Intervention de Brigitte Lherbier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 14 février 2018 à 9h30
Proposition de loi sur le régime de l'exécution des peines des auteurs de violences conjugales — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Brigitte LherbierBrigitte Lherbier, rapporteur :

Nous examinons la proposition de loi de Mme Françoise Laborde sur le régime de l'exécution des peines des auteurs de violences conjugales.

Selon l'auteure de ce texte, les aménagements de peine et les crédits de réduction de peine entraînent un sentiment d'impunité pour les auteurs de ces violences et une grande incompréhension chez les victimes et leurs proches. Comment la famille d'une victime peut-elle comprendre qu'un homme violent condamné à dix-huit mois de prison, pour non-assistance à personne en danger, soit finalement soumis à un placement sous surveillance électronique ? La proposition de loi crée en conséquence un régime dérogatoire en matière d'exécution des peines, applicable aux seuls auteurs de violences conjugales : ces derniers, lorsqu'ils seraient incarcérés, seraient exclus de certaines possibilités d'aménagement ou d'exécution des peines. C'est une nouvelle occasion de nous interroger sur l'efficacité et l'efficience de notre régime d'exécution des peines.

En réalité, cette proposition ne concerne pas véritablement les auteurs de violences conjugales. D'une part, le champ des infractions retenues recouvre des violences d'inégale gravité, puisqu'il exclut l'homicide mais inclut le harcèlement téléphonique ou le harcèlement moral au travail. D'autre part, certaines infractions pénales, notamment celles liées à la répression des violences faites en groupe - bande organisée, embuscade... - ne peuvent, par définition, être commises à l'encontre d'une victime par son conjoint.

L'article 1er exclut du bénéfice de certaines mesures les personnes condamnées et incarcérées pour certaines infractions commises à l'encontre de leur conjoint, leur concubin ou leur partenaire d'un pacte civil de solidarité (PACS). Celles-ci ne pourraient plus demander une suspension ou un fractionnement de la peine d'emprisonnement pour un motif grave d'ordre médical, familial, professionnel ou social. Pour rappel, la suspension permet de reporter l'exécution de la peine, quand le fractionnement autorise le condamné à exécuter sa peine sous forme de fractions d'une durée minimale de deux jours sur une période ne pouvant excéder quatre ans. Ces personnes ne pourraient pas non plus demander une mesure de semi-liberté leur permettant de quitter l'établissement pénitentiaire durant la journée, notamment pour travailler ou suivre une formation. Il leur serait également impossible de solliciter une mesure de placement à l'extérieur, qui astreint le condamné à effectuer des activités en dehors de l'établissement.

L'article 2 exclut aussi ces personnes du bénéfice des crédits de réduction de peine prévus par l'article 721-1-1 du code de procédure pénale. Depuis la loi du 9 mars 2004, chaque condamné se voit attribué automatiquement un crédit de réduction de peine, diminué en cas de mauvais comportement en détention. Le temps accordé en réductions de peine peut surtout être utilisé, à la libération du condamné, comme une assiette permettant d'imposer plusieurs mesures de suivi du condamné. En cas de non-respect de ces mesures, obligations ou interdictions, le juge de l'application des peines (JAP) peut retirer ces réductions de peine et ordonner la réincarcération de la personne.

Je comprends l'objectif de la proposition de loi. Il s'agit d'afficher de la fermeté vis-à-vis des auteurs de violences conjugales, pour lutter contre le sentiment d'impunité, car les chiffres sont aussi lourds qu'incompréhensibles. Néanmoins, ce texte pose d'importantes difficultés juridiques et pratiques. Il me semble même contre-productif sur de nombreux points.

