Intervention de Ernestine Ronai

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 15 février 2018 : 1ère réunion
Audition de M. Dominique Rivière mmes ernestine ronai et Mme Raphaëlle Manière

Ernestine Ronai :

J'ai apporté un tableau récapitulant les progrès accomplis depuis l'adoption de nos 40 recommandations : réalisées, en cours, à faire, non réalisées, administration non concernée... Nous rencontrons tous les ministères pour les informer et faire l'état des lieux des recommandations qui les concernent, ainsi que l'ENM. En novembre prochain, nous ferons le point. Le suivi de ce travail est aussi important que les constats qu'il établit et les recommandations qui l'accompagnent.

Comment faire appliquer ces préconisations ? La gendarmerie, la police et la justice manquent de moyens. Il faut des magistrats et des policiers en nombre suffisant en outre-mer. Mesdames et Messieurs les parlementaires, vous votez la loi de finances. Nous comptons sur vous pour mettre en avant cette exigence au moment du vote du budget.

Nos recommandations ont été très bien accueillies par les deux ministères de l'Outre-mer et de l'Égalité femmes-hommes, qui ont endossé cette « feuille de route ». Les deux ministres y sont très attentives.

Gardez un oeil sur le fléchage des crédits relatifs à la lutte contre les violences faites aux femmes en outre-mer. Je vous remercie pour vos remarques qui nous aident à réfléchir.

S'agissant de la prévention, il faut être conscient que le premier lieu d'apprentissage de la violence est la maison. Les référents de l'éducation nationale existent aussi dans les outre-mer. L'éducation nationale fait un effort, mais ne peut pas tout : toute la société doit bouger. Oui, les enfants peuvent reproduire la violence dont ils sont témoins. Le pédopsychiatre Maurice Berger racontait sa surprise de constater que les enfants les plus violents n'étaient pas ceux qui avaient eux-mêmes subi des coups, mais ceux qui avaient été exposés au spectacle des violences conjugales. Et les plus petits pouvaient être touchés, avec des gestes, des regards, des sensations susceptibles de faire ressurgir l'image du parent violent à l'occasion d'un événement qui leur faisait de nouveau éprouver leur peur. Alors l'enfant ne distingue plus le passé du présent et risque de devenir dangereux. Le psycho-trauma marque le cerveau, on le sait maintenant !

Vous le savez bien, nous éduquons nos enfants avec la société ; la famille n'est pas isolée. Il y a donc tout un travail à mener en tant qu'individu, mais aussi en tant que société et collectivité nationale.

N'inversons pas la culpabilité en parlant du déni des femmes. Le seul responsable de la violence, c'est l' agresseur. Le mécanisme de déni a un rapport avec celui de la violence. La femme est souvent sous emprise et reçoit des injonctions contradictoires : l'homme à la fois la dévalorise et lui dit qu'il l'aime. L'emprise explique que la femme puisse retirer sa plainte. Lorsque l'homme, craignant son départ, redevient « gentil », elle retire sa plainte en espérant qu'« il a changé ». Personne ne veut voir dans son compagnon un « sale type » ! Nous enseignons aux policiers et aux magistrats à gérer ces phénomènes d'emprise et de psycho-trauma.

Le 25 novembre dernier, le Président de la République a annoncé la création de dix unités de psycho-trauma en France. Je veillerai à ce qu'il y en ait au moins une en outre-mer. Nous avons besoin de nous acculturer sur ce sujet.

L'hébergement est un problème majeur. Il y a 4 CHRS pour mille habitants en Guadeloupe, 4 en Guyane, 8 à La Réunion, 4 en Martinique, mais 855 en métropole... Voyez le décalage ! Certains territoires n'ont même pas de foyers mère-enfant. Il y a vraiment besoin de travailler ce sujet.

Les hommes de Nouvelle-Calédonie ont participé à la campagne du ruban blanc6(*). Impliquer les hommes dans la lutte contre les violences est important. La répression fait aussi partie de la prévention. Les hommes violents ne sont pas malades - sinon ils ne seraient pas condamnés. Depuis la loi de 20147(*), on parle de « groupes de responsabilisation » pour les hommes, et de « groupes de parole » pour les femmes qui sont victimes. Parce que les hommes font un choix : on a toujours le choix de ne pas être violent. Et ils sont pénalisés justement parce que c'est un choix.

Monsieur Poadja, j'ai été très sensible à votre discours sur le statut particulier de la Nouvelle-Calédonie et sur la volonté de sortir d'une situation où la femme est très infériorisée. Un autre statut est nécessaire. Notre rapport émet par exemple des préconisations pour simplifier et accélérer les procédures judiciaires, afin qu'un seul juge (au lieu de trois) traite les dossiers pénaux des violences faites aux femmes.

Je tiens à saluer l'action de Roland Courteau sur les dispositifs de protection. Le mécanisme des ordonnances de protection monte en puissance. Il dépend des moyens de la justice et de la formation des magistrats. Nous intervenons sur ce thème lors de la formation initiale de tous les magistrats et lors des formations continues. La loi prévoyait que l'ordonnance de protection serait délivrée avant le dépôt de plainte mais la réalité est tout autre : elle est délivrée dans les faits au moment du dépôt de plainte. Vous devez rappeler la volonté du législateur d'organiser la protection avant le dépôt de plainte.

Soyez attentifs aux Téléphones grave danger (TGD) : le troisième appel d'offres risque d'être infructueux dans certains territoires, par manque de couverture réseau. Je l'ai signalé hier à Nicole Robineau, membre du congrès de la Nouvelle-Calédonie connue pour son engagement en faveur des droits des femmes. Installons au moins des TGD dans les endroits couverts par le réseau - par exemple à Nouméa.

Je suis d'accord avec vous, le rôle des intervenants sociaux est très important. Je pense qu'il y aura des annonces en ce sens le 8 mars.

Enfin, il serait judicieux de demander une étude sur le coût des violences faites aux femmes en outre-mer.

Pour conclure, je reprendrai une de mes citations favorites : Simone de Beauvoir disait que « La fatalité ne triomphe que si l'on y croit ». Dans vos deux délégations, vous ne croyez pas à la fatalité, donc les violences faites aux femmes vont reculer !

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