, associer le Sénat à un suivi mensuel de son application. Entendons-nous bien, il ne s'agit pas de soumettre les décrets au parlement, ce qui contreviendrait à la séparation des pouvoirs, mais de vous saisir pour avis des textes d'application quels qu'ils soient. Avec ce que l'on a appelé, dans ce texte, le Conseil de la réforme, vous aurez ainsi l'occasion de suivre son application pour que les pouvoirs que vous allez déléguer à l'exécutif se traduisent bien par une modernisation de l'action publique. Les tentatives de simplification se sont trop souvent soldées par un simple succès d'estime, parce que les normes résistent, pour de bonnes raisons.

Il y a également débat sur les transpositions qui vont nous arriver, notamment pour les PME. Nous avons eu un long débat, notamment, sur la question de l'application de l'information sur le TEG (taux effectif global) pour les petites entreprises. C'est une surtransposition, sur laquelle le gouvernement a proposé un amendement de compromis dont j'imagine que nous rediscuterons. Toute la difficulté, dans la lutte contre les surtranspositions, c'est qu'elles sont souvent faites non pas pour embêter les gens, mais pour adresser un signe positif de la France aux directives européennes. Mais l'enfer est pavé de bonnes intentions, et à force de surtransposer par rapport à nos voisins européens, on se crée des difficultés.

Nous avons exclu trois thèmes seulement du droit à l'erreur : la sécurité alimentaire, la sécurité -ce qui relève de la loi pénale, notamment les atteintes à la sûreté de l'Etat et le terrorisme- et l'environnement, enfin, étant cependant entendu qu'un certain nombre de dispositions du texte touchent à la politique environnementale.

Nous avons à résoudre un paradoxe : les Français aiment leurs services publics, mais pas trop leur administration ; ils apprécient le fonctionnaire qu'ils connaissent, le professeur de leurs enfants, l'agent municipal, mais ils sont assez critiques sur les fonctionnaires en général. Il ne s'agit pas de mettre en cause les agents publics, mais bien plutôt de constater que la puissance publique n'a pas toujours été aussi souple que ne le sont les agents publics eux-mêmes.

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