Nous allons aborder successivement l'examen de deux propositions de loi, qui sont le fruit du travail très approfondi de notre collègue Franck Montaugé, l'une sur les études d'impact des projets de loi et la seconde sur l'évaluation des politiques publiques et du bien-être.
Notre collègue est très attaché à ce que les études d'impact portent non pas seulement sur des indicateurs quantitatifs, mais aussi sur des indicateurs qualitatifs, en matière de niveau de vie, de bien-être des populations ainsi que de soutenabilité de la croissance et de développement durable. L'essentiel de cette proposition de loi réside dans la formulation d'une proposition visant à ce que les études d'impact soient rédigées avec une certaine indépendance à l'égard du Gouvernement. Permettez-moi de citer certains collègues et anciens collègues, qui ont exprimé dès la réforme de 2008 des doutes quant au fait que l'étude d'impact soit rédigée par l'instance qui rédige le projet de loi.
Ainsi, M. Jean-Jacques Hyest, ancien président de la commission des lois, affirmait : « Cette disposition implique que, lors du dépôt, le texte soit accompagné d'une analyse approfondie de ses effets attendus - analyse qui ne saurait se réduire aux études d'impact, souvent superficielles, dont les projets de loi ont été assortis, par le passé, selon un usage plutôt aléatoire. »
Notre ancien collègue Bernard Frimat prenait un exemple simple : une étude d'impact sur un projet de loi sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) dirait qu'il faut développer le recours aux OGM si le Gouvernement y est favorable ou le contraire s'il y est défavorable. Cette étude d'impact donne donc une position politique.
Or on peut penser que l'impact de la loi est justement l'objet du débat parlementaire : si vous pensez que la loi aura un bon impact, vous voterez en sa faveur ; si vous pensez le contraire, vous vous y opposerez.
Notre collègue Philippe Bonnecarrère, alors rapporteur d'une mission commune d'information sur la démocratie - vaste sujet ! - avait reçu Mme Maryvonne de Saint-Pulgent, présidente de la section du rapport et des études du Conseil d'État, qui avait déclaré l'année dernière : « Dans une précédente étude, nous avions recommandé de réaliser des études d'impact préalables, ce qui a conduit à la réforme constitutionnelle de 2008. » M. Renaud Denoix de Saint-Marc, vice-président du Conseil d'État, nous avait confié auparavant : « La clef pour mieux légiférer, ce sont les études d'impact. » Mais pour Mme de Saint-Pulgent, « les résultats sont toutefois peu satisfaisants : ils ne correspondent pas, en tout état de cause, à ceux que nous attendions. La première difficulté tient au moment auquel on procède aux études d'impact : livrées très tardivement au Conseil d'État, elles ne servent la plupart du temps qu'à justifier la réforme déjà décidée. La deuxième difficulté vient de l'absence de contrôle externe sur la qualité de l'étude d'impact, faite par l'administration qui prépare la norme. Troisième motif d'inquiétude : l'absence de confrontation systématique aux destinataires de la norme, à l'exception notable des collectivités territoriales, grâce au conseil national d'évaluation des normes (CNEN) ».
Enfin, notre ancien collègue Hugues Portelli dressait ce constat : « On peut conclure de ce bilan d'étape après sept ans d'application de ce dispositif d'évaluation que ses effets sont loin d'être concluants. D'une part, il n'a nullement remédié à la crise de la production législative, tant sur le plan de la qualité des textes qui continue à se dégrader, que sur celui de leur inflation, celle-ci étant due principalement au jeu des alternances et au développement des lois de simple réaction aux événements et aux mouvements d'opinion sans se préoccuper de l'état du droit en vigueur. D'autre part, la désinvolture fréquente avec laquelle les études d'impact de nombreux projets de loi sont élaborées et leur contrôle par le Conseil constitutionnel effectué rend perplexe sur la nécessité de maintenir en l'état ce dispositif. » Vous le voyez, nombreuses sont les déclarations négatives.
La réforme constitutionnelle de 2008 a prévu d'assortir chaque projet de loi d'une étude d'impact et permis à la Conférence des présidents de la première assemblée saisie, lorsqu'elle n'est pas satisfaite de cette étude, de s'opposer à l'inscription du projet de loi à l'ordre du jour, le Conseil constitutionnel étant appelé à trancher un éventuel désaccord avec le Gouvernement. Cette procédure n'a été mise en oeuvre qu'une seule fois, pour la loi visant à créer les grandes régions. L'étude d'impact était en effet quelque peu succincte, pour le dire de manière bienveillante... Le Conseil constitutionnel avait alors déclaré qu'« au regard du contenu de l'étude d'impact, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 [devait] être écarté. » Il n'a pris aucune décision constatant qu'une étude d'impact était insuffisante.
Dans ce contexte, je proposerai un amendement visant à intégrer dans les études d'impact un document d'évaluation élaboré par une personne publique indépendante distincte du Gouvernement. Dans le cadre d'un projet de loi sur la santé, pourquoi ne pas demander l'avis de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), par exemple ?
Certains d'entre vous ont été ministres, vous savez comment cela se passe : le Gouvernement prépare son projet de loi, le ministre demande alors aux services de son administration de produire trente ou quarante pages d'étude d'impact.