Intervention de Christian Mouhanna

Commission d'enquête état des forces de sécurité intérieure — Réunion du 14 février 2018 à 15h20
Audition de M. Christian Mouhanna chargé de recherches au centre national de la recherche scientifique cnrs directeur du centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales cesdip

Christian Mouhanna :

Non, je ne pense pas qu'il s'agisse d'une divergence. Pour donner une fonction à tous ces officiers, on a multiplié les sous-bureaux spécialisés de police judiciaire. Certains travaux le montrent fort bien.

Il s'agissait à la fois de donner un poste aux officiers - je caricature, mais pas tant que cela - et de faire en sorte que les OPJ « généralistes » arrivent à connaître la procédure dans tel ou tel domaine.

Certains travaux suivent durant dix ans l'évolution des commissariats. On y voit se créer, au sein de la police judiciaire, la brigade qui traite des vols à l'étalage, celle qui traite des cambriolages, puis celle qui traite des vols à l'étalage de jour dans les établissements, etc. Les ramifications sont de plus en plus fines, avec des services de deux à trois personnes, un chef, un adjoint et une troisième personne.

Bref, cette hyperspécialisation conduit au cloisonnement. On peut faire un parallèle avec la médecine, où l'on trouve peu de spécialistes d'une aire géographique ou d'une population précise.

La brigade des cambriolages s'occupe de cambriolages, celle travaillant sur la délinquance routière s'occupe de délinquance routière, mais il n'existe pas de policier généraliste qui ait une vision générale.

L'évolution existe également dans le domaine de la justice, notamment du fait du traitement en temps réel mis en place à partir de 1993 avec l'expérience de Bobigny, qui a demandé une dizaine d'années pour se généraliser à tous les tribunaux. Il s'agit de la mise en place par les parquets d'une sorte de centre d'appel où des substituts, généralement parmi les plus jeunes, formés à l'École de la magistrature (ENM), répondent en cinq à dix minutes maximum à des appels d'OPJ qui leur présentent oralement des affaires de façon très résumée. Ceci a eu un certain nombre d'effets, ces jeunes substituts prenant en une minute une décision d'orientation à travers les différentes filières pénales.

On est face à une déshumanisation, une industrialisation - on a également pu parler d'une forme de taylorisation -, policiers et magistrats n'ayant plus le temps de s'intéresser au fond de l'affaire ni même d'échanger entre eux.

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