Intervention de Jérôme Bonnafont

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 février 2018 à 9h50
Syrie — Audition de M. Jérôme Bonnafont directeur d'afrique du nord et du moyen-orient au ministère de l'europe et des affaires étrangères

Jérôme Bonnafont :

Le Président de la République et le Ministre des affaires étrangères ont rappelé que la priorité reste aujourd'hui la lutte contre Daech et contre le terrorisme. Dès lors, l'essentiel des énergies militaires et politiques y est consacré, avec un certain succès en Irak puis en Syrie. Daech ne contrôle plus aujourd'hui de portions significatives des territoires irakien et syrien. Aussi, même si Daech dispose toujours des moyens pour mener une guerre asymétrique, les prétentions au califat sont mortes. Daech est devenu, pour ainsi dire, un groupe terroriste disséminé à travers le monde comme les autres, qui reste certes très dangereux, mais qui ne menace plus de créer un nouvel État islamiste au coeur du Moyen-Orient, comme c'était le cas il y a quelques années. En Syrie, ce succès n'est pas dû au régime syrien, mais aux Forces Démocratiques Syriennes, composées de Kurdes et de leurs alliés arabes, avec l'aide de la coalition internationale, notamment les États-Unis et la France, qui ont permis de reconquérir Raqqa et une partie de la vallée de l'Euphrate. Toutefois, la reconquête n'est pas achevée. Elle est même ralentie du fait de l'offensive du régime syrien dans la zone d'Idlib qui a détourné certaines forces militaires, et a ainsi permis à Daech de se réimplanter près de l'Euphrate et dans la poche d'Idlib. Notre préoccupation principale reste l'élimination de Daech de tout ce théâtre, ainsi que de l'Irak et de la Libye.

Notre deuxième préoccupation concerne la situation humanitaire en Syrie, en raison des bombardements et de l'utilisation d'armes chimiques. Selon des indications convergentes mais qui demandent encore à être vérifiées, le régime continuerait à utiliser de telles armes, notamment du chlore voire du sarin, dans la banlieue de Damas. Pour lui, la reprise de cette banlieue est essentielle à l'achèvement de la reconquête de la Syrie utile. Cette utilisation est contraire au droit humanitaire et aux traités internationaux et terrifie les populations. En outre, cela démontre que la Syrie et la Russie ne respectent pas leurs engagements. Enfin, certaines villes ou quartiers sont toujours assiégés, avec des centaines de milliers de personnes concernées.

La situation militaire demeure donc préoccupante dans la zone d'Idlib et dans la Ghouta. L'ONU a appelé à une trêve. Pour rappel, à Astana, les différents participants s'étaient engagés à une désescalade. Or, la Russie et l'Iran appuient les deux offensives précédentes, et la Turquie a lancé une attaque, dans la région d'Afrin arguant de préoccupations frontalières. Pour nous, cette offensive ne doit pas aboutir à détourner de la lutte contre Daech, ni constituer une tentative de contrôle d'une partie du territoire syrien.

Sur le plan diplomatique, la conférence d'Astana n'a eu que de faibles retombées. Aucun progrès n'a été fait sur la libération des prisonniers, et les zones de désescalades ne sont pas respectées, à l'exception de celle dans le Sud-Ouest du pays. Cette exception s'explique par une conversation directe entre la Russie, les États-Unis et la Jordanie, permettant de maintenir un état de non-belligérance à peu près convenable. Il y a en outre un impératif dans cette zone pour les Etats-Unis et Israël : c'est l'absence de forces contrôlées par l'Iran, afin d'éviter un positionnement de ce dernier aux portes d'Israël. Enfin, les négociations sur les mesures de confiance n'ont pas abouti.

La conférence de Sotchi a été globalement stérile. Il y avait peu de participants, et le texte proposé a été hué par une partie de l'assemblée. Tant le régime que l'opposition ont refusé d'y participer. Il en a été de même pour les pays occidentaux qui refusaient de cautionner ce processus tant qu'aucune des garanties pré-requises qu'ils avaient demandées n'avait été acceptée. Il aurait fallu que la conférence de Sotchi s'inscrive dans le cadre et sous le contrôle de l'ONU. Les négociations de Genève n'ont également abouti, pour l'heure, à aucun résultat, le régime refusant de négocier avec le groupe d'opposants présents car il estimait qu'ils n'avaient aucune légitimité, et affirmait ne pouvoir commencer à discuter tant que la question terroriste ne serait pas résolue.

