Intervention de Catherine Chadelat

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 7 mars 2018 à 9h40
Attractivité et compétitivité juridiques du marché de l'art français — Table ronde avec des représentants des instances de régulation et de contrôle

Catherine Chadelat, présidente du Conseil des ventes volontaires :

Je précise que l'initiative de la baisse des cotisations est venue du CVV : nous avons conscience que les petites structures de province sont dans une situation difficile.

Les deux maîtres mots sont libéralisation et régulation. Ils ne s'opposent absolument pas. Nous sommes dans un marché libéralisé, c'est-à-dire qu'en France on peut faire très exactement son métier de commissaire-priseur comme un auctioneer à New York ou à Londres : pas de barrière à l'entrée, honoraires libres, toutes les techniques sont possibles, y compris les plus spéculatives.

Il n'y a donc aucun frein lié à l'encadrement législatif. Il y a des freins, mais administratifs.

Nous sommes dans un marché décloisonné, c'est-à-dire que chacun peut exercer des activités complémentaires : un commissaire-priseur peut avoir une galerie, un antiquaire peut être opérateur de vente. Ce marché a intégré la mondialisation : la clientèle, surtout dans les ventes de prestige, est essentiellement une clientèle étrangère. Les étrangers effectuent plus de 75 % des achats chez Sotheby's, Christie's ou Artcurial. Le marché a fait sa révolution numérique de l'Internet, puisque 80 % des commissaires-priseurs utilisent cet instrument de travail. La forme juridique des acteurs varie entre grosse structure, société anonyme et exercice individuel. Enfin, le marché a compris que, pour progresser, il faut se concentrer : les vingt plus grosses sociétés représentent presque 70 % du marché des ventes aux enchères.

Dans ce marché libéralisé, nous intervenons comme autorité de régulation. Nous vérifions que cette technique très particulière que constitue la vente aux enchères fonctionne bien. C'est une opération à trois personnages où l'intermédiaire, le commissaire-priseur, a un rôle un peu schizophrénique, puisqu'il doit défendre les intérêts du vendeur et, en même temps, être l'arbitre d'un panel d'adjudicataires possibles. Il lui faut donc une déontologie propre.

Aussi nous faut-il vérifier les mécanismes, dans l'intérêt public, puisqu'une vente publique est un baromètre de prix. Le consommateur doit s'y retrouver, qu'il s'agisse du vendeur, mais aussi des acheteurs, qui sont très demandeurs, notamment dans les ventes électroniques - et je regrette que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), avec qui nous dialoguons régulièrement sur le contrôle des ventes électroniques, ne soit pas présente ce matin.

Nous travaillons en dialogue avec la profession, sans antagonisme. D'abord, la profession est représentée dans le conseil des ventes volontaires, qui compte six membres professionnels. Pas une recommandation n'est rédigée sans l'avis des professionnels. Et ceux-ci sont partie prenante à la formation.

Nous devons assumer les dangers que comporte le marché de l'art, qui est le troisième marché mondial en termes de blanchiment. Nous sommes le correspondant Tracfin sur la question, nous intervenons régulièrement avec l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) - mais ce n'est pas notre rôle de détecter les faux.

Nous sommes surtout le correspondant de l'Unesco. J'avertis régulièrement les pays qui sont en danger que nous pouvons, et jusqu'au dernier moment, suspendre une vente, si on nous apporte la preuve qu'un bien a été volé. Pour tout cela, l'autorégulation ne suffit pas.

Le marché français ne se porte pas si mal que ça : il progresse depuis dix ans, et a enregistré en 2017 une croissance de 5,7 %, soit plus qu'en 2016. Certes, l'art contemporain ne progresse pas aussi vite chez nous, alors que c'est lui qui fait le marché mondial. Ne rêvons pas : nous ne reviendrons pas aux années 1950, quand Paris était la première place de marché mondiale. Mais nous pouvons améliorer les choses, en attirant plus encore de clientèle étrangère.

Avec l'amendement « Artcurial » à la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, le Sénat avait souhaité favoriser la relocalisation des ventes en France en obligeant le propriétaire qui vendrait son bien dans l'année qui suit la délivrance d'un certificat d'exportation à réaliser la vente en France. Cette idée n'avait pas été retenue. En-deçà de la normativité, il y a plusieurs mesures à prendre. Et d'abord, le Brexit doit être l'occasion pour les pouvoirs publics de monter en première ligne à Bruxelles. En effet, le marché des enchères n'existe que dans deux pays en Europe : le Royaume-Uni et la France. Avec le Brexit, la France reste seule. Si elle ne joue pas à Bruxelles le jeu d'un marché porteur, ne nous faisons pas d'illusions : le droit de suite, la taxe à l'importation, tout sautera.

Or les ventes aux enchères ne sont pas identifiées comme telles à Bruxelles, où elles sont purement et simplement assimilées au droit de la consommation. Résultat : les directives sur les ventes électroniques aux enchères introduisent un droit de rétractation, ce qui est absurde ! Heureusement, le législateur français n'a pas transposé telle quelle cette disposition dans la loi « Hamon ». Mais nous n'avons pas de correspondant attitré officiel et nous ne parvenons pas à nouer le dialogue sur ce point. Quant au recel, nous avons un énorme problème puisque c'est une infraction continue en France : vous prenez le Thalys, c'est une infraction instantanée et trois ans après, vous ressortez les marchandises !

La multiplicité des interlocuteurs - Bercy, la Culture, l'Intérieur... - et l'empilement des lois - sept régimes différents pour l'ivoire ! - constituent de sérieux obstacles, surtout pour les plus petites structures. Il y a des interlocuteurs uniques, comme la Maison des artistes, et nous avons réussi à passer un accord amiable sur les droits de reproduction. Il faut simplifier, accélérer, rendre plus efficace, notamment grâce au droit souple - et là, la profession a un rôle à jouer. Nous avons déjà édité deux guides pratiques. La médiation fonctionne bien : pour plus de 300 réclamations par an, nous avons sept ou huit sanctions disciplinaires. Hélas, les professionnels ne veulent pas se regrouper. Drouot réalise un chiffre d'affaires de 300 millions d'euros mais avec 74 sociétés de ventes ; Christie's, de 200 millions d'euros ; Sotheby's, de 150 millions d'euros. S'ils s'alliaient, Drouot serait devant ! Mais cette profession est très individualiste. Or il lui faudrait se concentrer autour d'un soutien financier conséquent.

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