Intervention de Laura Flessel

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 24 janvier 2018 : 1ère réunion
Audition de Mme Laura Flessel ministre des sports dans le cadre de l'étude de la délégation sur la jeunesse des outre-mer et le sport

Laura Flessel, ministre des sports :

Je tenais à vous remercier de me permettre de m'exprimer devant vous sur la jeunesse et le sport en outre-mer, et plus généralement d'ailleurs sur le sport dans ces territoires. De son utilité à la pratique, en passant par un état des lieux des infrastructures, je pense que le sujet est vaste et mérite que l'on s'y intéresse de près. C'est pourquoi je me réjouis que votre délégation en ait fait un sujet d'étude en ce début d'année.

Dresser un état des lieux du sport en outre-mer n'est pas une chose facile. En effet, chaque territoire a ses particularismes et le développement du sport ne se fait donc pas de manière uniforme : les Antilles, la Guyane, Mayotte, La Réunion, la Polynésie, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, chaque cas est différent et les besoins ne sont pas les mêmes.

En comparaison de la métropole, il y a un déficit quantitatif et qualitatif évident en matière d'infrastructures : en moyenne, un tiers de moins d'infrastructures pour l'outre-mer, à quoi se rajoute la vétusté de nombre d'équipements. Les conditions climatiques imposent aussi des équipements adaptés, tant pour la pratique que pour l'entretien et la pérennité des infrastructures. Nous ne pouvons aussi ignorer les coûts de réalisation et de fonctionnement, qui sont très élevés.

Je sais que les attentes des ultramarins en matière de politique sportive sont importantes et elles sont légitimes. Je me suis engagée à développer le sport partout et pour tous - et tout au long de la vie -, à aller chercher trois millions de nouveaux pratiquants : les outre-mer ne seront pas oubliés, monsieur le président, vous pouvez me faire confiance.

Le plan de rattrapage d'un montant de 20 millions d'euros - 10 millions du ministère des sports et 10 millions du ministère des outre-mer - mis en place en 2017, visait d'ailleurs à répondre de manière structurelle aux carences de l'offre sportive par la combinaison de l'ensemble des politiques publiques, ville, santé, éducation.

Ce plan comportait plusieurs innovations :

- donner la priorité aux opérations sur les équipements sportifs de proximité existants ;

- organiser les conditions d'un diagnostic territorial approfondi, gage d'une planification des opérations de programmation efficace ;

- structurer la réflexion sur les équipements sportifs afin de garantir un retour sur investissement le plus élevé possible pour les collectivités territoriales partenaires et les utilisateurs.

Ce plan a donné d'excellents résultats avec 86 dossiers menés à terme pour un montant de 13 millions d'euros. C'est pourquoi, en 2018, j'ai décidé de poursuivre l'effort avec une nouvelle enveloppe de 7 millions d'euros pour les équipements à destination des outre-mer.

Nous devons donner les moyens et l'envie de pratiquer, et la proximité d'équipements est l'une des clés de cette pratique. Raisonner en termes de temps et non de distance, ça fait toute la différence quand le réseau de transport n'est pas optimum, comme c'est souvent le cas.

Le sport a de nombreuses vertus, mais je voudrais en mettre deux en avant aujourd'hui devant vous. La première, c'est qu'il est créateur de lien social et vecteur d'inclusion. En sport, les différences s'agrègent et rendent plus fort. En sport, on va vers l'autre, on apprend à le connaître qu'il soit dans notre équipe ou un adversaire. On apprend l'humilité, le respect, le dépassement de soi - la performance, la haute performance aussi -, et je parle aussi bien de la compétition que du sport loisir : pour moi, c'est une médaille à deux faces, et je n'oppose pas la haute performance à la pratique pour tous. Pratiquer le sport c'est aussi apprendre les codes du bien-vivre ensemble.

Ensuite, le sport est un formidable outil pour favoriser la santé et le bien-être et lutter contre l'effet de la sédentarité. Et c'est un enjeu encore plus important en outre-mer, où le diabète et les maladies cardiovasculaires frappent encore plus durement, avec une obésité plus marquée. Aux Antilles et en Guyane, un adulte sur deux est en surpoids. À Mayotte, 52 % des hommes et 79 % des femmes sont en surpoids. En Polynésie française et à Wallis-et-Futuna, 87 % de la population est en surcharge pondérale. La Réunion, Mayotte, la Guadeloupe et la Martinique ont les taux départementaux de prévalence du diabète les plus élevés de France : 10 % de la population de La Réunion et de Mayotte souffrent de diabète, soit deux fois plus qu'en métropole.

Il est désormais démontré que l'activité physique et sportive agit directement sur ces pathologies. Il est aussi démontré que le sport renforce l'efficacité des traitements anticancéreux, qu'il apporte aux personnes âgées dépendantes un réel réconfort. Des initiatives sont déjà lancées en métropole et en outre-mer. J'ai pu découvrir par exemple en Guadeloupe et en Martinique des innovations en ces domaines : la marche nordique en Martinique, les ateliers alimentation et sports pour les enfants, l'escrime ou le tir à l'arc en EHPAD.

Nous allons construire une stratégie sport santé et je souhaite que les outre-mer y soient très présents. Nous allons lancer des labellisations de « maisons sport - bien-être - santé » sur tout le territoire et en outre-mer, pour favoriser de nouvelles pratiques, des pratiques adaptées, avec un suivi personnalisé.

Voici le constat relatif au sport pour tous que je tenais à partager avec vous ainsi que les actions que nous allons mettre en oeuvre dès cette année pour l'outre-mer.

Je souhaitais aussi aborder avec vous la question des sportifs de haut niveau issus de l'outre-mer et qui font la fierté de notre pays, ici comme à travers le monde. Je suis quand même assez bien placée pour vous en parler un petit peu aujourd'hui, en toute fierté et humilité...

J'ai été détectée à 14 ans. J'ai commencé mon sport à 5 ans et demi, là où l'on ne parlait pas vraiment d'escrime mais là où l'escrime était déjà fortement établie. J'ai commencé à 5 ans et demi pour ne pas me retrouver en tutu rose. Je suis issue d'une famille de quatre enfants : deux filles, deux garçons. Mon père était météorologue et joueur de football ; il a été par la suite entraîneur de très bons clubs - le CSM, pour ne pas le citer, l'Arsenal, le Mondial -. Je ne l'ai pas connu comme athlète, mais comme entraîneur. Ses recommandations, ses convictions, son engagement m'ont forcément impliquée. Ma mère était dans l'enseignement. Elle disait : « Vous pouvez découvrir. En revanche, il faut la clé pour permettre d'ouvrir les portes pour l'ascension dans la vie professionnelle ». Effectivement, deux filles - deux tutus -, deux footballeurs : finalement non. J'ai eu la chance de voir une rétrospective d'un match de sabre, et cela a été le déclic : deux personnes en tenues blanches et non deux brindilles imitant Zorro, D'Artagnan, les trois mousquetaires... Et j'ai eu la chance, dans la ville de Petit-Bourg, d'avoir l'Office municipal de la culture et des sports (OMCS), qui existait encore et qui développait cette activité. Cela a été un déclic, un coup de foudre. Quarante ans après, je suis fière d'être ici devant vous, à parler de cette activité physique. Je ne sais plus si c'est le sport qui m'a découverte, ou bien moi. En tous les cas, nous avons fait quarante ans de pratique - vingt ans sous les couleurs de l'équipe de France - et aujourd'hui avec vous.

