Intervention de Laurence Rossignol

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 18 janvier 2018 : 1ère réunion
Audition du docteur emmanuelle piet présidente du collectif féministe contre le viol

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Que faisaient tous ces cas de viol en correctionnelle ?

Docteur Emmanuelle Piet. - Cette façon de correctionnaliser les viols n'est pas pédagogique et n'a aucun sens. Cela n'est pas possible. À l'inverse, dans une audience d'Assises, le temps nécessaire est laissé pour traiter les dossiers. L'audition des témoins permet d'éclairer les choses et de comprendre le contexte. L'accusé comprend en outre la peine à laquelle il est condamné et peut prendre conscience de ce qu'il a fait. Loin de cela, la correctionnalisation est une justice de misère. Il n'est même pas possible de parler de pénétration, puisqu'on ne juge pas un viol, donc on ne parle de rien. Cela n'a pas de sens. Nous sommes très opposés à la correctionnalisation, qui ne permet pas de gagner de temps, contrairement ce que prétendent les avocats et les magistrats. En réalité, la prescription des délits étant beaucoup plus courte, un plus grand nombre de dossiers sont classés. Finalement, même si c'est incontestable, les procès d'Assises sont longs - et ce d'autant plus que l'appel est désormais possible - à tout le moins les dossiers y sont traités en profondeur.

S'agissant des prises de plaintes, si je me réfère à mon expérience locale et à l'écoute téléphonique - même si nous n'entendons que les retours faisant état de dysfonctionnements - les femmes qui appellent le Collectif ont porté plainte dans 30 % des cas. C'est beaucoup plus que dans la population générale. Je ne sais pas si ce score s'explique parce que nous sommes efficaces, ou parce que ces victimes ont été héroïques. Je ne sais pas si c'est lié à ce que nous leur disons pour les orienter et les accompagner. Tout de même, les trois derniers refus de plainte qui nous ont été signalés sont particulièrement choquants. La mère d'une jeune fille de 14 ans enceinte après un viol est allée porter plainte au commissariat, en compagnie de sa fille. Or les policiers ont proféré des propos orduriers à la mère et à la jeune victime, comme si ce viol avait été une partie de plaisir pour cette jeune fille ! La plainte a malgré tout été prise, mais dans des termes ne permettant pas les poursuites.

De façon générale, selon plusieurs adolescentes que j'ai reçues, la Brigade des Familles essaie de dissuader le dépôt de plainte. Il s'agit selon moi d'une forme de maltraitance. D'ailleurs, le fait même que l'agresseur soit présumé innocent implique, en bonne logique, que la victime soit présumée menteuse. La victime le ressent très fortement. De plus, lorsque les victimes portent plainte dans un commissariat, la première chose qu'elles voient, en général, est une affiche rappelant les condamnations en cas de dénonciation calomnieuse, qui est dissuasive en elle-même. Un tel rappel n'étant nullement une obligation légale, c'est donc véritablement un choix.

Récemment, j'ai suivi le cas d'une jeune femme vulnérable, prise en charge par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) et amenée par une éducatrice. Cette jeune fille ayant été violée, elle en a immédiatement informé son éducatrice. Le garçon l'a poursuivie jusqu'à l'entrée de l'ASE, de sorte que l'éducatrice a dû appeler la police. La victime et son agresseur ont été entendus par les policiers. La jeune fille m'a affirmé que la policière lui avait laissé croire qu'elle irait en prison pour deux ans si elle maintenait sa plainte. Par conséquent, la jeune fille a retiré sa plainte. J'imagine que la policière n'a pas exactement dit cela mais tout de même, c'est ce que la jeune fille a compris. De ce fait, la plainte n'a pas été prise, malgré l'appel réitéré de l'éducatrice.

Sur le viol conjugal, nous avons encore des témoignages selon lesquels la police a dit « C'est votre mari, vous n'allez pas faire d'histoires ». Nous entendons encore ce genre de propos tenus par la police, en France ! On nous assène encore le « devoir conjugal ».

En définitive, je ne sais pas si la pré-plainte en ligne annoncée par le Gouvernement, pourrait modifier ces situations. Tout d'abord, il faut savoir écrire et manier Internet. Je travaille en Seine-Saint-Denis, où un grand nombre de personnes ont des difficultés en la matière. Il existe une vraie fracture dans notre pays. De façon générale, les victimes ont besoin d'un contact humain empathique. Je ne prétends pas qu'il faut tout croire. Je dis seulement qu'au moment où la victime est entendue, il ne faut pas lui donner l'impression d'être prise pour une menteuse. Les professionnels compétents doivent tout entendre, puis mener leur enquête sans exposer leurs doutes de prime abord. Les victimes, confrontées à une attitude suspicieuse, sont totalement paralysées. Il est vrai que des guides ont été réalisés pour la conduite de ce type d'audition, mais ils ne sont pas toujours appliqués dans la pratique quotidienne.

En tout état de cause, il faut signaler que les prévenus comparaissent tous libres devant le tribunal, et qu'ils sont encore libres pendant les suspensions d'audience. C'est pour cette raison que nous accompagnons les femmes aux procès : il faut leur éviter cette confrontation avec leur agresseur. Nous ne pouvons cependant pas assister à toutes les audiences. Or il est impossible pour la victime de se déplacer dans le tribunal, au risque d'être contrainte d'y côtoyer son agresseur. La protection des victimes dans les salles de justice n'est pas assurée à l'heure actuelle. Dans le cabinet du juge, les choses sont souvent mieux faites, ce qui n'est pas le cas dans les salles d'attente qui réunissent les témoins, les victimes, les agresseurs et leurs amis. C'est effrayant. Il faudrait réfléchir à organiser les choses différemment.

Sur la prise en charge, il y a un vrai progrès à faire pour les professionnels du soin. En ce qui me concerne, je pose deux questions aux psychiatres avant de leur adresser des enfants. Dans le cas d'enfants effectuant une révélation de viol, procèdent-ils automatiquement à un signalement ? Dans le cas d'un enfant qui leur est adressé après un signalement, acceptent-ils de commencer leur prise en charge en disant à l'enfant : « Je sais ce qui s'est passé. L'agresseur n'avait pas le droit et tu n'y es pour rien. » ? Si le psychiatre ne répond pas positivement à ces deux questions, je ne lui confie pas l'enfant. Or beaucoup de professionnels du soin ne correspondent pas à ces critères.

Sur la prise en charge des psycho-trauma, des progrès commencent à être constatés. Toutefois, actuellement, la prise à 100 % de ces soins n'est possible que pour les consultations de psychiatres, et non pour celles des psychologues. C'est dommage.

Enfin, il faut améliorer la recherche sur le psycho-trauma, pour mieux prendre en compte les conséquences des violences sexuelles pour la société dans son ensemble.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion