C'est avec grand plaisir que je me trouve à nouveau devant votre commission, cette fois-ci en ma qualité de président du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), pour vous présenter nos travaux sur les prélèvements obligatoires sur le capital des ménages, champ d'étude que nous avions déjà exploré en 2009. Il y a un an, je vous présentais les travaux du CPO sur l'impôt sur les sociétés. Nos propositions ont été pour partie entendues.
Je suis accompagné de M. Patrick Lefas, président de chambre maintenu à la Cour des comptes, de Mme Catherine Périn, conseiller maître à la Cour des comptes, secrétaire générale du CPO et de Mme Camille Herody, inspectrice des finances, rapporteure générale, responsables, avec M. Bastien Lignereux, maître des requêtes au Conseil d'État, de ce rapport. Les travaux sur lesquels il s'appuie ont été réalisés par une équipe de rapporteurs dont les contributions, sous la forme de cinq rapports particuliers, n'engagent pas le CPO, mais ont été mises en ligne sur son site internet.
Pourquoi revenir, huit ans après, sur les prélèvements sur le capital des ménages ? Avec un rendement de 80 milliards d'euros en 2016, les prélèvements - fiscaux et sociaux - sur le capital des ménages représentent 3,6 points de PIB, en hausse de 0,6 point en dix ans. De plus, le système d'imposition du capital des ménages a toujours manqué de cohérence au regard des objectifs qu'il poursuit. Même si le contexte de la loi de finances pour 2018 n'avait pas été anticipé lorsque le CPO s'était saisi de ce sujet il y a un an, les deux réformes d'ampleur sur la fiscalité du capital des ménages n'épuisent pas la réflexion : la suppression de l'ISF et la création de l'IFI, de même que l'instauration d'un prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus mobiliers laissent place à d'autres évolutions possibles. Le CPO ne s'est pas senti autorisé à s'exprimer sur ce point, car le Parlement avait été saisi de ces réformes et les a votées.
Jusqu'à fin 2017, le système français d'imposition du capital des ménages était constitué de six prélèvements principaux, qui portaient tant sur la détention du patrimoine - taxe foncière et ISF -, sur la perception des revenus qu'il génère - impôt sur le revenu et prélèvements sociaux - ainsi que sur sa transmission - à titre gratuit avec les droits de successions et les donations ou à titre onéreux sur les cessions. Le produit des prélèvements sur le capital des ménages est passé entre 2006 et 2016 de 3 % à 3,6 % du PIB, soit de 55,7 milliards d'euros à 80 milliards d'euros, augmentant plus rapidement que le reste des prélèvements obligatoires. Leur part dans l'ensemble des prélèvements obligatoires est ainsi passée de 7 % à 8,1 % en dix ans.
Toutefois, la part des prélèvements sur le capital dans le PIB est restée relativement stable sur cette période, passant de 10,6 % à 10,8 % après une hausse marquée sur la décennie 1995-2006. Les hausses de la taxe foncière, des prélèvements sociaux et des droits de succession expliquent les quatre cinquièmes de cet accroissement. Désormais, près d'un quart des prélèvements sur le capital des ménages finance la Sécurité sociale, les trois quarts restants financent les dépenses de l'État à hauteur de 39 % et celles des collectivités territoriales à hauteur de 37 %. La part affectée aux collectivités territoriales a augmenté depuis dix ans, principalement sous l'effet de la hausse de la taxe foncière qui représente près d'un point de PIB à elle seule, et même 1,5 point avec la taxe foncière acquittée par les entreprises.
Les prélèvements sur les revenus du capital représentent 40 % du total - soit 32 milliards d'euros - contre 31 % pour la détention - soit 25 milliards d'euros et 29 % pour la transmission - soit 23 milliards d'euros. Entre 2006 et 2016, la part relative des prélèvements sur les revenus du capital a diminué de 43 % à 40 %, de même que celle portant sur la transmission de 32 % à 30 %, au profit de la part des prélèvements sur la détention qui a augmenté de 24 % à 30 %.
Environ 50 milliards d'euros portent sur l'assiette immobilière et les 30 milliards d'euros restants sont prélevés sur les actifs financiers. Les prélèvements immobiliers portent essentiellement sur le stock de patrimoine - taxe foncière et ISF. Le constat est inverse pour les prélèvements sur le capital mobilier des ménages, assis pour les deux tiers sur les revenus. La comparaison de l'imposition du capital des ménages en France et à l'étranger fait apparaître quelques singularités de notre système fiscal. Avec 10,8 % de PIB de prélèvements sur le capital des ménages et des entreprises, la France est l'un des États de l'Union européenne dans lesquels ces prélèvements sont les plus élevés. La moyenne européenne est de 8,4 % du PIB, et le niveau en Allemagne de 6,3 % du PIB. Pour les seuls ménages, la France reste dans le peloton de tête, tant pour les prélèvements sur le stock de capital que sur les revenus du patrimoine - comme les droits de succession et les donations ou la taxation des transactions immobilières.
La comparaison des dispositifs fiscaux fait apparaître des points communs et des spécificités. La France partage avec ses voisins certaines modalités de taxation du patrimoine comme des difficultés d'actualisation des bases foncières - c'est le cas en Allemagne - l'application de taux différents pour les transmissions en ligne directe et aux tiers, ainsi que des dispositifs favorables pour les transmissions d'entreprises.
Jusqu'à la fin de l'année 2017, la France se singularisait par l'imposition du patrimoine net global, qui n'est plus pratiquée que par un petit nombre de pays, et par la coexistence sur l'assiette de revenus mobiliers d'une imposition proportionnelle - les prélèvements sociaux - et d'une imposition progressive - avec l'impôt sur le revenu. L'imposition proportionnelle est généralement privilégiée dans les autres pays. La fiscalité française est également conçue pour orienter l'épargne des ménages plutôt que pour rechercher la neutralité fiscale, ce qui explique le caractère fragmenté du paysage fiscal, le nombre élevé des dispositifs dérogatoires et la place centrale conférée à l'assurance-vie et à l'épargne réglementée.
Vous aviez manifesté un intérêt particulier pour l'examen de la taxation des plus-values immobilières ; vous trouverez des développements plus approfondis dans le rapport particulier n° 4. Les recettes fiscales, bien qu'erratiques et sensibles aux évolutions normatives, se sont élevées à 993 millions d'euros en 2016, les prélèvements sociaux à 1,557 milliard d'euros. La plus-value immobilière est imposable, sauf s'il s'agit de la résidence principale d'un contribuable, après application d'un abattement par année de détention. L'exonération totale des plus-values immobilières de l'impôt sur le revenu est acquise à l'issue d'un délai de détention de 22 ans, contre 30 ans précédemment, et 15 ans sous le régime précédent. Une fois la plus-value imposable déterminée s'applique une taxation de 19 % au titre de l'impôt sur le revenu et de 15,5 % au titre des prélèvements sociaux. Une surtaxe était également appliquée aux plus-values supérieures à 50 000 euros pour la vente de logements. En 2015, le montant de la dépense fiscale liée à l'abattement pour durée de détention se serait élevé à 1,74 milliard d'euros, et celui de la dépense sociale à 1,85 milliard d'euros. Mais le coût de ces exonérations est peu documenté. L'application d'abattements pour durée de détention sur les plus-values immobilières est destinée à prendre en compte l'érosion monétaire, mais si la valeur du logement augmente moins vite que l'inflation, avec un appauvrissement relatif du propriétaire, la plus-value sera néanmoins taxée après abattement, sauf si la revente intervient après 30 ans. Si la valeur du logement augmente plus vite que l'inflation, mais que la revente intervient rapidement, l'application d'abattements à la plus-value ne suffit pas nécessairement à compenser l'érosion monétaire. Par ailleurs, l'application d'abattements pour durée de détention peut inciter les propriétaires à retarder la revente : le taux d'imposition de la plus-value diminue de 1,4 % par an entre la cinquième et la trentième année ; en fonction de la plus-value latente, le report d'une année de la vente peut entraîner une diminution significative de la fiscalité.
Si les prélèvements significatifs par leur rendement - taxe foncière, prélèvements sociaux - sont proportionnels, alors que le système de prélèvements sur le capital est globalement progressif, grâce à une imposition des revenus du capital au barème de l'impôt sur le revenu et jusqu'à la fin de l'année dernière à l'ISF, le diagnostic posé par le CPO met en lumière la prise en compte insuffisante des enjeux économiques et sociaux.
Le système de prélèvements sur le capital est complexe et sans logique explicite, car les objectifs qui lui sont assignés sont nombreux et parfois contradictoires. Ainsi, les mêmes éléments de patrimoine immobilier peuvent être valorisés différemment selon les impôts : la détention immobilière est imposée sur la base de deux assiettes différentes - valeur vénale des biens ou valeur locative, ce qui correspond au loyer théorique du logement - alors qu'elles n'ont pas été actualisées depuis 1970 pour les immeubles bâtis et 1960 pour le non bâti. Par ailleurs, la différence de traitement fiscal entre la location nue et la location meublée non professionnelle crée une distorsion : la possibilité d'amortir fiscalement le bien augmente la rentabilité d'un investissement locatif meublé, qui est en moyenne de 4 % contre 2 % pour la location nue.
Les objectifs assignés aux prélèvements sur le capital peuvent être regroupés en trois catégories : impact économique ; équité sociale, intergénérationnelle et géographique ; et rendement budgétaire. Ces objectifs varient selon le type de prélèvement - sur la détention, les revenus ou la transmission du patrimoine. De surcroît, la fiscalité française confère une place centrale à l'assurance-vie - qui atteint 1 600 milliards d'euros - et à l'épargne réglementée - 420 milliards d'euros -, et multiplie les dispositifs dérogatoires. Les multiples dépenses fiscales et sociales, qui vont à l'encontre d'un modèle d'imposition à assiette large et à taux bas, n'ont pas toutes démontré leur efficacité économique. Pourtant, leur coût est de plus de 21 milliards d'euros par an, soit le quart de leur rendement. Force est de constater que les avantages fiscaux en faveur des placements financiers peinent à orienter l'épargne des ménages vers le financement de l'économie. Ainsi, les encours des plans d'épargne en actions (PEA) ont diminué d'un tiers entre 2007 et 2016. Les flux d'investissements annuels dans les PME et entreprises innovantes sont de 1,9 milliard d'euros en 2017, pour un coût d'avantages fiscaux de 750 millions d'euros. Les dispositifs incitant à la détention longue - assurance-vie, PEA - sont conçus en fonction de l'âge des contrats et non de la durée de détention des actifs.
La fiscalité est plus favorable pour l'épargne non risquée que pour l'épargne risquée : les prélèvements sont nuls ou très faibles sur l'épargne réglementée, les prélèvements sont identiques en assurance-vie, que les supports soit en unité de compte ou en euros, alors que le risque pour l'assuré n'est pas du tout le même. L'investissement intermédié est favorisé au détriment de la détention directe des mêmes actifs : ainsi, la détention d'obligations sur une assurance-vie a un rendement après impôt trois fois supérieure à leur détention directe.
Les dispositifs fiscaux n'ont pas tous démontré leur efficacité économique. La fiscalité encourage les propriétaires occupants : les plus-values sur la résidence principale sont exonérées et celle-ci bénéficie d'un abattement de 30 % pour l'assiette de l'ISF. La part croissante des ménages propriétaires favorise la constitution d'une épargne forcée pour la préparation de la retraite et d'une rente immobilière, ce qui engendre une moindre mobilité résidentielle et expose les ménages aux risques du marché immobilier.
Des régimes dérogatoires d'investissement locatif créent des effets d'aubaine. Ces niches fiscales ont un coût de 1,84 milliard d'euros en 2016 et ont un effet inflationniste sur le marché immobilier. Les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et autres frais, y compris à la charge du vendeur, étant de 14 % en France, ils renchérissent le coût des transactions de près de 5,8 % du prix de vente d'un bien et peuvent générer des phénomènes de rétention.
La taxation de la transmission du capital n'a pas suivi les évolutions sociales et démographiques. Les recettes des droits de mutation à titre gratuit (DMTG) sont passées de 8,2 milliards d'euros en 2006 à 12,8 milliards d'euros en 2016, sous le double effet d'un plus grand nombre de décès et d'une hausse des montants transmis. Les DMTG sont concentrés sur une assiette réduite, à laquelle sont appliqués des taux élevés, tandis que la majorité de l'assiette taxable est exonérée. Le barème est en effet favorable aux transmissions en ligne directe : près de 90 % des transmissions entre parents et enfants sont totalement exonérées, tandis que les successions indirectes sont lourdement taxées. Le barème est peu progressif, d'autant que les dispositifs d'exonération fiscale tels que celui de l'assurance-vie profitent d'abord aux transmissions importantes. En 2009, le CPO concluait en faveur d'un système d'imposition du capital reposant sur des assiettes larges et des taux modérés et neutres entre actifs, tout en maintenant la progressivité d'ensemble. Ces orientations conservent toute leur pertinence.
Le rapport formule dix orientations, autour de quatre axes, pour adapter les prélèvements sur le capital. Ces orientations peuvent être mises en oeuvre à l'intérieur d'un cadre juridique constitutionnel, conventionnel et européen très contraint. Elles s'inscrivent dans le nouveau système d'imposition du capital fixé par la loi de finances pour 2018, marquée notamment par l'introduction du PFU à la place de l'imposition au barème des revenus du capital, et par la substitution de l'IFI à l'ISF.
Premier axe, il faut veiller à la prévisibilité des règles fiscales pour garantir l'efficacité et l'acceptabilité de l'imposition du patrimoine. La décennie écoulée a montré combien les prélèvements sur le capital étaient l'objet de fréquentes réformes. Certes, la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel encadre les modifications des règles fiscales non seulement à titre rétroactif, mais aussi pour l'avenir. Le CPO propose le recours aux clauses dites « de grand-père », soit l'application limitée des modifications tangibles aux opérations effectivement nouvelles, et leur mise en oeuvre avec une période de transition suffisante, ce qui permettra aux ménages de s'adapter.
Le deuxième axe serait d'améliorer la cohérence économique des prélèvements obligatoires sur le capital immobilier. Le CPO propose d'imposer les plus-values immobilières après prise en compte de l'érosion monétaire, au lieu de l'abattement pour durée de détention. Il propose d'unifier le régime fiscal des revenus immobiliers, que le logement soit loué meublé ou non : les charges exposées pourraient être déduites des loyers imposables et les déficits constatés pourraient être imputés sur l'ensemble des revenus du contribuable. On pourrait réviser l'assiette de la taxe foncière, soit en finalisant la révision des valeurs locatives cadastrales des locaux d'habitation comme prévu en 2013, soit en recourant à la valeur vénale. Cela suppose d'importantes mesures d'accompagnement. On pourrait également alléger les DMTO pour fluidifier le marché immobilier et favoriser la mobilité géographique, soit en différenciant les droits exigibles pour l'achat de la résidence principale, soit en introduisant une progressivité en fonction de la valeur du logement. Comme cela peut avoir des conséquences sur les recettes des collectivités territoriales, ces modifications devront prendre en compte l'exigence du maintien des ressources des collectivités territoriales, par une adaptation de la fiscalité locale.
Troisième axe de réforme possible, il faudrait favoriser une plus grande neutralité fiscale en supprimant le régime dérogatoire dont l'impact économique est contestable. Il s'agirait d'abaisser le plafond de l'épargne réglementée en la soumettant au prélèvement de droit commun. Il faudrait rapprocher le traitement fiscal des revenus de l'assurance-vie du droit commun, au-delà de ce que prévoit la loi de finances pour 2018 avec le PFU. Des mesures supplémentaires pourraient favoriser une plus grande neutralité fiscale, soit en appliquant pour l'avenir le PFU à l'ensemble des revenus perçus sur les nouveaux versements d'assurance-vie, soit en imposant les revenus de l'assurance-vie en fonction de l'ancienneté réelle des versements et non de la date d'ouverture du contrat.
Quatrième et dernier axe de réforme, le régime des transmissions pourrait être adapté aux évolutions de la société et aux enjeux d'équité, avec une large palette de modalités de mise en oeuvre. Il est proposé de renforcer l'attractivité des donations aux jeunes générations, soit en rehaussant l'imposition des successions, soit en allégeant l'imposition des donations par rapport aux successions. Afin d'atténuer la dynamique de concentration du capital, plusieurs pistes sont envisageables, telles que la réduction de l'avantage successoral de l'assurance-vie ou le relèvement des droits de succession en ligne directe. On pourrait aussi engager une réflexion sur le traitement fiscal des transmissions à l'enfant du conjoint, à droit civil constant, par voie de donation ou de testament, à des conditions fiscales plus favorables que les conditions actuelles.
Dans le prolongement des dispositions de la loi de finances pour 2018, il serait intéressant de poursuivre la réflexion sur les objectifs assignés à la fiscalité du patrimoine. La plupart des orientations proposées ne peuvent être bien sûr envisagées que sur le moyen et le long terme.