Observatoire du marché de l'art et du mouvement des biens culturels. - L'Observatoire n'a aucune existence légale ou réglementaire, c'est une réunion mensuelle informelle entre les représentants des principaux organismes collectifs du marché de l'art - galeristes, commissaires-priseurs, experts - et les représentants des administrations principalement culturelles, mais également de l'Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) et des douanes. Il a été créé au moment de la libéralisation du marché de l'art sous l'effet du marché unique, en 1992-1993, et il avait pour objectif de s'assurer que cette libéralisation ne se traduisait pas par une hémorragie des biens culturels français. Depuis la Révolution française, on vide les châteaux et les greniers et c'est l'un des grands ressorts du marché de l'art. On craignait que le phénomène ne s'aggrave à l'occasion de cette libéralisation.
En effet, le marché de l'art en France est un marché de sortie : on sort des biens. Les statistiques n'incluent pas les transactions intra-européennes mais on pense que le rapport est de trois sorties pour une entrée. À l'inverse, les trois quarts des achats supérieurs à 50 000 euros sont le fait d'acheteurs étrangers. Et n'entrent en France pour y être vendus que de très rares objets ou collections représentant environ 5 % du total.
Le marché de l'art est polarisé : sa dimension financière lui est conférée par les oeuvres multimillionnaires, qui font l'objet d'une compétition féroce auprès des vendeurs, qui ont la clé de ce marché. Où vont-ils pour vendre ces oeuvres ? Mis à part le marché chinois, qui est un sujet en lui-même, ils vont à New York : la position dominante du marché new-yorkais s'est affirmée sous l'effet de la globalisation. En 2017, il y a eu 50 enchères millionnaires en euros en France et à peu près autant d'enchères supérieures à 50 millions d'euros à New York.
En somme, il y a deux marchés. D'une part, un marché de l'objet exceptionnel, hors norme, qui s'évalue en dizaines de millions de dollars ou d'euros ; ce marché-là est un marché en soi, qui a sa place dans les galeries, dans les grandes foires et dans les ventes aux enchères, principalement new-yorkaises. La France ne fait pas partie de ce jeu-là et, à ma connaissance, ne connaît pas d'enchères à 50 millions d'euros. Ce marché transite par Sotheby's et Christie's, autour d'un réseau de très gros acheteurs, de fondations, de musées internationaux - souvent américains - et de prescripteurs.
D'autre part, la France est un marché qui se porte bien dans sa catégorie, parce qu'il est soutenu par une classe d'amateurs tout à fait importante : des acheteurs, des fondations, qui acquièrent en général de l'art contemporain, par un intérêt public pour l'art - dont notre réunion même témoigne - et parce que des maisons de ventes ont su développer des niches dans le marché international, où la France est reconnue.
Après cinq ans, ma conclusion est que les facteurs juridiques, qu'ils soient fiscaux ou qu'ils tiennent à la régulation du marché, ne sont décisifs ni dans un sens, ni dans l'autre, pour expliquer la situation de la France. Des améliorations à la marge peuvent être faites. Le rapport de MM. Herbillon et Travert en avait dressé la liste. En ce qui concerne les fondamentaux, à la fois fiscaux et juridiques, du marché de l'art français, les facteurs défavorables sont largement équilibrés par les facteurs favorables.
Parmi ces derniers, notre régime de mécénat et notre régime juridique de création et de surveillance des fondations comptent parmi les plus libéraux au monde et contribuent à l'enrichissement de notre patrimoine artistique et des collections des musées, puisque les fondations qui recourent à ces facilités juridiques et à ce mécénat constituent des collections qui finiront bien un jour dans les collections publiques - après avoir animé le marché de l'art. Deuxième atout : le régime des plus-values en ce qui concerne les ventes d'objets est extrêmement favorable, plus encore que le régime américain. Le régime de la TVA en marge pour les galeries et les antiquaires est également un régime favorable sur le plan fiscal.
Deux régimes sont moins avantageux, mais nous les partageons avec l'Union européenne : la TVA à l'importation et le droit de suite. Le droit de suite ne me paraît pas un handicap très significatif pour le marché français. Quant à la TVA à l'importation, en tant que citoyen, je ne la comprends pas : il me semble que c'est plutôt une bonne chose que d'importer des oeuvres d'art !
Y a-t-il des régimes qui nous singularisent ? Le régime des ventes publiques me paraît neutre du point de vue de l'attractivité. Le CVV, dont je suis membre, fait bien son travail. Le régime de responsabilité et le régime relatif à l'authenticité des oeuvres et aux possibilités d'action de recours contre le vendeur sont en France plus rigoureux que dans un certain nombre de pays étrangers. Est-ce un inconvénient ou un avantage ? Le vendeur ou l'acheteur sont mieux sécurisés en France du point de vue juridique, parce que la prescription est plus longue, en tout cas pour les galeries, et que la jurisprudence française est plus exigeante sur l'authenticité. Inversement, l'action en nullité pour erreur sur la substance peut faire peser une ombre sur des transactions parfois anciennes et donc nuire à la sécurité de la transaction au cas où une oeuvre changerait d'attribution.
Les régimes de protection en termes d'importation et d'exportation ne sont ni particulièrement sévères ni handicapants pour le marché de l'art français. Le dispositif des trésors nationaux, rarement utilisé, est coûteux pour la collectivité puisqu'il la met devant le dilemme d'avoir soit à acheter, soit à laisser partir l'objet dans un certain délai. Il n'est pas à la mesure de l'exode d'oeuvres importantes de notre pays.
Bref, les limitations du marché français dans son exposition mondiale ne tiennent pas à des facteurs principalement législatifs ou fiscaux.