Intervention de Gérald Darmanin

Commission spéciale Etat pour une société de confiance — Réunion du 7 février 2018 à 14h30
Audition de M. Gérald daRmanin ministre de l'action et des comptes publics

Gérald Darmanin, ministre :

Comme le groupe de la France Insoumise à l'Assemblée nationale, on peut ne pas partager notre constat. La loi est-elle trop complexe ? La puissance publique est-elle assez claire dans ses engagements ? Ne surtransposons-nous pas les directives ? L'action publique est-elle simple pour nos concitoyens et pour les entreprises ? Le Gouvernement estime que non - on peut toujours faire plus simple, plus efficace, mais la sédimentation des réglementations et des volontés n'a pas poussé à supprimer les anciennes couches. Face à quoi le président Mélenchon a eu, à l'Assemblée nationale, des paroles fortes : nous désarmerions l'État.

Oui, la loi est parfois complexe, alors que nul n'est censé l'ignorer. Étudiant en droit, j'avais appris que le Journal officiel devait être consultable le lendemain de sa publication, mais les particuliers et les entreprises en ont rarement connaissance ! Le Gouvernement, de plus, ne publie pas forcément les rapports ou les décrets à temps. Parfois, je suis enjoint de signer des décrets qui auraient dû l'être sous le premier septennat de François Mitterrand -j'étais alors en maternelle... Cette complexité est parfois due également aux parlementaires, qui acceptent de voter ces lois, ou qui en rajoutent. Nous avons tous une pierre dans nos jardins.

Si nous partageons l'idée que la bureaucratie administrative discrédite l'État au lieu de le servir, alors il faut en sortir. Deux solutions sont possibles : soit tous les deux à trois ans, nous toilettons les textes par des mesures fourre-tout réunies dans une grande loi de simplification. Soit nous décidons de principes généraux. Le gouvernement précédent avait tenté d'instaurer la règle qui veut que le silence de l'administration vaut accord ; mais elle pose tellement de problèmes dans certains secteurs, comme le nucléaire ou la sécurité alimentaire, qu'il y a 1 400 exceptions à ce principe ! Ne travaillons pas de manière idéologique. Monsieur le rapporteur, ce n'est pas un texte fourre-tout, même si d'autres ministères sont tentés de profiter du véhicule.

Nous déclinons trois principes, qui visent un changement de comportement : le droit à l'erreur, le droit au contrôle, et le permis de faire. Que j'aie évoqué les crèches ne trahit pas le caractère fourre-tout de ce texte, mais témoigne du fait que le permis de faire peut se décliner dans tous les champs de l'action publique : le gouvernement avait pris l'exemple du logement, l'Assemblée nationale a rajouté les crèches. D'autres secteurs pourraient être concernés. C'est un texte de projets et de principes, avec des exemples. Le droit à l'erreur s'appliquera, y compris par défaut, dans tous les champs de l'action publique, même si ce texte posera peut-être des difficultés d'interprétation jurisprudentielle ou de formation des agents publics.

Madame Gruny, mieux vaut expérimenter avant de généraliser. Auparavant, on faisait l'inverse. La République est décentralisée mais le Gouvernement, le Parlement, le Conseil constitutionnel n'arrivent pas à s'adapter à la vie de tout un chacun... L'agent public doit avoir la liberté d'adapter une règle qui lui semble mal se conformer à une situation individuelle, tout en restant fidèle à l'esprit de la loi. Maire, j'ai reçu la mère d'un enfant souffrant d'une maladie neuro-dégénérative qui ne lui laissait que huit mois d'espérance de vie. Elle disposait de faibles ressources. Selon la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), véritable mur administratif, elle n'aurait son allocation pour handicap que neuf mois après, et on ne pouvait rien y faire. J'ai pu débloquer la situation car la vice-présidente du Conseil départemental était mon adjointe. L'agent public aurait probablement aimé aider cette personne, mais sa liberté administrative était limitée par le carcan réglementaire. La bureaucratie détériore le sens du travail bien fait et de l'intérêt général. C'est l'application bête et méchante de règles, inventées de bonne foi pour le général mais ne s'appliquant pas au particulier, qui créent du surpoids administratif, et qui désespèrent les agents publics. C'est pourquoi le gouvernement a accepté un amendement du groupe socialiste de « conduite du changement » pour plus de liberté individuelle des agents, au lieu que l'administration soit un monstre froid et absurde. Certes, il n'est pas simple d'atteindre un équilibre entre l'application générale de la loi de la République sur le territoire et le fait de laisser un minimum d'initiative aux agents publics pour adapter les règlements aux situations individuelles. Quand dépasse-t-on la volonté du législateur ? Nous devons continuer à y réfléchir.