Lorsque j'ai été détectée à 14 ans, j'avais l'opportunité de venir m'entraîner ici en pôle. Je n'ai pas réfléchi deux fois : j'avais la possibilité de pouvoir continuer à escrimer en outre-mer, j'y suis restée. La fédération m'a dit que, à 18 ans, je pourrais ne pas avoir le niveau ; j'ai considéré que ce n'était pas grave. J'avais les infrastructures qui me permettaient de réussir, j'étais dans un écosystème géographique qui me permettait de rencontrer les Cubains, les Canadiens, les Colombiens, les Brésiliens. Alors que je n'étais pas en équipe de France, je pouvais faire les panaméricains et les championnats centraméricains. J'ai écouté la Marseillaise à Cuba, avant même d'être en équipe de France : cela m'a forgée. En revanche, je ne suis pas partie parce que c'était trop tôt, mais je suis partie réellement parce que j'avais mon confort, mon encadrement - c'est un déracinement de partir, il fallait que cela soit réfléchi -. Je suis partie le baccalauréat en poche, à 18 ans. J'ai eu la chance d'entrer à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP), où c'était un peu la jungle de la performance, mais c'était également un choix. Je voulais me pousser dans mes retranchements, savoir si je pouvais intégrer l'équipe de France ou non, savoir si je pouvais rivaliser avec les Cubains dans le cadre de championnats du monde, alors qu'ils me faisaient rêver quand je les rencontrais dans les panaméricains. Je me suis donné le droit aussi de rêver et d'avoir un encadrement qui me permettait, ici en l'occurrence, d'aller chercher les meilleures équipes internationales. Effectivement, je suis arrivée à 18 ans en métropole, à l'INSEP. Pendant cinq ans, on m'a dit que j'étais l'éternelle remplaçante, que j'étais jeune, ce sport était un sport de maturité et qu'il fallait prendre le temps de s'adapter. Je me suis approprié le rythme, je me suis approprié le déracinement : cela a été en effet très dur. L'encadrement, l'écosystème de la performance doivent être très bien réfléchis pour les ultramarins. En revanche, je me donnais aussi le droit de ne pas écouter ceux qui disaient que septième, c'était bien. J'avais déjà entendu la Marseillaise, je suis donc allé chercher, en toute humilité mais avec une détermination exacerbée, la gagne. En 1995, un an avant les Jeux olympiques, j'ai eu la chance d'entrer en équipe de France. Là où on me disait que j'allais être stressée, j'ai pris du plaisir : je retrouvais cette dynamique que j'avais connue aux panaméricains, ce champ de drapeaux, ces couleurs qui venaient, ces uniformes, ces survêtements qui défilaient. J'ai pris plaisir à aller chercher la médaille mondiale. Je rentre des championnats du monde avec deux médailles : une médaille de bronze, en individuel, et une deuxième place en équipe. Je me disais que si c'était cela, la compétition, je signais. L'année suivante, les Jeux olympiques à Atlanta. Pour ceux qui ne le savent pas, l'épée féminine, que je pratiquais, entraient cette année 1996 pour la première fois dans cette grande famille de l'olympisme. Dans cette jungle de la haute performance, j'ai gagné ma sélection : il fallait se faire sa place et même avec deux médailles mondiales, je n'étais pas sélectionnée un mois avant ces Jeux olympiques et paralympiques ; il fallait faire deux fois plus. Un mois avant la sélection, je fais un hold-up : je deviens première française et ce statut me permet d'être qualifiée, sélectionnée d'office sans attendre le vote de la commission. Je rentre dans cette aventure olympique que je finirai avec deux médailles d'or. Deux médailles d'or, sans être championne de France, deux médailles d'or sans être championne d'Europe, deux médailles d'or sans être championne du monde. Je suis allée chercher les titres dans le désordre, parce que ce qui me plaisait, c'était de me dépasser, d'être au sein d'un écosystème de la réussite, de la performance. Je me suis rendu compte qu'être aux côtés des meilleurs c'était aussi parler de durabilité. Effectivement, je me suis mise en danger en étant dans un environnement où il y avait beaucoup d'étrangers : cela m'a permis de me remettre en question en permanence. Cela a duré vingt ans. C'est donc possible : mais avec un écosystème encore performant.

C'est mon rôle aujourd'hui de travailler avec cet équilibre autour de la performance et du développement du sport pour tous et partout. Il faut intégrer un groupe, tous les acteurs du mouvement sportif en réalité. Cela passe par un travail qui va être lancé dès la semaine prochaine sur la nouvelle gouvernance du sport français. Nous allons ouvrir six mois de concertation pour travailler avec tous les acteurs qui vont nous permettre d'aller chercher la performance, la formation. J'ai choisi d'avoir quatre axes :

- la France qui gagne, la France qui rayonne, à travers la diplomatie, la francophonie, la filière « économie du sport », les grands événements. Ce sont des moments attractifs où l'on peut parler d'impact économique, de tourisme sportif et valoriser nos territoires ;

- la France en mouvement - aller chercher, je le disais, 3 millions de pratiquants ; l'objectif est d'intégrer nos territoires au mouvement, pour lutter contre l'exclusion à domicile ;

- la France qui intègre : il s'agit de rétablir la confiance en la vie sportive ;

- la France en pleine santé : considérant les chiffres que j'ai évoqués, nous avons décidé de créer des living labs « bien-être - sport - santé » : des lieux intermédiant pour permettre à toute personne éloignée de la pratique ou en affection de longue durée de venir et bénéficier d'un accompagnement, d'une programmation pour découvrir des pratiques, retravailler l'estime de soi, être dans une cohésion et un tissu social. L'objectif - et nous en avons parlé avec Jean-Louis Borloo, concernant les quartiers prioritaires de la politique de la ville - de positionner ces living labs dans ces zones pour avoir ces réponses autour de la pratique sportive. La pratique constitue une base pour rassembler autour de valeurs de cohésion sociale.

Les grands événements, Jeux olympiques et paralympiques, mais aussi jeux des îles de l'océan Indien, sont enfin des richesses à valoriser. Je remercie la direction des sports qui a tenu à avoir un retour détaillé de toutes les régions sur ces sujets.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion