Je complèterai le bilan de Jean Bizet en me focalisant sur les domaines qui recouvrent ceux que nous signalent le plus souvent les entreprises que nous rencontrons lors de nos déplacements de terrain : les normes industrielles, les normes en matière de santé et sécurité au travail, le code du travail, les obligations en matière de sécurité alimentaire... Les normes évoquées sont très diverses. Je vous en présenterai quelques-unes, reprises plusieurs fois dans le cadre de la consultation.
La consultation révèle une multitude de normes industrielles relevant de sur-transpositions handicapantes pour la compétitivité de nos entreprises, qui concernent notamment les activités de traitement de surfaces de métaux ou de matières plastiques par des procédés industriels chimiques ou électrolytiques : la règlementation européenne impose l'obtention d'un permis d'exploiter et le respect de conditions de fonctionnement pour certaines catégories d'activités de traitement de surface dépassant des seuils quantitatifs, à partir de 30 mètres cube. Le seuil français est lui fixé à 1,5 mètre cube. Il est accompagné de restrictions dans les moyens accordés aux entreprises pour le respecter.
À compter du 1er janvier 2018, tout nouvel équipement terminal radioélectrique destiné à la vente ou à la location sur le territoire français doit être compatible avec la norme IPV6. Or, la directive européenne relative à l'harmonisation des législations des États membres n'impose pas ce type de contraintes. Des équipements non dotés du protocole IPV6 entrent donc sur le marché européen, en concurrence déloyale avec les produits français.
Les cas de sur-transpositions dans les domaines de la santé et de la sécurité au travail sont particulièrement familiers aux membres de la Délégation aux entreprises - ils nous sont régulièrement rappelés par les entrepreneurs que nous rencontrons. C'est ainsi que la question des valeurs limites d'exposition professionnelle (VLEP) a encore une fois émergé dans le cadre de la consultation.
La directive européenne définit une valeur limite d'exposition aux poussières de bois durs de 3 milligrammes par mètre cube jusqu'en 2023, puis de 2 milligrammes. Or la législation française fixe cette valeur à 1 milligramme. La mise aux normes françaises demande aux industries du bois un investissement lourd dans les machines-outils et la mise en oeuvre de ces normes très strictes implique une forte consommation électrique par ces machines.
La directive européenne fixe la valeur limite d'exposition au chrome hexavalent ou chrome 6 à 50 microgrammes par mètre cube, ou de 10 à 25 microgrammes selon les formes de chrome hexavalent concernées. Ce plafond a été divisé par 50 en France depuis trois ans et abaissé à un microgramme en 2014 - ce qui constitue la marge d'erreur. Il s'agit du seuil le plus bas parmi les pays industrialisés. Des pays européens comme l'Allemagne, la Suède et l'Espagne ont de leur côté fixé ce seuil à 5 microgrammes. La mise en conformité imposée aux entreprises françaises représente là encore un très lourd investissement pour nos entreprises.
Sur la VLEP au styrène, aucun des textes européens encadrant la protection des travailleurs exposés aux substances chimiques ne classe le styrène comme substance dangereuse pour la santé des travailleurs. En France, c'est par un décret de 2016 que cette limite est fixée. Nos entreprises doivent donc réaliser des investissements de mise en conformité très onéreux représentant un surcoût non négligeable et récurrent que n'ont pas à supporter nos concurrents européens.
Certaines dispositions du code du travail relèvent également de sur-transpositions du droit européen, malgré les efforts récemment entrepris dans ce domaine. Ainsi, une règlementation française plus stricte concernant les temps de travail et de repos hebdomadaires pénalise les entreprises françaises dans le domaine du transport routier de voyageurs pour le tourisme, alors même qu'elles présentent des garanties de sécurité supérieures à leurs concurrentes européennes. Diverses règlementations de sécurité des machines sont également plus strictes.
La sécurité alimentaire est fondamentale, en particulier dans le contexte sanitaire que nous connaissons. Mais il existe une différence entre prudence et excès de prudence. Les normes françaises sont parfois excessivement strictes pour un gain en termes de sécurité sanitaire qui fait débat, si l'on en croit les résultats obtenus dans les pays voisins, qui assurent une sécurité alimentaire comparable sans perte de compétitivité.
Dans la règlementation européenne, la déclaration de conformité existe uniquement pour les plastiques en contact alimentaire. Un décret de 2006 l'a étendue en France aux cartons, ce qui alourdit le cahier des charges des industriels d'une contrainte que leurs concurrents européens n'ont pas. Cette règlementation est par ailleurs rendue inopérante par le marché unique puisque les cartons fabriqués hors de France pénètrent librement le marché national.
La règlementation française prévoit que les auxiliaires de fabrication dans le domaine alimentaire ne figurant pas sur une liste préétablie doivent faire l'objet d'une évaluation de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), après saisine de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Puisque les produits réalisés ailleurs en Europe entrent librement en France, pourquoi ne pas faire comme les pays voisins : confier aux industriels la responsabilité d'appliquer les principes HACCP, et faire mener des audits par des tiers de confiance ? Nos entreprises y gagneraient en simplicité et en réactivité. En effet, la procédure française est particulièrement lente : la saisine de l'ANSES peut prendre jusqu'à 377 jours, alors même que le décret s'y rapportant en prévoit 120.
Dans le cadre des restrictions applicables aux substances chimiques, le règlement européen exclut le domaine alimentaire de l'obligation de déclaration annuelle de substances à l'état nanoparticulaire. En France, l'article du code de l'environnement transposant cette directive met en place, sans étude d'impact préalable, l'obligation de déclaration des substances à l'état nanoparticulaire dans le registre français r-nano et applique une définition de ces substances différente de la définition européenne puisqu'elle inclut le domaine alimentaire. Cette règlementation nationale, la plus stricte au sein de l'Union européenne, aboutit-elle à une meilleure sécurité comparée aux autres pays européens ?
Le Protocole international de Nagoya vise un partage juste et équitable des avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques de « plantes, animaux, bactéries ou d'autres organismes, dans un but commercial, de recherche ou pour d'autres objectifs ». Avec l'Espagne, la France est le seul pays à avoir mis en place, sur le fondement du règlement européen s'y rapportant, une régulation contraignante de l'accès aux ressources génétiques - en particulier dans le domaine alimentaire pour des raisons de sécurité - et notre pays a la règlementation la plus stricte au sein de l'Union européenne qui oblige à publier des informations sensibles au stade de la recherche. Cette règlementation et ses conséquences en termes de lenteur administrative - 8 mois de procédure au minimum - et de publicité des technologies, risquent de causer une diminution de l'attrait scientifique français dans un contexte international particulièrement concurrentiel.
Ces exemples ne représentent qu'une partie des sur-transpositions qui ont été régulièrement portées à notre attention par les entreprises et illustrent bien la diversité des cas de ce « mal français » qui touche tous les domaines. La commission des affaires européennes et notre délégation avaient bien pressenti l'étendue de ce mal. Chacune d'elles a déjà publié l'an dernier un rapport encourageant la simplification et dénonçant la tendance française à sur-transposer les normes européennes : La simplification du droit : une exigence pour l'Union européenne pour la commission des affaires européennes, et Simplifier efficacement pour libérer les entreprises pour notre délégation.
Au vu de la richesse des données récoltées grâce à la consultation que nous avons lancée, il nous semble utile de prolonger la réflexion. Le Gouvernement lui-même n'a fait qu'amorcer le travail de « dé-surtransposition » dans le projet de loi ESSOC ; il annonce des avancées plus substantielles en ce domaine dans le projet de loi relatif au Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) qui devrait être soumis avant l'été à l'Assemblée nationale et sans doute en septembre au Sénat.
Jean Bizet et moi-même vous proposons de poursuivre la réflexion afin de voir quelles conséquences nous pourrions en tirer. Notre collègue René Danesi, qui est membre de nos deux instances, nous a fait savoir qu'il serait intéressé de mener ces investigations plus approfondies. Est-ce que vous approuvez sa nomination ?
Il en est ainsi décidé.
Pour que les initiatives que nous pourrions prendre soient visibles, il faudrait qu'elles interviennent avant la lecture du projet de loi PACTE qui traitera de très nombreux autres sujets. Ceci impliquerait de finaliser le travail avant la suspension des travaux parlementaires de printemps : notre rapporteur a donc un gros travail à réaliser.