Nous devons à Kofi Annan, ancien secrétaire général de l'Organisation des nations unies (ONU) et au travail des militants des droits et de la cause des femmes le fait que la lutte contre les violences faites aux femmes soit devenue un enjeu historique et civilisationnel mondial. Les violences dépassent les clivages politiques, religieux, sociaux ou culturels ; le combat pour les éradiquer est celui de « la famille humaine », selon les termes de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
En outre-mer comme ailleurs, et sans même parfois que nous en soyons conscients, des stéréotypes sur le masculin et le féminin se sont installés dans nos esprits. Il était néanmoins apparu, lors des travaux menés par le CESE en 2014, que les violences faites aux femmes étaient plus nombreuses en outre-mer. Le combat contre ces violences, loin de toute vision désincarnée, est mené par des acteurs de terrain, même si l'État, en application de la convention d'Istanbul contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique2(*), se doit également de mettre en oeuvre des actions et d'en rendre compte régulièrement. Nous avons donc pris soin de co-construire notre avis avec les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser), les conseils de la culture, de l'éducation et de l'environnement (CCEE), les conseils économiques, sociaux et culturels (CESC) et les associations, afin de disposer d'un état des lieux des violences et des initiatives existantes. La collaboration avec les Ceser est d'ailleurs une méthode de travail qui se développe au sein du CESE. En Nouvelle-Calédonie, le Ceser a réalisé à notre demande une étude sur le sujet, car la saisine prévoyait un focus particulier sur les territoires du Pacifique.
Pourquoi les violences faites aux femmes sont-elles plus fréquentes et plus graves en outre-mer, même s'il existe des différences d'un territoire à l'autre ? Je parle de meurtres, voire de mains coupées - oui, cela existe ! Il convient de rappeler la toile de fond que constituent l'histoire coloniale et le passé esclavagiste. Cela explique en partie que le seuil de tolérance à la violence soit plus élevé en outre-mer et qu'il y soit parfois moins aisé d'exprimer ses sentiments. Parce que la sidération face au maître fait que l'on a du mal à exprimer ses sentiments, pour les hommes comme pour les femmes. Et quand on n'a pas exprimé les choses, la violence surgit, notamment dans le contexte familial. Même si l'ensemble des classes sociales sont concernées par les phénomènes de violence, la situation économique et sociale dégradée de certains territoires, source de chômage, d'exclusion, de promiscuité dans les logements, voire d'alcoolisme et d'addiction, explique également ce constat. Enfin, l'apprentissage de la masculinité et de la féminité, à l'origine de stéréotypes ancrés dans les représentations de chacun, est influencé par les traditions et les religions. À cet égard, le Pacifique n'est pas si pacifique ! Les Églises y sont puissantes ; elles protègent certes les victimes, mais peuvent également contribuer à la propagation de certains stéréotypes. Elles se sont ainsi opposées à la signature de la convention d'Istanbul pour l'élimination des violences faites aux femmes, au motif qu'il y était question d'avortement et, en filigrane, de mariage entre personnes de même sexe. En conséquence, certains États de la zone Pacifique ne l'ont pas signée. Reste que la situation n'est guère plus brillante à La Réunion, où l'on enregistre de nombreux féminicides.
Plus globalement, les femmes souffrent, dans les territoires d'outre-mer, d'une difficulté d'accès aux droits et à la protection publique (gendarmes, services publics, etc.). La lutte contre les violences faites aux femmes comprend des actions très concrètes : la mise à l'abri et la prise en charge des victimes, la formation des professionnels, l'information des populations. Nous les avons examinées dans le rapport. Elles nécessitent des financements spécifiques, que l'État devrait flécher vers les territoires qui en ont le plus besoin.
Les violences faites aux femmes représentent, évidemment, un gâchis humain pour les victimes, leurs enfants et les auteurs ; elles ont également un coût économique, du fait notamment des pertes d'emplois et du versement de réparations, que plusieurs études ont tenté de mesurer. Voici un argument supplémentaire pour lutter contre ce phénomène, si son caractère humainement inacceptable ne suffisait pas... Lutter contre les violences faites aux femmes aura des conséquences favorables sur l'économie, comme, monsieur Magras, les investissements au profit de l'activité économique sur les dépenses sociales. Le dossier est motivant, car les résultats en sont visibles. Populations et acteurs de terrain doivent se mobiliser pour faire de cette « grande cause nationale », selon l'expression de notre Président de la République, une grande cause locale.