Le retrait des forces russes présenté par Vladimir Poutine s'est révélé être, en fait, pour l'essentiel, une relève des effectifs. Sans doute espérait-il alléger la pression militaire. Mais personne n'imaginait qu'il s'agissait d'un vrai retrait. Assad a besoin de la Russie et de l'Iran pour rester au pouvoir. Il s'appuie sur environ 80 000 miliciens financés par l'Iran et sur 5 000 soldats russes, qui tiennent la Syrie. En outre, la Russie contrôle l'espace aérien syrien, ainsi que le renseignement et la capacité d'identification des cibles. Sans ces deux bras armés, Assad n'existe plus. D'ailleurs, ce sont les Iraniens qui ont été à Moscou pour supplier les Russes d'intervenir en septembre 2015, car ils ne tenaient plus et que le régime syrien menaçait de s'effondrer.
Écraser la rébellion et vaincre les djihadistes ne permettra pas, à soi seul, de ramener la paix. Il faut, a minima, rétablir un pacte civil dans le pays, sans lequel aucune solution ne sera viable. Aujourd'hui, la question qui se pose à la Russie est de savoir si elle exercera une pression sur Assad pour que le régime entre dans le jeu des négociations et qu'il accepte une réforme du pouvoir.
Staffan de Mistura a le soutien de l'ONU et de la France, car l'ONU est le seul médiateur envisageable. Mais il faut qu'une pression internationale collective s'exerce sur l'ensemble des parties pour permettre au médiateur de faire avancer les positions de négociation. Il faut que les puissances s'engagent. Aujourd'hui, on prend acte du rapport de force tel qu'il est, mais également du fait qu'il n'y aura pas de paix sans négociations. Il faut aussi convaincre les États-Unis de revenir dans le jeu politique et de ne pas se contenter de la seule lutte contre Daech. En effet cela laisserait trop d'influence à l'Iran, ce qui ne serait pas accepté par les 75% de sunnites qui peuplent la Syrie.
Nous comprenons les préoccupations légitimes de la Turquie en matière de sécurité. En effet, le PKK se sert d'une partie du Nord-Est syrien pour mener ses opérations. Toutefois, nous ne sommes pas d'accord avec l'idée que la Turquie puisse prendre le contrôle d'une partie du territoire syrien. D'ailleurs, Erdogan affirme que ce n'est pas son intention. Par ailleurs, nous distinguons les Kurdes syriens et les combattants du PKK, groupe terroriste reconnu comme tel par nous-mêmes et les Européens. Il faut reconnaitre que les Kurdes syriens ont éliminé Daech de cette partie du territoire, avec notre soutien. Nous les soutenons pour qu'ils voient leurs droits respectés dans la Syrie de demain. A force de les attaquer, la Turquie risque d'envoyer le PYD dans les bras d'Assad. C'est la raison pour laquelle, il est important de délier la question kurde syrienne de la question kurde turque.
Le Hezbollah fait partie des troupes qui ont apporté un appui décisif au régime. Il a acquis une capacité de combat remarquable en Syrie. Il s'est établi en force militaire majeure et a renforcé son poids politique au Liban. C'est devenu un acteur préoccupant sur le plan de la sécurité et sur le plan militaire au Liban, mais aussi dans la région, en raison de sa capacité d'expansion. Nous trouvons d'ailleurs des traces du Hezbollah en Irak et au Yémen. Il faut une dissociation réelle du Liban par rapport à la Syrie. Le Liban ne doit plus être la victime du contrecoup du conflit syrien. En outre, le Liban doit faire en sorte que le Hezbollah ne se projette plus en Syrie. Le Liban n'a pas la capacité seul de le faire. C'est pourquoi M. Le Drian a demandé le retrait de toutes les milices étrangères du territoire syrien.
Israël se rend aujourd'hui compte que le conflit syrien a amené l'Iran à ses portes. Elle s'investit désormais beaucoup plus sur le plan diplomatique et militaire.
Sur la question de l'utilisation d'armes chimiques, un mécanisme conjoint d'inspection soutenu par l'ONU avait été mis en place. Il n'a toutefois pas pu être utilisé en raison des vetos systématiques de la Russie qui ont abouti à sa dissolution. Il n'y a donc plus de mécanismes internationaux d'inspection. La Russie protège le régime syrien. Elle affirme qu'aucune arme chimique n'a été utilisée pour le régime, et que les inspections des Nations Unies sont des inspections manipulées par les Américains. Pour surmonter ce blocage, une réunion s'est tenue à Paris contre l'impunité face à l'utilisation des armes chimiques. Un plan d'action a été adopté par lequel nous reprenons l'offensive au sein du traité, des Nations Unies, et devant les juridictions, afin que ce sentiment d'impunité disparaisse. Nous ne nous résignerons pas.
