Intervention de Thierry Tuot

Commission spéciale Etat pour une société de confiance — Réunion du 14 février 2018 à 15h00
Audition de M. Thierry Tuot conseiller d'état

Thierry Tuot, conseiller d'État :

Remplacer le système normatif par une obligation de résultat est l'une des idées de base. L'ancien maire du Havre est un camarade du Conseil d'État. Nous avons dû annuler dans cette ville un plan local d'urbanisme pour insuffisance de publicité, car le deuxième journal d'annonces légales avait eu moins de 200 lecteurs cette année-là, tandis que le site internet qui compte 100 000 visiteurs n'a pas été pris en compte...

Je regrette d'avoir donné l'impression d'une situation apocalyptique. Je suis très fier d'être fonctionnaire, et j'ai arrêté de travailler en entreprise lorsque celle-ci a cessé d'être publique. Il est important que les fonctionnaires aient une liberté, alors qu'actuellement l'interdiction de déroger et la masse normative la leur interdisent. Un haut fonctionnaire est non plus un entrepreneur de l'intérêt public, mais un administrateur de procédures. Cela explique les difficultés en termes de recrutement, notamment dans le domaine social, où l'on devrait attirer les meilleurs. Cela vient du manque d'attractivité de ce secteur dans l'imaginaire de travail du fonctionnaire. Remettons dans les territoires des fonctionnaires aptes à décider !

Des expérimentations seront lancées sur l'interlocuteur unique et l'autorité unique. Rendons aux fonctionnaires la capacité de prendre des risques sans danger pour eux-mêmes ! La charte donne ces signaux. Grâce au Sénat, les AAI prolifèrent beaucoup moins. Rassurez-vous, ce sont toujours des fonctionnaires qui y travaillent, avec un contrôle de leur fonctionnement par le législateur.

Le caractère expérimental ne provient pas toujours d'un manque de réflexion, il est aussi un signe d'humilité. Oui, les études d'impact sont insuffisantes. Mais le Parlement a rarement rejeté un texte pour insuffisance de son étude d'impact, alors que le Conseil d'État alerte régulièrement. Dotons-nous de moyens pour avoir des lois de meilleure qualité, avec notamment des expertises extérieures, afin que l'étude d'impact nourrisse l'élaboration de la loi. Une inversion collective du mode de fonctionnement est nécessaire.

Je ne sais pas si la médiation réduira la charge des juridictions administratives, qui varie selon les années, indépendamment de la qualité de la norme. Ainsi, EDF n'avait presque aucun contentieux lorsque l'entreprise était en situation de monopole. Désormais, les consommateurs exercent leur droit. Les recours administratifs préalables et obligatoires (RAPO) se sont multipliés, avec une grande efficacité pour prévenir les contentieux. On peut espérer le même résultat pour la médiation et les rescrits, même si l'objectif n'est pas de réduire la charge.

On veut toujours appliquer à l'État les méthodes de l'entreprise. Dans une entreprise, tout se termine par le compte d'exploitation, et l'actionnaire est le juge de paix. Ce n'est pas le cas pour l'État, qui n'est pas soumis à la pression du marché. Mais un contrôle politique collectif et sociétal doit exister ; il est insuffisant ; les associations de consommateurs ou environnementales ne sont pas assez puissantes. Pourquoi a-t-on tant de difficultés à réunir les acteurs concernés autour de la table pour aboutir à un compromis ? L'administration française n'est ni la pire ni la meilleure du monde.

Je suis administrateur de trois ports : Paris, Rouen et Le Havre. Lorsqu'un industriel étranger veut s'y installer, avec le meilleur préfet, les élus et l'administration, on obtient l'autorisation administrative en dix-mois mois, contre quarante-cinq jours à Hambourg. Sur le range Nord, Rouen et Le Havre sont pourtant accessibles trois jours avant en venant de la Chine, mais leur croissance, certes importante, est dix fois inférieure à celle d'Hambourg ou Rotterdam. La compétitivité administrative est en cause. C'est une question non pas de réduction des coûts ou du nombre de fonctionnaires, mais de défense de l'intérêt général par des procédures. Les agents de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement qui délivrent les autorisations Seveso 2 n'ont jamais exploité une telle industrie. Désormais, l'expertise est dans les entreprises, et non chez les ingénieurs du corps des Mines - il n'y a plus de mines. Comment éviter les aigrefins comme Metaleurop ?

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