Intervention de Flavie Flament

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 18 janvier 2018 : 1ère réunion
Audition de Mme élisabeth Moiron-braud secrétaire générale de la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains sur la mission de consensus

Flavie Flament :

Merci à vous toutes et tous de nous accueillir. Je suis très satisfaite et particulièrement émue de constater que tout le travail que nous avons entrepris suite à la parution de mon livre, La Consolation, et à travers la mission que nous avons menée avec Jacques Calmettes et Élisabeth Moiron-Braud, continue à porter ses fruits. La première à s'être emparée de ce sujet est Laurence Rossignol qui, trois semaines après la parution de mon livre, a souhaité me rencontrer. Nous nous sommes vues à plusieurs reprises. Je lui ai expliqué ce qui avait motivé l'écriture de mon ouvrage, question qui nous réunit aussi, c'est-à-dire les délais de prescription en matière de crimes sexuels sur mineurs. Laurence Rossignol m'a indiqué qu'elle souhaitait initier cette mission de consensus consacrée à une réflexion autour des délais de prescription, afin de donner à son successeur les éléments d'information nécessaires pour s'emparer de la question au plus vite. J'ai trouvé extraordinaire cette idée de transmission, car il restait quelques mois de travail avant les élections et la formation du nouveau gouvernement. Nous avons donc bénéficié d'un vrai tremplin pour que le rapport puisse être remis à Marlène Schiappa, qui a succédé à Laurence Rossignol au ministère chargé des droits des femmes. Cette mission de consensus était très importante car pour la première fois, elle permettait de placer les victimes au coeur du débat.

En tant que victime, je n'aurais jamais écrit La Consolation si j'avais eu le sentiment d'avoir été entendue, considérée, écoutée. J'avais au contraire celui qu'on me privait de mon libre-arbitre et de ma capacité à analyser une situation, de ma possibilité de désigner mon violeur et de poser des actes pour faire en sorte que justice soit rendue. J'ai souhaité prendre une parole dont on me privait. Je m'en suis emparée, avec tous les risques que cela comportait. Souvent, on parle de ces questions sans écouter les victimes, dont on estime qu'elles ne sont pas en mesure d'avoir un point de vue tout à fait construit sur le sujet. C'est une erreur. Les victimes sont des expertes de ce qui leur arrive. En étant écoutées, elles peuvent aider à faire avancer les choses. La mission de consensus a été créée de manière assez inédite, accueillant les victimes autour de la table au titre d'experts. Il nous a semblé important qu'elles puissent s'exprimer, mais aussi communiquer avec des personnes ouvertes - magistrats, psychiatres, spécialistes de la loi.... Toutes ces personnes se trouvaient enfin réunies pour échanger leurs points de vue et exprimer leurs ressentis. De semaine en semaine, nous nous sommes rendu compte que les esprits s'ouvraient et que les victimes avaient enfin le sentiment d'être entendues.

Au fur et à mesure de ces auditions, nous avons convenu tous ensemble de recommandations qui vont dans le sens de chacun. Nous avons trouvé une sorte de modus vivendi, qui conduit aujourd'hui les associations à saluer ce rapport de mission. Les recommandations ne sont pas inapplicables. Nous avons fait en sorte que les choses avancent de façon concrète, et pas uniquement de façon théorique ou philosophique.

Finalement, on se trompe souvent de regard sur les victimes. On a tendance à penser qu'une victime est diminuée par ce qu'elle a vécu. À titre personnel, je peux vous dire qu'il n'est pas facile de libérer sa parole. Notre mission s'intéresse d'ailleurs à tout ce qui peut entraver leur parole lorsqu'elles sont mineures. S'attaquer à un enfant est un crime spécifique : ils ne sont pas construits de la même façon qu'un adulte et se trouvent submergés par une forme de honte et partagés entre des conflits de loyautés concurrentes. L'amnésie traumatique est également un phénomène important. Le fait qu'une victime puisse enfin libérer sa parole et sentir une écoute en face d'elle, une attention particulière portée à son vécu, est essentiel à sa reconstruction. En cela, l'allongement des délais de prescription est une occasion supplémentaire donnée à des enfants traumatisés de pouvoir s'en sortir. La petite fille violée demeure en moi. En n'écoutant pas de façon bienveillante les victimes et en ne leur apportant pas un accompagnement psychologique, on construit une société malade, car les enfants victimes sont le monde de demain. Mon documentaire, « Viols sur mineurs, mon combat contre l'oubli », diffusé en novembre sur France 5, démontre de façon inédite les conséquences physiques des traumatismes sur le cerveau, telles que la maladie d'Alzheimer. Les hippocampes atrophiés de mon cerveau, visualisés par IRM, témoignent de mon traumatisme.

Depuis la parution de La Consolation, j'ai le sentiment que nous assistons à une prise de conscience générale, qui va dans le bon sens. J'espère que nous pourrons rapidement trouver une solution législative aux recommandations contenues dans le rapport.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion