Bienvenue aux membres de la commission des affaires européennes et de la délégation aux entreprises. Je me réjouis que nous ayons mis au point une plateforme de consultation des entreprises sur la sur-transposition des normes européennes. Nous sommes au coeur de l'actualité et de notre mission première de parlementaires pour développer un environnement favorable aux chefs d'entreprises, créateurs de richesse.
La sur-transposition des textes européens en droit français est une préoccupation constante de nos entreprises, qu'elle place dans une position concurrentielle parfois défavorable. Le Gouvernement a indiqué vouloir cantonner strictement ces mesures. La délégation aux entreprises et la commission des affaires européennes ont saisi l'occasion offerte par le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc), dont deux articles reviennent sur deux ensembles de sur-transpositions, pour lancer une consultation en ligne auprès des entreprises afin d'identifier précisément les obligations qui pèsent sur elles et constituent, en tout ou partie, une sur-transposition du droit européen. Au-delà, cette consultation nourrira la vigilance que le Sénat entend exercer sur ce sujet.
Avec quelques années de recul, il apparaît que la France a souvent été très absente en amont de l'écriture des livres verts ou des livres blancs européens et a laissé s'écrire les directives, voire les règlements. Lorsqu'elle en prenait conscience, pour se rattraper, elle donnait libre cours à sa créativité en faisant de la sur-transposition. Nous étions alors à contre-courant du monde anglo-saxon.
Plus de trente entreprises ou fédérations professionnelles nous ont répondu, de la TPE au MEDEF. Plusieurs domaines sont concernés : l'information des consommateurs, les obligations en matière d'environnement et de santé, les règles applicables aux marchés publics, les normes en matière de santé et de sécurité au travail, de sécurité alimentaire, ou la gestion des entreprises.
Pour les obligations environnementales, qui font l'objet de sur-transpositions patentes, le projet de loi ESSOC allège les modalités de consultation publique concernant de nouvelles installations ou la modification ou l'extension d'activités, installations, ouvrages ou travaux existants.
Avec les consultations publiques, les évaluations environnementales et les études d'impact sont au coeur des cas de sur-transposition relevés par les entreprises. Le droit français génère un alourdissement de la charge administrative et un allongement des procédures, notamment dans le domaine énergétique. Plusieurs participants ont également relevé que c'était aux entreprises de décrire les incidences de l'installation ou de l'aménagement sur l'environnement quand le droit européen confie cette charge aux États.
La notion même de projet diffère entre le droit européen et le droit français. Le code de l'environnement retient une interprétation plus large que celles de la directive et de la jurisprudence européenne, qui conduit à mettre en avant des projets globaux et donc une procédure d'évaluation lourde. Nous avons tous, dans le secteur agricole, des exemples d'études d'impact environnemental longues et lourdes financièrement. En matière de raccordement à des flux d'énergies renouvelables, le droit national impose l'actualisation des études d'impact lorsque les incidences sur l'environnement n'ont pu être complètement appréciées avant l'octroi de l'autorisation. Le droit européen ne prévoit pas une telle actualisation. De même pour les exigences en matière d'évaluation environnementale en cas de modification ou d'extension de projets, là encore en décalage avec le droit européen.
Ces quelques exemples ne doivent pas conduire à juger tout écart avec la norme européenne comme autant de sur-transpositions. La question du seuil d'enclenchement des études d'impact a ainsi été soulevée. Les seuils français d'enclenchement de ces études sont jugés trop bas, mais le droit européen laisse une marge d'appréciation aux États membres.
Des contraintes résultant de sur-transpositions dans le domaine environnemental peuvent également avoir des incidences sur la compétitivité d'une filière. Sauf exception, le droit européen exclut des opérations de traitement de déchets les sous-produits animaux et produits dérivés non destinés à la consommation humaine. Le droit national ne reprend pas cette exclusion, ce qui place la filière française de transformation des sous-produits animaux dans une forme d'insécurité juridique et la fragilise vis-à-vis de ses concurrents européens, au moment d'une possible conclusion de l'accord avec le Mercosur. La filière viande rouge est potentiellement la plus impactée. Cette mesure de sur-transposition dans les abattoirs n'allège pas les coûts d'abattage de la filière française.
Dans le domaine de la santé, les représentants de l'industrie des technologies médicales ont particulièrement attiré notre attention sur les obstacles à la recherche clinique résultant de la sur-transposition des directives européennes. Là encore, celle-ci n'est pas sans incidence sur la compétitivité de la filière et l'emploi en son sein.
En droit européen, le régime d'autorisation de la recherche clinique porte ainsi exclusivement sur les dispositifs médicaux non marqués CE. Un produit marqué CE, utilisé dans ses indications, ne peut donc pas relever d'un régime d'autorisation de recherche. En France, la recherche sur un tel produit relève à la fois d'une procédure d'autorisation et d'un avis du comité d'éthique. En droit européen, les États membres peuvent autoriser les fabricants à entamer les investigations cliniques sur les dispositifs médicaux non marqués CE immédiatement après l'accord du comité d'éthique. La France impose un délai de 55 jours pour l'autorisation. Les règles françaises en cas d'incidents liés à la mise en oeuvre d'investigations cliniques diffèrent des dispositions européennes. Quant à l'obligation de déclaration à l'Agence nationale de sécurité des médicaments de certains dispositifs médicaux préalablement à leur mise en service sur le territoire, elle n'est pas prévue par la directive.
Les industriels du secteur sont vigilants sur l'entrée en vigueur en 2020 d'un règlement adopté en 2017 qui devrait rendre caduques un certain nombre des dispositions du code de la santé publique, notamment en matière de publicité des dispositifs médicaux, alors que la France interdit ou encadre fortement le contenu de ces publicités.
Deux cas supposés de sur-transposition relevés appellent des réserves. L'un concerne les paquets de cigarettes et l'autre la mention du débit d'absorption spécifique, qui quantifie les ondes auxquelles nous sommes exposés en utilisant notre téléphone mobile. Les mesures adoptées par la France se justifient par un impératif de santé publique, la Commission laissant en la matière une marge de libre appréciation aux États membres.
Les mentions obligatoires qu'impose le code de la consommation sur la publicité et l'information des consommateurs en matière de crédit immobilier et de crédit à la consommation, qui s'ajoutent à celles que prévoient les directives, sont particulièrement nombreuses. Or leur accumulation est susceptible de produire l'effet inverse de celui recherché et crée des difficultés opérationnelles pour les annonceurs, agences ou média.
Sont ainsi relevées : la mention obligatoire, dans la publicité pour un crédit immobilier, du délai de rétractation et du droit à remboursement des sommes versées au titre de la promesse de vente en cas de non obtention du prêt, alors que cette information figure dans l'information précontractuelle et contractuelle ; trois mentions obligatoires sur le coût du crédit à la consommation, alors que la directive n'en prévoit aucune ; ou encore l'obligation d'indiquer la qualité, l'adresse et le numéro d'immatriculation de l'annonceur en publicité, également non prévue par la directive.
Pour autant, le bienfondé de l'adjonction de certaines mentions obligatoires n'est pas contesté, comme l'information sur l'amortissement minimum du capital dans chaque échéance, dans la mesure où l'amortissement du capital restant dû est une spécificité française, ou encore, les informations sur les crédits renouvelables en cas de découvert de compte. La fiche de dialogue pour l'évaluation de la solvabilité de l'emprunteur permet de formaliser le dialogue, mais elle s'ajoute à l'obligation prévue par la directive d'évaluer cette solvabilité.
Des mentions obligatoires sont également ajoutées à celles que requiert le cadre harmonisé européen en matière d'information précontractuelle en matière de crédit à la consommation ou de vente à distance de services financiers. Quant à la vente de contrats d'assurance, la directive de 2016 prévoit la fourniture d'un document normalisé de deux pages contenant les informations essentielles sur le contrat, mais le code des assurances a pourtant maintenu l'obligation de remettre trois autres documents largement redondants, ce qui dilue l'information du consommateur.
En outre, les mesures de sur-transposition applicables aux marchés publics sont abondamment dénoncées : elles génèrent des charges administratives supplémentaires pour les entreprises et emportent un risque de divulgation d'informations commerciales confidentielles - ainsi l'obligation, non prévue par la directive de 2014, de mettre à disposition, sous un format réutilisable, les données essentielles du marché, y compris le montant et les principales conditions.
La rigidité du cadre français qui ajoute aux directives est soulignée. Vous en trouverez des exemples dans la synthèse qui sera élaborée. On peut citer la prohibition des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d'être obtenus ou l'obligation d'allotissement, simple faculté dans la directive. A priori favorable aux PME, celle-ci apparaît mal adaptée aux économies d'échelle susceptibles d'abaisser les coûts de certains projets. Le critère unique du prix est limité par le décret aux seuls marchés de services et de fournitures alors que la directive de 2014 permet de lui donner une portée plus large et qu'il pourrait être pertinent, par exemple, pour certains marchés de travaux, en fonction de l'appréciation de l'acheteur. Quant aux points susceptibles d'être négociés avec les soumissionnaires, là encore ils sont beaucoup plus limités que ce que prévoit la directive.
L'inclusion dans les marchés publics de services juridiques de la représentation et du conseil d'un client dans le cadre d'un arbitrage ou d'une procédure juridictionnelle ou administrative, que n'impose pas le droit européen, apparaît également malvenue en raison du fort intuitu personae attaché à ce type de service.
Dans le secteur de la défense, pour répondre à la réactivité extrêmement forte de Daech en matière d'élaboration d'armes et de drones, l'armée française est obligée de lancer une procédure d'appels d'offre assez longue... Elle intervient alors avec retard. Prenons garde à des points ponctuels ou à des domaines que nous n'aurions pas envisagés. La directive européenne était parfaite, mais nous l'avons sur-transposée, handicapant les procédures d'appel d'offres. Notre rôle est donc essentiel au travers de cette plateforme.
Selon nos interlocuteurs, certaines obligations prévues par des directives sont étendues à des entreprises qu'elles ne visent pas, comme l'obligation de nommer un commissaire aux comptes à toutes les sociétés anonymes, quelle que soit leur taille, ou l'application aux mutuelles de santé du régime administratif, prudentiel et comptable des organismes d'assurance et de réassurance prévu par la directive de 2009 - alors qu'il s'agit d'organismes de prévoyance et de secours que la directive exclut expressément de son champ d'application.
Après cette réunion commune, la commission des affaires européennes débattra de deux textes sur la protection des données personnelles et sur les services de paiement. La conférence des présidents nous a confié, il y a un mois, la mission d'être extrêmement attentifs à la sur-transposition. Il ne faut pas sur-transposer les textes européens, car cela fragilise et handicape nos entreprises.