Intervention de Éric Heyer

Commission des affaires sociales — Réunion du 13 février 2018 : 1ère réunion
Audition de M. éric Heyer préalable à sa nomination au haut conseil des finances publiques par le président de la commission des finances du sénat voir à la rubrique de la commission des finances

Éric Heyer :

Il est vrai que je me suis montré, à l'OFCE, assez critique sur les règles budgétaires. J'estime qu'il est important de respecter les règles, mais que cela n'interdit pas de s'interroger sur leur pertinence, et sur la meilleure façon de les respecter. S'il existe une vraie complémentarité entre comptabilité et économie, cela signifie aussi qu'il ne faut pas tout miser sur la première. Se lancer tous ensemble dans l'austérité, comme on l'a fait en Europe à partir de 2010, aurait dû nous permettre de réduire les déficits, qui devraient avoir disparu de la zone euro. Or, il reste encore des déficits partout, preuve que la seule approche comptable ne suffit pas, et qu'il faut prendre en compte l'impact des mesures d'austérité sur la croissance. Les recettes publiques sont assises sur la croissance économique : on a sous-estimé l'effet multiplicateur des mesures budgétaires et fiscales. On a cru que cet effet multiplicateur serait faible, et là a résidé l'erreur : ces multiplicateurs évoluent dans le temps en fonction de la conjoncture, des décisions des acteurs et des choix de politique macroéconomique. D'où l'intérêt du Haut Conseil, qui réunit à la fois des comptables de très haut niveau et des experts éonomiques. Car au-delà de l'input que l'on intègre dans un modèle, il est nécessaire de savoir sur quel type de dépense, sur quel type d'impôt on va jouer, sachant que les effets multiplicateurs varient du tout au tout selon l'instrument que l'on retient. Je pense même qu'associer cinq experts de haut niveau ne suffit pas, et qu'il serait bon d'entendre parfois des spécialistes dans le domaine de la santé, des retraites, etc.

Je pense également qu'il faut mener une réflexion sur les règles, et que le Haut Conseil peut être ce lieu de réflexion où, sans trancher, on ouvre le débat public. Je sais que des experts franco-allemands réfléchissent à de nouvelles règles : il serait important que le Haut Conseil les entende, voire réalise un audit des règles envisagées, pour voir si elles auraient permis une consolidation budgétaire moins chahutée. Cela fait aussi partie, à mon sens, du rôle du Haut Conseil, étant entendu que tant que les règles ne sont pas modifiées, il faut s'employer à les respecter. Encore une fois, ma critique portait davantage sur la façon d'opérer, dont j'estime qu'elle ne permettait pas, précisément, de respecter les règles et, sans réduire le déficit public dans les proportions prévues, creusait un autre déficit, d'emploi. Si bien que la stratégie retenue n'a rien réglé.

Les règles européennes ne vont pas sans une certaine flexibilité, dans les moments exceptionnels, comme cela est le cas d'une crise conjoncturelle. On sépare le conjoncturel du structurel en essayant d'évaluer le solde structurel. L'économie n'est pas une science exacte, et il y aura autant d'évaluations que d'économistes, mais ce qui compte, c'est d'explorer le domaine des possibles et de se pencher sur la cohérence des hypothèses.

Faut-il vraiment aller vers le « zéro déficit » ? Un peu de déficit n'est-il pas souhaitable si celui-ci améliore la situation intergénérationnelle ? Autrement dit, si ce déficit permet de financer des investissements qui permettront aux générations futures de mieux vivre, il est normal que les générations futures participent au financement de ces investissements. Au-delà du débat entre structurel et conjoncturel, ne faut-il pas se poser la question : dès lors que le déficit sert à créer un patrimoine, n'est-il pas normal que les générations futures participent, via un transfert intergénérationnel de l'impôt ? Tout investissement étant financé par l'impôt, celui-ci doit-il tout entier reposer sur la génération présente ou peut-on faire participer les générations futures, qui bénéficieront de ces investissements ? Telle est la question. Cela suppose une autre approche, plus patrimoniale, de la comptabilité, alors que l'on raisonne aujourd'hui essentiellement en flux. Cette notion de patrimoine peut être très large, et c'est là la difficulté : on peut y mettre l'éducation, la santé, l'écologie. Il reste qu'il faut s'interroger sur la nature du déficit : s'il n'est pas seulement de fonctionnement, mais pour une part d'investissement, le « zéro déficit » n'a pas de sens, voire pourrait mettre en péril le bien-être des générations futures.

Vous m'interrogez sur la productivité. La question est trop complexe pour que l'on puisse s'y étendre dans le temps imparti, mais il est clair que la croissance potentielle dépend pour une grande part, au-delà de la démographie, de l'accroissement de la productivité. Quand on se demande si l'on a encore les moyens de financer notre modèle de protection sociale, la réponse dépend de la vision que l'on a de la croissance de demain. Si l'on pense que demain, on ne gagnera plus en productivité, donc en croissance économique, cela signifie que notre modèle social est en feu, à tous les étages - retraites, santé, chômage - et qu'il est essentiel de le réformer. Si l'on pense, en revanche, que l'on ne va pas vers la stagnation séculaire, et que des politiques économiques peuvent relancer une croissance écologiquement soutenable, la vision sera moins alarmiste. Je me situe plus du côté des techno-optimistes que des techno-pessimistes, pour dire les choses très vite. Mais je pense qu'il faut aussi écouter les techno-pessimistes et essayer de comprendre leurs arguments, en les confrontant, d'année en année, à l'épreuve des faits.

Pour moi, le Haut Conseil ne doit pas rendre des avis tranchés. L'économie n'est pas une science exacte, et la prévision est un art complexe. On nous demande aujourd'hui de faire des prévisions rapportées au PIB, mais il faut savoir que le PIB pour 2017, qui a été rendu public il y a un mois, n'est qu'une version provisoire, qui ne sera définitive que sous deux ans et demi, après affinage par l'Insee, dont les révisions peuvent aller jusqu'à un point de PIB. Cela appelle à une certaine prudence dans la prévision, et au premier chef sur les déficits publics, qui sont rapportés au PIB. La bonne méthode est donc, à mon sens, plutôt que de rendre des avis tranchés, de couvrir le domaine des possibles en allant vers une analyse probabiliste, tendant à exclure les scénarios qui paraissent le plus improbables, et présenter des fourchettes plutôt que des prévisions.

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