La congestion n'est pas le pourcentage de personnes en déplacement, c'est le nombre de personnes qui se déplacent sur une période de temps et sur un tronçon limité. Selon les statistiques, 27 % des déplacements se font à l'heure de pointe du matin et du soir. La fluidité c'est la congestion avec 15 % de trafic en moins. En France, il y a un seuil à partir duquel on rentre dans la loi des rendements décroissants. Pour éviter les pourcentages qui amènent à la congestion, le prédictif avec le digital est utile. Aujourd'hui il y a deux types de déplacements : ceux qui sont contraints par un horaire et non négociables, en raison d'un rendez-vous ou d'un train à prendre, et ceux avec des horaires variables, comme pour sortir faire les courses, qui sont très nombreux. Lors d'une recherche d'itinéraire rien n'est indiqué concernant l'encombrement des transports publics, on ne peut pas dans ces conditions gérer la congestion. Pour vous donner un contre-exemple, en Suisse, on essaye d'inciter les individus dans leur recherche d'itinéraire à choisir certains horaires de déplacement pour gérer au mieux la congestion. Il faut laisser la possibilité aux individus de reporter leurs déplacements en les informant mieux sur l'état d'encombrement des transports et de fluidité du trafic.
Certains faits sont frappants : à Lyon, alors que des investissements considérables sont réalisés pour faire face aux flux à l'heure de pointe, 14 % des trajets sur la ligne A correspondent à une seule interstation. En général, 10 % du trafic correspondent à une station et 10 % correspondent à deux stations. Le digital peut aider à mettre en place, à l'heure de l'explosion des déplacements affinitaires, des solutions qui permettent de combiner un premier trajet avec le trajet long, notamment en incluant des itinéraires de marche pour éviter, par exemple, de prendre un nouveau métro pour une station entre Gare de l'Est et Gare du Nord. La congestion pourrait être réduite.
Des sociologues font remarquer aussi que la raison principale des déplacements d'une ville vers une autre vise à « changer d'air », en sortant sans horaire déterminé. Pour faire le lien avec les enquêtes ménages déplacements, il y a aujourd'hui plus de 50 % des gens qui se déplacent au moins une fois par semaine pour sortir sans aucun motif. Je pense que nous avons, grâce au digital, la possibilité d'éviter certains créneaux horaires déjà chargés.
À Grenoble, l'Université a modulé ses horaires pour éviter l'engorgement des transports, évitant ainsi à la métropole de devoir ajouter des moyens de transport à l'heure de pointe. Il ne faut pas que le numérique nous rende paresseux. On peut améliorer les déplacements par le numérique, mais aussi par des moyens non numériques, comme par exemple en revoyant l'organisation des entreprises, des universités ou encore des tournées.
La première enquête ménages déplacements a été faite à Lyon en 1966. Elle repose sur l'interrogation d'un échantillon très important de personnes sur leurs déplacements de la journée. Mais les déplacements d'une même personne peuvent beaucoup varier d'une journée sur l'autre. Les EMD ne sont plus un outil suffisant pour extrapoler les déplacements des personnes, à l'ère de la désynchronisation et de l'irrégularité des déplacements. Lorsque l'on interroge les habitants des grandes métropoles, on se rend compte que 4 % vont au marché dans la journée en semaine. Mais sur la semaine 35 % des habitants vont au marché au moins une fois. Keolis travaille ainsi avec les opérateurs de téléphonie mobile pour avoir des données plus fines sur les déplacements des individus sur une journée, une semaine, un mois. Chaque téléphone constitue une cible unique. On s'est ainsi rendu compte que sur l'ensemble des détenteurs de téléphones portables régulièrement présents sur la métropole d'Angers, sur un mois, 25 000 vont à Nantes au moins une fois, 15 000 en Île-de-France, 6 000 à Rennes, 8 000 au Mans, 9 000 à Saumur. Ils ne sont pas le même jour à Nantes et à Rennes, mais grâce au numérique et aux traces mobiles, on peut affiner les connaissances sur les mobilités individuelles.
On peut penser que dans le temps long, il y aura une augmentation des besoins de mobilité. L'élévation du niveau des qualifications conduit à avoir des réseaux relationnels plus diversifiés. La vie professionnelle est aussi plus mobile géographiquement. Cela induit qu'il y aura un éclatement spatial et temporel de la demande de moyens de mobilité. Les mobilités ne doivent donc plus être pensées exclusivement localement, mais en transcendant les frontières régionales.
Là aussi, le numérique peut aider à répondre à cette mutation des besoins de mobilité, en permettant plus facilement d'organiser des déplacements de porte à porte par le multimodal, y compris par le cheminement piéton, souvent mal pris en compte. Le numérique pourra ainsi combler une attente de personnalisation et d'efficacité, par exemple, en prenant en compte dans les cheminements piétons la luminosité ou la déclivité. C'est l'hyperpersonnalisation qui rendra possible la mobilité multimodale à la place de la voiture individuelle.
Dans les zones peu denses, les solutions à l'enjeu de la mobilité reposent sur un mix numérique/non numérique. Le car doit être un train comme un autre et le taxi doit être un car comme un autre. Le train est utile lorsqu'il y a de la congestion. Mais pour aller d'une petite ville vers une métropole, le car peut suffire, voire le taxi. Les artisans-taxis y sont disposés. Dans une période de pénurie budgétaire, il faut adapter les types de véhicule à la réalité du trafic, car les trains ou bus quasi-vides donnent le sentiment d'un gaspillage d'argent public. On peut aussi faire du transport à la demande sans passer par le numérique. Ainsi, Keolis a mis en place les lignes Flexo : à partir d'un pôle d'échange, un bus couvre une zone géographique. Le départ est garanti aux usagers. Le trajet est adapté par les conducteurs, qui ont l'expertise du territoire, en fonction des demandes des passagers du bus, dans la zone géographique couverte (par exemple, une ligne le soir fait Dreux-Nord et une autre Dreux-Sud).
Une autre solution aux besoins de mobilité réside dans le covoiturage citoyen. Un adulte sur deux environ ne travaille pas. Les non-actifs ont aussi besoin d'interactions sociales. Le covoiturage classique peut marcher sur de longues distances. Sur les courtes distances, le covoiturage citoyen est une solution : c'est une logique d'entraide locale qui existe en Wallonie, où elle est dénommée « centrale des moins mobiles ». Dans les territoires ruraux, cela serait intéressant.
Les ressorts territoriaux autour des villes moyennes se sont beaucoup agrandis avec la création de vastes établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), au-delà des périmètres de transport urbain (PTU) initiaux. Cela conduit à devoir gérer des espaces étendus avec beaucoup de rural. Or, le rural est très divers. Il existe dans les zones rurales deux catégories de communes : les villages et les bourgs-marchés, qui peuvent être des communes de 1 500 à 3 000 habitants, disposant de multiples services (médecins, commerces). Dans ces bourgs-marchés, qui structurent leur territoire, la proportion de personnes sans voiture est quasiment identique à celle des villes moyennes (environ 20 à 25 %), alors que dans les villages, la population est plus jeune et largement multi-motorisée.
En outre, lorsqu'on analyse les besoins de déplacement, la présence d'équipements, tels que cinémas ou piscines, ne doit pas être le seul critère. Les horaires d'ouverture, l'importance des services offerts par l'équipement (multiplexe ou cinéma de deux salles avec deux séances par jour) ou encore la dimension affinitaire doivent être pris en compte.
Dans les transports à la demande aujourd'hui, on organise les déplacements des villages vers les bourgs. Or, il faut, avec le numérique, permettre des déplacements de bourg à bourg, sur des secteurs géographiques beaucoup plus étendus. Les lycéens, par exemple, ont besoin de se déplacer loin chez leurs copains, ce à quoi ne répondent pas aujourd'hui les lignes existantes. La condition du développement en zone rurale du transport à la demande c'est l'accessibilité par téléphone.