D'abord, il ne concerne que les aménagements de peine des personnes incarcérées, et ne changerait rien au constat de non-exécution des petites peines d'emprisonnement. Le fait divers à l'origine de ce texte concerne un homme condamné à dix-huit mois de prison, qui n'avait jamais été incarcéré mais soumis à un bracelet électronique. Aucune disposition n'est proposée pour modifier la possibilité, pour le tribunal correctionnel, d'aménager ab initio, au stade du jugement, les peines d'emprisonnement prononcées. Dès le stade du jugement, le tribunal correctionnel peut en effet aménager une peine d'emprisonnement en un placement sous surveillance électronique ou une mesure de semi-liberté. La proposition ne modifie pas non plus la procédure d'examen systématique par le JAP, en vue d'un aménagement, des peines d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à deux ans des condamnés non incarcérés, en application des articles 474 et 723-15 du code de procédure pénale ; or c'est cette procédure qui est très critiquée. Enfin, elle ne supprime nullement la possibilité, pour le JAP ou le tribunal de l'application des peines, de prononcer une mesure de placement sous surveillance électronique, en application de l'article 723-7 du code de procédure pénale.

L'article 1er réduit les mesures d'aménagement pouvant être proposées aux condamnés déjà incarcérés : or, a fortiori dans un cas de violences conjugales, il est nécessaire d'éviter les sorties sèches et d'accompagner les libérations des condamnés incarcérés par des mesures probatoires.

Sans effet sur la possibilité d'un aménagement ab initio des condamnés non incarcérés, ce texte pourrait même inciter les juridictions à prononcer des peines plus faibles.

En ce qui concerne les crédits de réduction de peine, je comprends tout à fait l'objectif recherché et ne suis aucunement opposée à une réforme. Mais il serait incohérent et contraire au principe constitutionnel d'égalité devant la loi d'exclure les seuls auteurs de violences conjugales du bénéfice des crédits de réduction de peine. La semaine dernière, nous avons évoqué des violences d'une autre catégorie, mais tout aussi inadmissibles...

Cette proposition de loi pose donc un problème général d'atteinte au principe d'égalité. Pourquoi soumettre les seuls auteurs de violences conjugales au régime dérogatoire déjà prévu pour les condamnés pour terrorisme ? En effet, il s'agit ici d'appliquer aux auteurs de violences conjugales le régime dérogatoire créé par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale applicable aux personnes condamnées pour terrorisme. L'extension proposée semble délicate, s'agissant d'infractions réprimées, par exemple, d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, quand les infractions terroristes sont punies au minimum de sept ans d'emprisonnement, au maximum de la réclusion criminelle à perpétuité. Et, à la différence du terrorisme, les aménagements de peine présentent une réelle utilité pour les auteurs de violences conjugales, comme cela nous a été confirmé à plusieurs reprises lors des auditions : des suivis probatoires dédiés existent, qui permettent d'obliger les condamnés à suivre des traitements et à se soigner.

Je vous propose donc de rejeter cette proposition de loi. En conséquence, la discussion porterait en séance sur le texte initial de la proposition de loi.

Les problèmes soulevés par ce texte ont déjà été examinés par notre commission des lois, qui a déjà proposé plusieurs réformes d'envergure du régime d'exécution des peines. La proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la justice pénale a été adoptée en janvier 2017, et le rapport d'information « Cinq ans pour sauver la justice ! » a été publié, en avril avant que ne soit adoptée, au mois d'octobre dernier la proposition de loi d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice. Ces deux textes ont proposé des réformes globales qui répondent aux préoccupations de l'auteure.

Dans le cadre de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice, notre commission a adopté le principe de la suppression de l'obligation d'examen avant mise à exécution, par le JAP, de toutes les peines d'une durée inférieure ou égale à deux ans d'emprisonnement, ou un an en état de récidive légale. Cette mesure permettrait de répondre à la légitime incompréhension des victimes ou des proches de victimes lorsque n'est pas incarcérée une personne condamnée à une peine d'emprisonnement de dix-huit mois, par exemple.

Beaucoup doit encore être fait pour améliorer la protection des victimes de violences conjugales, notamment en généralisant les dispositifs « téléphone grand danger », et en prévoyant davantage de moyens pour les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation. Néanmoins, ce texte ne répond pas aux problèmes soulevés, et paraît même contre-productif.

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