L'opposition, pour sa part, se réfère à la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l'de l'ONU, laquelle prévoit la mise en place d'un gouvernement de transition dans un environnement neutre pour les négociations. Elle veut en outre que le sort de Bachar El Assad soit scellé. Faute que ces préconditions aient le moindre espoir d'être remplies, la France, avec les Etats-Unis, les Saoudiens et d'autres partenaires, engagent désormais l'opposition à accepter que les négociations se fassent sur une base nouvelle mais toujours dans le cadre de la résolution 2254.

Sur quoi doivent porter les négociations ? Le « small group » que vous avez évoqué, qui n'est pas une instance officielle, souhaite relancer une initiative politique avec un groupe restreint. Il a adopté un texte destiné à l'ONU, à l'opposition et à la Russie qui énonce les principes d'une négociation authentique. Il comporte trois parties. La première traite de la méthode de travail, la deuxième de la substance, et la troisième de l'environnement neutre.

Ce groupe a donc proposé une méthode de travail pour Genève, insistant sur la nécessité de sessions quasi-permanentes dans lesquelles les groupes d'opposition et le régime se feront face, sous forme de groupes de travail, discutant sur des points précis écrits, sous la responsabilité de l'envoyé spécial de l'ONU.

En ce qui concerne la substance de l'accord à trouver, deux aspects sont primordiaux pour le small group : une nouvelle constitution et l'organisation d'élections. Ce n'est pas à nous d'écrire cette constitution, mais nous pouvons aider les parties à identifier les grandes questions qui doivent être traitées par la Constitution pour permettre une réconciliation nationale, comme par exemple la séparation des pouvoirs et la répartition de ces derniers entre les différentes branches de l'exécutif et du législatif, mais aussi l'organisation territoriale et les droits fondamentaux, pour que les droits des minorités et des citoyens soient pleinement respectés. Il s'agit également de réfléchir à la manière dont des élections libres et transparentes pourront être organisées, et à quelle date. Pour cela, la présence d'observateurs internationaux sera indispensable. La question du corps électoral, alors que la moitié des Syriens ne sont plus chez eux, est également fondamentale. Actuellement, Assad veut une loi électorale par laquelle ne pourraient voter que les Syriens qui résident chez eux, ou sont régulièrement inscrits dans un consulat. Cela signifie que la moitié des Syriens ne pourraient pas voter. En effet, 6,5 millions d'entre eux sont déplacés, au sein de la Syrie, et 5,5 millions sont réfugiés dans un pays tiers. Au total, ce sont près de 12 millions de personnes qui ne pourraient pas voter si les conditions actuelles de vote s'appliquaient.

Enfin, un environnement neutre doit être mis en place, avec l'adoption de mesures de confiance telles que le cessez-le-feu ou la libération des prisonniers, entre autres.

Aujourd'hui, la question militaire revient au premier plan, avec la reprise de l'offensive militaire et l'utilisation d'armes chimiques. Il faut relancer, avec les Russes, la négociation politique.

Enfin, il importe de souligner, pour répondre à votre observation sur la question d'une éventuelle partition, que la France juge cette perspective très négative. La population est tellement mélangée qu'une partition sur une base ethnique ou confessionnelle serait impossible. Au Nord-Est, les Kurdes ont établi leur contrôle sur une partie du territoire, y compris dans des zones arabes. Nous ne soutenons pas une séparation de ce territoire. En revanche, il faut que les libertés de chacun soient garanties. Nous ne disons pas aux Kurdes que nous les soutiendrions en vue d'une quelconque partition du pays. Mais, nous sommes à leurs côtés dans la lutte contre Daech, et nous serons à leurs côtés dans la négociation politique, pour que leurs droits fondamentaux soient garantis dans la Syrie de demain.

En conclusion, je souhaite souligner que le Président de la République et le Ministre des affaires étrangères multiplient les contacts avec leurs homologues américains, russes, européens et arabes, afin de faire avancer cette solution politique qui est la seule possible.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion