Intervention de Laurence Rossignol

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 18 janvier 2018 : 1ère réunion
Audition du docteur emmanuelle piet présidente du collectif féministe contre le viol

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Les propos d'Emmanuelle Piet sont effrayants, car ils proviennent d'une experte de terrain, après l'accumulation d'années d'expérience et de travail. Cette connaissance percute toutes nos représentations et toutes les satisfactions que nous pouvons éprouver du fait de quelques progrès réalisés. Il faut en même temps avoir en tête que les progrès existent, mais que la situation reste terrifiante.

J'aurai deux mots sur la tolérance de notre société aux viols commis sur les enfants. En refaisant l'histoire, nous constatons qu'en matière de viols sur les femmes, le mouvement féministe a permis de lever le voile sur ces sujets. Aujourd'hui, nous sommes bien plus avancés dans la lutte contre les violences faites aux femmes, alors que celles commises sur les enfants sont toujours un sujet totalement tabou.

Pour ma part, je ne dirai pas qu'il y a une sorte de tolérance sur les violences faites aux enfants, mais qu'il s'agit plutôt d'une représentation collective de la famille, incompatible avec la compréhension des violences intrafamiliales. En d'autres termes, la famille passe pour un lieu de protection des enfants. Il s'agit quasiment d'un sujet politique et institutionnel. Affirmer l'existence de violences intrafamiliales aboutirait à changer le regard sur l'institution familiale, qui est l'une des institutions centrales de notre organisation collective et sociale. Cette institution est extrêmement résistante à l'idée d'être remise en cause, et décrite dans la diversité de ses réalités. Dans les propos du Docteur Piet, j'ai été frappée de la difficulté, dans les jugements de divorce, à faire entendre par le juge les violences faites aux enfants.

Lors des débats sur la disposition interdisant la fessée, que j'avais introduite dans le cadre de l'examen du projet de loi égalité et citoyenneté - elle a été censurée par le Conseil constitutionnel -, nous étions bien conscients que de temps à autre, un parent peut avoir un moment d'agacement. Or il existe une différence entre un moment d'agacement, et le fait de faire des punitions corporelles une méthode éducative. Nous voulions marquer dans la loi l'affirmation que les punitions corporelles n'étaient pas une méthode éducative. De plus, lorsque des violences physiques sont pratiquées à titre éducatif, la frontière est encore plus mince avec les abus sexuels. Souvent, il y a un continuum, comme pour les femmes. Les parents qui frappent sont peu respectueux du corps de leurs enfants. Dans cette délégation, nous devons avoir en tête ce continuum et la cohérence de cette approche.

J'évoquerai également le syndrome d'aliénation parentale (SAP), qui décrit les enfants victimes de mères manipulatrices. Ce syndrome, qui a toutes les apparences d'un syndrome médicalement constaté et reconnu, est en fait une mystification totale. Il n'y a aucune réalité scientifique du SAP, qui est pourtant devenu l'alibi scientifique et médical à la disqualification de la parole des mères, et au maintien du droit de visite et d'hébergement de pères maltraitants. Encore aujourd'hui, sur certains sites, y compris sur celui du ministère des Affaires étrangères, le terme « syndrome d'aliénation parentale » est employé. J'avais alerté les autorités à ce sujet. Les juges l'utilisent. Je conclurai sur ce point, en partageant les propos du Docteur Piet. Nous sommes bien sûr conscients du risque de manipulation, qui existe. Mais pour avoir interrogé les juges en matière de dénonciation de viols par des femmes adultes, il est rare d'avoir affaire à de fausses allégations. En matière de justice familiale, c'est un peu plus fréquent. Pour autant, cela ne justifie pas la disqualification globale de la parole des mères en matière de protection des enfants. C'est pourquoi il est nécessaire que les juges changent de culture.

En matière de justice pénale, je ne sais pas s'il faut allonger la durée des peines. Je pense nécessaire, dans un premier temps, d'appliquer celles qui existent, d'accompagner les victimes et de sanctionner les violeurs. Ce serait déjà énorme. En outre, un travail très conséquent doit être accompli en matière de justice civile, qui est insuffisamment présente dans la modification des comportements et la défense des victimes. Je souhaite savoir si le Docteur Piet partage ce point de vue.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion