Intervention de Quentin Guillemain

Commission des affaires sociales — Réunion du 21 février 2018 à 9h05
Table ronde rassemblant des représentants de consommateurs

Quentin Guillemain, président de l'Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles :

Je vous remercie pour votre invitation.

Notre association a été créée le 19 décembre 2017 et compte à ce jour plus de 700 familles adhérentes dont les enfants ont été malades ou ont consommé un ou plusieurs produits incriminés. Cette association a été constituée, suite à l'absence de réponses aux questions que se posaient les familles et à la nécessité d'organisation et de soutien mutuel, y compris sur les questions juridiques. Nombre de ces familles sont traumatisées d'avoir donné, de leur propre main, du lait empoisonné à leurs enfants. Certaines ont eu des enfants dont la salmonellose a été diagnostiquée et d'autres non, car pour certaines d'entre elles, les coprocultures indispensables au diagnostic leur ont été refusées. Elles ont passé des semaines dans les hôpitaux sans savoir de quoi souffraient leurs nourrissons. Elles ont fini par apprendre, grâce à la médiatisation de cette affaire, la cause de ces troubles. La plupart du temps, on leur a dit qu'ils manquaient d'hygiène. On a culpabilisé les familles et l'on découvre aujourd'hui qu'il s'agissait d'une contamination dans l'usine de fabrication. Le doute s'est installé sur toute la nourriture infantile.

Les familles espèrent que cette audition permettra de prendre conscience de l'importance de ce scandale et des enjeux qui en découlent. Nous voulons savoir comment cette contamination a été possible, identifier les responsabilités des uns et des autres, et en tirer les conséquences. Vous écrivez la loi : vous avez la responsabilité de faire en sorte que cela ne se reproduise plus et que la sécurité sanitaire soit garantie au moment même où vous allez examiner la loi issue des États généraux de l'alimentation. J'espère que vous saurez relever ce défi.

À ce jour, 30 à 40 de nos adhérents ont déposé plainte auprès du pôle santé publique du procureur de la République contre Lactalis et pour certaines d'entre elles, contre des grandes enseignes de distribution et des pharmacies. Toutes ces plaintes sont déposées pour mise en danger de la vie d'autrui ou pour blessures involontaires. Une enquête préliminaire est ouverte et nous attendons encore la nomination d'un juge d'instruction permettant à toutes les parties d'accéder au dossier. Aucune information judiciaire n'a été ouverte dans le dossier Lactalis qui en est toujours au stade d'une enquête préliminaire près Mme la procureure de la République de Paris. Le juge Van Ruymbeke, cité dans certains médias ce matin, n'a été saisi que d'une seule plainte déposée il y a quelques semaines contre l'État pour complicité de crime. Pour ce type de plainte, un juge d'instruction est obligatoirement nommé. Il dira si elle doit prospérer ou pas. Nous espérons qu'un juge d'instruction sera nommé : au cours de vos auditions, certains ont utilisé l'argument du secret de l'instruction mais, comme il n'y a pas d'instruction, il ne peut y avoir de secret...

Nous n'en pouvons plus d'apprendre chaque jour dans la presse ou par les auditions des uns et des autres, y compris au Sénat, des bribes d'informations. Nous avons ainsi été surpris d'entendre M. Dehaumont et Mme la directrice de la DGCCRF évoquer des éléments devant vous qui ne nous avaient pas été communiqués malgré nos récentes questions.

M. le ministre nous avait promis une totale transparence et des réponses écrites à nos interrogations. Cette promesse est restée lettre morte comme celle des sanctions évoquées par le président de la République. Il est temps que les victimes puissent être actrices de cette enquête, mais la loi ne permet pas à l'association d'agir en leur nom car, pour être considérée, une association doit être agréée et avoir plusieurs années d'existence. C'est pour cette raison que les plaintes individuelles se multiplient. En outre, il s'agit dans ce cas d'une procédure civile, ce qui exclut une responsabilité pénale. Il est surprenant de devoir créer une association de victimes avant même d'être victime.

Un numéro vert a été mis à disposition des parents le 2 décembre par Lactalis, puis le 10 décembre par la direction générale de la santé. Lorsqu'on les appelait, ces numéros donnaient des informations sur les produits retirés. Mais on a menti aux familles car, pendant un long moment, on leur a dit que les laits qu'ils donnaient à leurs enfants n'étaient pas concernés alors qu'elles ont ensuite découvert dans la presse que tel n'était pas le cas. Or, aucune famille n'a été recontactée alors qu'elles avaient laissé leurs coordonnées.

Les listes agrégées et les listes des produits à l'international ne sont pas non plus publiées sur les sites officiels à l'heure actuelle. Il s'agit d'un défaut d'information manifeste.

Cette affaire s'est déroulée durant une période de gastroentérite. Or, la salmonelle conduit à une gastroentérite, même si les symptômes sont un peu différents. Les tests de selles n'ont pas été systématiquement faits sur les enfants dans les hôpitaux, alors que les parents amenaient les boites de lait incriminées. Les conséquences peuvent être graves : des septicémies, des rectorragies, des infections diverses, des méningites peuvent survenir.

Les parents ont été chaque fois des lanceurs d'alerte : le 13 décembre, cinq lots ont été retirés en toute discrétion dans les pharmacies, n'apparaissant sur aucune liste officielle. Ce retrait a été révélé par les familles, alors que l'État et Lactalis se renvoyaient la responsabilité de l'absence de ces produits sur leurs listes et invoquaient des erreurs. Le 3 janvier, une famille de l'association révélait dans la Voix du Nord avoir acheté du lait en promotion dans un supermarché Leclerc alors qu'il aurait dû être retiré de la vente. Des journalistes ont ensuite découvert que d'autres grandes surfaces continuaient à vendre ces produits.

Nous avons également informé les ministres que ces laits continuaient à être vendus sur Internet. Lors du deuxième contrôle, soixante sites Internet ont été mentionnés.

Les citoyens n'ont plus confiance dans cette entreprise. Certains estiment qu'il s'agit d'un fleuron de l'industrie agro-alimentaire française. Nous dirions qu'il s'agit plutôt d'une entreprise dont nous avons honte. M. Besnier devrait démissionner pour sauvegarder son entreprise, ses salariés et préserver l'image de toute une filière qui pâtit de ses actes. La loi qui vient est une opportunité qu'il vous faut saisir pour garantir la sécurité sanitaire.

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