Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, avec qui j’ai eu le plaisir d’effectuer un déplacement en Nouvelle-Calédonie au début du mois de janvier dernier, mes chers collègues, permettez-moi de saluer tout particulièrement nos collègues sénateurs de Nouvelle-Calédonie, Pierre Frogier et Gérard Poadja, ainsi que l’ensemble des sénateurs ultramarins, qui nous rappellent souvent que nous ne pensons pas assez à l’outre-mer.
Nous sommes amenés aujourd’hui à faire un travail législatif avec une grande modestie, car ce travail est issu des échanges avec le comité des signataires des accords de Nouméa et traduit le vote du Congrès de Nouvelle-Calédonie. Nous voyons difficilement comment ne pas respecter ce projet dans la mesure où il paraît conforme à la Constitution, même s’il reviendra bien sûr au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ce point, puisqu’il s’agit d’une loi organique.
Bien évidemment, le groupe socialiste et républicain votera ce texte, puisqu’il s’inscrit dans la logique mise en œuvre en 1988 par Michel Rocard.
Madame la ministre, le Premier ministre, dans son discours en Nouvelle-Calédonie le 5 décembre dernier, a salué Michel Rocard. Il s’est souvenu qu’il était adolescent lorsque ce dernier, en 1988, avait balisé le chemin et avait incarné la puissance et la noblesse de la politique. Les accords de Matignon ont vu le jour, suivis des accords de Nouméa, signés par le Premier ministre Lionel Jospin. Ils conduisent aujourd’hui l’État à organiser un référendum, dans le respect de ces accords, avant la fin de cette année.
Ce référendum doit permettre de répondre à l’attente des indépendantistes, qui ont souhaité la tenue d’un scrutin d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie. Comme l’a rappelé à l’instant notre collègue, le prologue de l’accord de Nouméa a souligné combien « la colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak, qu’elle a privé de son identité. Des hommes et des femmes ont perdu dans cette confrontation leur vie et leur raison de vivre ; de grandes souffrances en sont résultées.
« La décolonisation est aujourd’hui le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie, en permettant au peuple kanak d’établir avec la France des relations nouvelles correspondant aux réalités de notre temps. Les communautés qui vivent sur le territoire ont acquis, par leur participation à l’édification de la Nouvelle-Calédonie, une légitimité à y vivre et à continuer de contribuer à son développement. »
C’est à eux, dans l’organisation de ce scrutin, de se prononcer sur leur avenir, sur leur destin commun, quel qu’il soit. L’important, et c’est l’objet de ce projet de loi organique, est que nul ne puisse dire ensuite que le scrutin était mal organisé, qu’il n’était pas sincère et que l’expression n’a pas été possible.
Les indépendantistes voulaient que soient inscrits d’office sur les listes électorales un certain nombre d’électeurs kanaks. Toutefois, il fallait prévoir aussi en contrepartie que des natifs de Nouvelle-Calédonie, mais non issus du peuple kanak puissent également voter. L’équilibre a été trouvé. Il fallait permettre aux électeurs des îles Loyauté de venir voter à Nouméa. Pour la première fois, des communes vont organiser sur le territoire d’une autre commune des bureaux de vote pour leurs ressortissants !
Il fallait également répondre à la question des procurations, ce que demandait le Congrès.
Madame la ministre, le Conseil d’État a cherché à vous décourager ; pourtant, comme nous l’avons constaté avec le président de la commission des lois, Philippe Bas, la demande est forte. Quoi qu’il en soit, vous avez su trouver les équilibres nécessaires. Vous avez déposé un amendement, que nous avons voté la semaine dernière, relatif à l’organisation de la campagne électorale, avec l’idée que des accords pourraient être trouvés entre les groupes politiques du Congrès.
Il s’agissait, là aussi, de faire confiance aux territoires, en conformité avec l’esprit qui prévaut depuis trente ans, grâce aux accords de Matignon et de Nouméa, et qui a permis des acquis incontestables, soulignés en 2014 dans le rapport de Sophie Joissains, de Jean-Pierre Sueur et de Catherine Tasca. Cet esprit a aussi permis des acquis importants sur la culture et la coutume kanake, un pouvoir très fortement décentralisé, une organisation très spécifique.
Mes chers collègues, ce référendum est une étape, mais il pourra être suivi, le cas échéant, si un tiers du Congrès de Nouvelle-Calédonie le demande, de deux autres référendums dans les deux années consécutives. C’est selon moi à ce moment-là que l’État devra se prononcer.
Si le référendum devait conclure au maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République, il nous faudra faire des propositions, notamment organisationnelles, s’inspirant de ce qui est en place aujourd’hui – c’est fondamental. Cela permettra sans doute aussi d’éviter les deux autres référendums, s’ils sont demandés ou s’ils étaient suscités.
Nous attendons donc beaucoup de toute cette logique, qui peut aujourd’hui nous paraître surprenante, mais qui a été convenue il y a vingt ans et qui doit à présent être respectée.
J’ai bien entendu ce que nous a dit Pierre Frogier la semaine dernière. Il s’agit de faire en sorte que le processus n’aboutisse pas à des conflits, et reste dans la paix et la construction.
Madame la ministre, j’ai tout à l’heure évoqué le Premier ministre. Il a reconnu que, grâce à Michel Rocard, en Nouvelle-Calédonie une forme politique, sans précédent dans l’histoire et sans équivalent dans le monde, avait été créée. Cette forme politique, dit-il, est « manifeste en Nouvelle-Calédonie ». Il ajoute : « Je pense en particulier à la nécessité des contrepoids et des équilibres entre les institutions ».
Cette force politique, cette capacité d’équilibre, de contrepoids entre les institutions, doit aussi fonder notre République. Si elle a permis depuis trente ans la paix en Nouvelle-Calédonie, j’espère, madame la ministre, que le Premier ministre saura s’en souvenir dans les réflexions actuelles sur la révision constitutionnelle : il faut préserver l’équilibre entre les institutions et l’existence de contrepoids !