Si l'on fait du départ d'Assad une précondition aux négociations, ces dernières ne verront jamais le jour. Il a toujours été reconnu que les négociations passeraient par un dialogue direct entre le régime et l'opposition. Aussi il est indispensable d'amener Assad à la table des négociations afin de définir l'avenir de la Syrie. Il faut également des garanties juridiques et internationales suffisantes de liberté, transparence et crédibilité des prochaines élections. Cela prendra du temps. La tragédie syrienne n'est pas finie. Le retour des déplacés et des réfugiés n'est pas pour le court terme. D'ailleurs, le régime syrien se complait dans cette situation, qui lui permet de disposer d'un pays moins peuplé, et avec une proportion plus faible de sunnites. Le retour des déplacés et des réfugiés doit être libre et volontaire. Il est ainsi inenvisageable de les forcer à un retour, alors qu'ils n'auraient pas la garantie de retrouver leur domicile et une vie normale. Il faut donc soutenir la Jordanie et le Liban qui sont aujourd'hui épuisés par l'effort fourni depuis plusieurs années dans l'accueil des réfugiés.
Le risque de partition existe dans les faits. Si la situation actuelle dure trop longtemps, les Kurdes vont être tentés de vivre en autonomie. Or la partition engendrera la guerre civile. Contrairement à l'ex-Yougoslavie, il n'y a pas cinq ou six nationalités réparties géographiquement à travers le pays, ni de fédération, mais un mélange de communautés très imbriquées, à l'exception de quelques zones à majorité de peuplement. Le Kosovo est aujourd'hui un fait établi, reconnu par la plupart des États. Nous ne sommes pas dans ce cas, mais plutôt dans l'hypothèse irakienne. Ce qui se passe en Irak est important pour étudier la capacité d'un pays à reconstruire un pacte social, un vivre ensemble.
S'agissant de la reconstruction, la position de l'écrasante majorité de la communauté internationale est simple : le pays a été dévasté, détruit - je vous renvoie à cet égard à un excellent travail de la Banque mondiale, qui décrit la situation de façon aussi pathétique que précise et professionnelle - mais les conditions de la reconstruction ne sont, pour l'instant, pas réunies.
Il n'existe en effet, à l'heure actuelle, aucune région contrôlée par le régime où des fonds internationaux pourraient être employés de façon transparente à une véritable reconstruction. L'aide humanitaire de l'ONU, vous le savez, est actuellement massivement détournée au profit du régime, ce que nous admettons pour qu'au moins un minimum de secours parvienne aux populations, mais nous ne sommes pas prêts à accepter que cela soit le cas lors de la reconstruction.
Enfin, concernant la francophonie en Syrie, nous n'avons absolument pas renoncé. C'est pourquoi nous avons fait en sorte que la réserve parlementaire puisse continuer à bénéficier à ce lycée et cet établissement a continué à fonctionner, même déconventionné. Il a vocation à être à nouveau conventionné, dès le retour à une situation normale.
Certains considèrent qu'il n'est pas acceptable que ce lycée accueille des enfants de responsables du régime. Nous estimons qu'il s'agit d'enfants, et qu'ils n'ont pas à être jugés au regard de la position qu'occupent leurs parents dans la société. Nous croyons que le combat pour maintenir la francophonie en Syrie doit être préservé.
Vous vous demandiez à cet égard s'il existait une opposition démocratique. Il existe, nous la connaissons bien à Paris, une opposition syrienne laïque et démocratique, de longue date, qui continue le combat pour la libération du pays, avec laquelle nous travaillons. Ce n'est pas la seule. Cette opposition a été obligée de passer des alliances avec des groupes qu'elle n'aime pas beaucoup, dont certaines positions sont trop radicales à leur goût, mais qui ne sont pas djihadistes.
Je crois qu'il faut établir une frontière entre, d'une part, les groupes djihadistes, qui sont prêts à adhérer à un agenda de terrorisme international et de propagation du djihad par les armes, ainsi qu'à un islam dévoyé et, d'autre part, les groupes politiques dont nous ne partageons pas les valeurs ni la vision de la société, mais qui sont prêts à s'inscrire dans une logique politique pluraliste, une fois la guerre terminée.
Il faut reconnaître que l'Arabie saoudite, quand elle a accueilli à Riyad la conférence de Riyad 2, a accompli un travail de « nettoyage » de l'opposition pour éliminer un certain nombre de groupes trop « radicaux » pour pouvoir être acceptables. Elle a par ailleurs tout fait pour faire accepter par l'opposition le groupe du Caire et le groupe de Moscou, que l'opposition estimait trop proches du régime de Damas et de Moscou. Nous avons cependant estimé qu'ils ont droit de cité et qu'il fallait les accueillir.
Se pose la question de l'association des Kurdes à la discussion, qui n'est pas résolue. Elle reste entière, je le reconnais. Les choses sont compliquées. Les Turcs et une bonne partie de l'opposition ne veulent pas entendre parler du PYD, trop proches du PKK pour les Turcs, du régime pour l'opposition.
La question kurde devra être réglée, et le jour où la négociation se nouera vraiment, l'une de nos demandes à M. de Mistura sera de régler le point de la représentation des Kurdes au sein de la négociation.