Intervention de Dominique Watrin

Commission des affaires sociales — Réunion du 21 février 2018 à 9h05
Proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles en france continentale et dans les outre-mer — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Dominique WatrinDominique Watrin, rapporteur :

Vous connaissez sans doute le mot de Danton devant l'Assemblée législative le 2 septembre 1792 appelant à l'audace. C'est avec cette disposition d'esprit que je vous invite à examiner la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer, que mon groupe a choisi d'inscrire à l'ordre du jour de la séance publique du 7 mars, au titre de son espace réservé. Ce texte, adopté, comme cela vient d'être rappelé, à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 2 février 2017 sous l'impulsion de notre collègue député André Chassaigne, pose trois questions : pourquoi faut-il revaloriser les pensions agricoles ? Pourquoi recourir à la solidarité nationale pour les financer ? Pourquoi doit-on le faire maintenant ?

S'agissant de la revalorisation des retraites agricoles les plus modestes, quelques chiffres suffisent à comprendre sa nécessité ; nos collègues élus des territoires ruraux connaissent bien la situation. En 2015, alors que la pension moyenne base et complémentaire pour une carrière complète s'élève à 1 800 euros par mois au niveau national, elle ne dépasse pas 730 euros pour les exploitants agricoles. Encore faut-il distinguer, au sein de cette population, les anciens chefs d'exploitation qui touchent une pension moyenne de 855 euros, des conjoints collaborateurs, essentiellement des femmes, dont la pension moyenne n'atteint que 597 euros. Comme le soulignent les représentants du monde agricole, en particulier les retraités que nous avons longuement entendus, ces montants de pension obtenus après une vie de labeur sont inférieurs au seuil de pauvreté, qui s'élève aujourd'hui à 1 015 euros.

Pourtant, le législateur est intervenu à plusieurs reprises pour revaloriser les petites pensions agricoles. En 2002, la loi dite Peiro a créé le régime complémentaire obligatoire des non-salariés agricoles (RCO), afin de garantir un niveau de pension de base et complémentaire minimal correspondant à 75 % du Smic agricole net, soit 871 euros par mois en 2018. Il faudra toutefois attendre la réforme des retraites de 2014 pour que cet objectif devienne réalité. Entre temps, en 2009, la création de la pension majorée de référence (PMR) a permis, en garantissant une pension minimale, d'augmenter les pensions de base des exploitants ayant effectué une carrière complète mais en cotisant sur de faibles revenus. Elle s'élève en 2018 à environ 680 euros pour les chefs d'exploitation et à 540 euros pour les collaborateurs familiaux.

La loi de 2014 a financé la garantie « 75 % du Smic ». Comment ce dispositif fonctionne-t-il ? À la différence de la PMR qui augmente la retraite de base, la garantie « 75 % du Smic » se concrétise par le versement de points de retraite complémentaire « gratuits » ouvrant droit au versement d'un différentiel permettant de porter la retraite de base et complémentaire au niveau de 75 % du Smic agricole net. Ce mécanisme de solidarité bénéficie en 2017 à 230 000 retraités, qui touchent ainsi un complément de retraite moyen de 36 euros par mois, pour un coût annuel de 146 millions d'euros. Pour en bénéficier, les assurés doivent justifier d'une durée d'assurance tous régimes permettant d'obtenir une retraite à taux plein et d'au moins 17,5 années de cotisation dans le régime des exploitants agricoles.

L'article 1er de la proposition de loi prévoit à d'établir ce minimum garanti à 85 % du Smic pour les chefs d'exploitation ou d'entreprises agricoles, en maintenant ces conditions d'éligibilité. Cette revalorisation porterait le montant minimum de retraite garanti à 987 euros par mois pour les pensionnés éligibles, soit un niveau encore inférieur au seuil de pauvreté que j'évoquais précédemment mais qui améliorerait sensiblement la vie des retraités agricoles les plus modestes. Elle pourrait concerner près de 55 000 bénéficiaires supplémentaires portant leur total à près de 280 000 retraités. L'élargissement de ce dispositif de solidarité entraînerait un surcoût de près de 350 millions d'euros, qu'il vous est proposé de financer par une nouvelle ressource instituée à l'article 2 et sur laquelle je reviendrai.

Le titre II de la proposition de loi représente, quant à lui, une réponse spécifique à la situation préoccupante des retraites agricoles constatée dans les outre-mer. Pour une carrière complète dans ce régime, les chefs d'exploitations retraités ultramarins perçoivent une pension moyenne de 664 euros par mois pour les hommes et 637 euros pour les femmes.

La pension complémentaire moyenne versée en outre-mer s'élève à 46 euros par mois contre 91 euros dans l'Hexagone. Deux facteurs expliquent ce décalage : la création plus tardive du régime des non-salariés agricoles en outre-mer, intervenue en 1964, soit neuf ans après le régime de la mutualité sociale agricole (MSA) exploitants, et le fait que les cotisations des non-salariés agricoles ultramarins sont assises sur la superficie pondérée de leur exploitation, et non sur leurs revenus, des cotisations plus faibles se traduisant par des prestations plus faibles.

En outre, seuls 23 % des monopensionnés du régime des non-salariés agricoles en outre-mer disposent d'une carrière complète et les anciens chefs d'exploitation ultramarins ont cotisé en moyenne 8,5 années de moins dans le régime que ceux de métropole. Par conséquent, peu nombreux sont ceux qui remplissent les conditions d'obtention des dispositifs de solidarité, en particulier du minimum de retraite garanti à 75 % du Smic. De ce fait, la moyenne des pensions mensuelles versées aux exploitants agricoles en outre-mer est inférieure à 300 euros.

L'article 3 de la proposition de loi entend donc faciliter l'accès au minimum garanti pour les exploitants agricoles de Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et La Réunion. Il leur permettra d'en bénéficier sans devoir justifier d'une durée minimale d'assurance dans le régime, à condition toutefois de justifier d'une carrière complète dans l'ensemble des régimes. Cette mesure de justice, qui répond aux difficultés d'accès au foncier agricole dans les outre-mer que nous ont très bien expliquées nos collègues Nassimah Dindar et Victoire Jasmin, entraîne un coût supplémentaire de 50 millions d'euros lui aussi couvert par la ressource nouvelle créée à l'article 2. Elle fonctionnera comme un filet de sécurité pour nos agriculteurs ultramarins et pourrait fluidifier la transmission des patrimoines agricoles, encore plus difficile qu'en métropole.

La situation des salariés agricoles ultramarins connait également des fragilités. Exclus de la généralisation à l'ensemble des départements d'outre-mer (DOM) de la couverture de retraite complémentaire en 1976, ils ne bénéficient pas tous des régimes complémentaires Agirc-Arrco. La couverture par ces régimes, dont la gestion est paritaire, est soumise à des accords entre partenaires sociaux locaux, qui n'ont à ce jour abouti qu'en Guyane et en Martinique. Il en résulte une véritable inégalité entre les territoires ultramarins.

S'il existe des conventions collectives permettant de couvrir certains salariés du régime agricole, les salariés du Crédit Agricole par exemple, tel n'est pas le cas des ouvriers agricoles salariés dans des exploitations qui ne bénéficient d'aucune retraite complémentaire. L'article 4 propose ainsi d'étendre cette couverture complémentaire à l'ensemble des salariés agricoles de ces territoires. Il prévoit de donner dix-huit mois aux partenaires sociaux, à compter de la promulgation de la loi, pour négocier. Au-delà de ce délai, l'État pourra généraliser l'extension par voie réglementaire.

Pourquoi faut-il une nouvelle fois recourir à la solidarité nationale pour financer ces dispositifs ? Le régime des exploitants agricoles est, en effet, déjà largement financé par la solidarité nationale et ce, pour trois raisons. La première est démographique, et tient au déséquilibre structurel entre les 1,5 million de pensionnés et les moins de 500 000 cotisants. Au titre de la compensation démographique, les transferts des régimes de base vers la branche vieillesse des non-salariés agricoles représentent 3 milliards d'euros en 2017, soit 40 % des produits de la branche. La deuxième raison est liée à la faiblesse des revenus agricoles et à ses conséquences sur le niveau de cotisations et, partant, des prestations, comme nous l'avons constaté avec les collègues présents aux auditions : René-Paul Savary, Elisabeth Doisneau, Nadine Grelet-Certennais et Christine Bonfanti-Dossat. En 2017, les revenus moyens annuels des exploitants agricoles s'élèvent à environ 17 000 euros, ce qui limite fortement leur capacité contributive.

La troisième raison recoupe les précédentes : les cotisations du régime d'assurance vieillesse sont faibles, parce que leur taux est relativement peu élevé comparé à d'autres régimes. C'est le cas des cotisations au régime complémentaire, dont le taux s'élève à 4 % pour les non-salariés agricoles en 2017 alors qu'il atteint, par exemple, 7 % chez les artisans-commerçants pour leurs revenus inférieurs au plafond annuel de la sécurité sociale. Ces faibles cotisations, associées au déséquilibre démographique, expliquent la très faible contribution des cotisations retraite des exploitants (1,2 milliard d'euros en 2017) au financement des prestations de ce régime (7,4 milliards d'euros). Le régime est, par conséquent, largement financé par la solidarité nationale, en particulier par les taxes sur les alcools et boissons non alcoolisées à hauteur de 1,2 milliard d'euros en 2017.

Le régime complémentaire obligatoire bénéficie spécifiquement de quatre ressources, dont une part importante de recettes fiscales, et d'une dotation de 55 millions d'euros de la mission « Régimes sociaux de retraites » du budget de l'État. Dès lors, l'amélioration du niveau de vie des retraités agricoles ne peut reposer sur les seuls actifs du régime, déjà mis à contribution en 2016 avec une hausse d'un point de leur cotisation RCO.

Le recours à la solidarité nationale et à des mécanismes innovants de financement, audacieux là encore, s'impose. L'article 2 institue à cet effet une taxe additionnelle de 0,1 % à la taxe sur les transactions financières assise sur les opérations d'acquisition de titres de capital ou assimilés, principalement l'achat d'actions. Elle concerne les entreprises ayant leur siège social en France et dont la capitalisation boursière est au moins égale à un milliard d'euros. Cette taxe, dont le taux a été augmenté à 0,3 % pour 2017, a rapporté 1,4 milliard d'euros, rendement qui devrait atteindre 1,5 milliard d'euros selon la loi de finances pour 2018. La mise en place d'une taxe additionnelle de 0,1 %, qui porterait le taux global à 0,4 %, génèrerait un rendement supplémentaire de 450 millions d'euros, qui couvrirait le coût de l'ensemble des mesures proposées et contribuerait au redressement financier du régime.

Pourquoi, enfin, agir maintenant alors que se profile la réforme systémique des retraites ? Il y a urgence à soutenir les retraités agricoles les plus modestes : l'avenir de nos campagnes et une partie de l'attractivité du métier d'agriculteur sont en jeu. S'agissant de la réforme à venir, je ne vois, au stade actuel des travaux, aucune contradiction avec le vote de ce texte. Outre que son calendrier parait incertain - la réforme devait être au coeur de l'agenda social de 2018, elle a été repoussée au mieux à l'été 2019 -, j'ose espérer qu'elle ne remettra pas en cause l'ensemble des dispositifs de solidarité existants en matière de retraite.

La présente proposition de loi est d'ambition plus modeste, mais elle aura des effets concrets et certains à la fois pour les retraités agricoles et l'économie des territoires concernés. Après que l'Assemblée nationale l'a adopté à l'unanimité, le Sénat ne peut rejeter le message de solidarité envoyé, par nos collègues députés, au monde agricole et à ses aînés. Par conséquent, je vous propose d'adopter cette proposition de loi sans modification, ce qui conduirait à son adoption définitive et à la mise en oeuvre rapide des mesures qu'elle contient, ce texte ne nécessitant aucun décret d'application.

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