Le texte comporte douze articles d'habilitation car certaines choses complexes nécessitent de recourir à des ordonnances. Je m'engage à une ratification expresse et à vous soumettre pour avis les ordonnances avant leur publication, pour une coconstruction conforme à la volonté du législateur, avant et après l'adoption de la loi.

L'Assemblée nationale s'est montrée critique sur le fait que l'État ait des délais de réponse plus longs que ce qu'il demande au citoyen ou à une entreprise. Mais l'État, garant de l'intérêt général, a besoin de réaliser des enquêtes et d'approfondir un dossier avant de répondre. Même si l'État doit être plus réactif, on ne peut pas lui demander de répondre aussi rapidement, en 15 jours, que ceux qui défendent un intérêt privé. Il y a des administrations très efficaces, comme celle des finances publiques, qui répond très rapidement, tandis que d'autres, comme les Urssaf, pourraient faire davantage d'efforts pour être plus empathiques avec les entreprises. N'oublions pas, avant de critiquer, que souvent, le président d'une Urssaf locale est un patron de PME, de même que le président du Régime social des indépendants (RSI) est un artisan... Nous devons réduire davantage les délais, pour respecter les entreprises et les citoyens.

Qu'attend-on du droit au contrôle ? L'entreprise ne va pas demander à l'Urssaf de venir la contrôler. Mais si l'on change de paradigme, l'Urssaf sera présente autant en contrôle qu'en conseil, pour que l'entreprise paie ce qu'elle doit, sans plus. Ce droit au contrôle rajoute un argument supplémentaire au droit à l'erreur. Il sera inopérant si l'on rajoute trop de critères. Ainsi, je vous propose de revenir sur le texte de l'Assemblée nationale concernant la garantie fiscale. Si le premier contrôle est opposable au second, l'administration va renâcler à réaliser ce contrôle. Or la situation peut évoluer. Ainsi, j'ai donné des consignes différentes sur le contrôle des certificats d'économie d'énergie des entreprises après avoir pris connaissance des scandales révélés par Tracfin. Cela relèverait du bon sens de dire qu'un seul contrôle suffit, mais cela rendrait les contrôles inopérants. Considérons les contrôles comme un conseil, pour savoir si l'on fait bien ou non son travail - comme un étudiant considérerait un concours blanc... Un chef d'entreprise donnait des bons cadeaux à ses salariés en fin d'année. Cela ne posait aucun problème pour les salariés en CDI, mais ces cadeaux étaient considérés comme une aide de salaire pour ceux en CDD. Il aurait dû payer des cotisations dessus, et il ne l'a pas fait ? Fraude... Il aurait posé la question, restée sans réponse, à l'administration, et a été pénalisé, alors que le droit au contrôle lui aurait permis de bénéficier de conseils. Le droit au contrôle n'est pas automatique. Tentons l'expérience, au Parlement de vérifier dans un ou deux ans si elle fonctionne...

Je ne suis pas d'accord avec vous sur les douanes. Nous introduisons un rescrit douanier et un rescrit en cours de contrôle. Le ministre engage ainsi la responsabilité des douaniers pour la transaction. Parfois, je reçois des parapheurs pour la remise d'une somme réclamée à la suite d'un contrôle douanier, alors que la réglementation n'est pas claire et que l'entreprise ne serait pas en faute... Ce n'est pas sain, car le ministre fait souvent confiance au directeur de son administration. Je reçois beaucoup plus rarement de tels parapheurs de l'administration fiscale, sur laquelle les douanes devraient prendre exemple.

Je n'approuve pas non plus votre position sur le médiateur ou le référent unique : lorsque le problème est simple, la réponse est simple, puisqu'elle ne concerne qu'un service. Cela devient plus complexe lorsque la lettre du texte pose plusieurs problèmes. On crée alors des cellules d'intervention, en plus de l'action du cabinet du maire... Le référent unique a été expérimenté dans les caisses d'allocations familiales (CAF), qui traitent différentes questions, comme la dépendance ou la petite enfance, afin de sortir de problèmes administratifs résultant de la complexité administrative. Le modèle du médiateur est celui de Bercy. Pourquoi un référent unique ? De nombreux citoyens ont des difficultés, d'origine sociale, dans leur rapport à l'administration. Dans les quartiers relevant de la politique de la ville, 55 % des personnes n'ouvrent pas leurs courriers administratifs ; 15 % des personnes qui ont droit à des prestations ne les demandent pas, car elles n'ont pas compris qu'elles pouvaient les demander ou parce que c'est trop compliqué. Le référent unique ne fait pas « à la place » de la personne, mais l'aiguille. C'est de la médiation sociale.

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