Les 19 et 20 février derniers s'est tenue à Bruxelles la conférence interparlementaire semestrielle sur la stabilité, la coordination économique et la gouvernance dans l'Union européenne - que nous appelons plus communément « conférence de l'article 13 » du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Fabienne Keller et moi-même étions présents pour représenter le Sénat français.
La création de cette conférence visait à permettre un contrôle par les Parlements nationaux des modalités de la mise en oeuvre des règles de gouvernance budgétaire en Europe. Cependant, les discussions abordent plus largement les sujets financiers et institutionnels d'actualité de l'Union européenne.
Je voudrais souligner l'importance des échanges entre représentants des parlements nationaux, ainsi que la qualité des rencontres avec les membres des institutions européennes. Des membres de la Commission européenne sont en effet intervenus lors de plusieurs tables rondes pour présenter l'action conduite par la Commission. C'est ainsi que nous enrichissons notre réflexion et que nous construisons ensemble le projet européen.
Cependant, je rappelle les interrogations déjà exprimées par notre commission des finances s'agissant de la portée réelle de cette conférence. Les travaux sont organisés de telle manière que l'on assiste, à quelques exceptions près, à une succession d'interventions sans véritables échanges tandis que le message politique de la conférence est amoindri faute d'adoption de conclusions au terme des deux jours de réunions.
Quel est le bilan de la conférence de Bruxelles, où une centaine de parlementaires nationaux étaient présents ?
Le Parlement européen et l'Assemblée nationale de la République de Bulgarie, chargés de l'organisation, avaient inscrit quatre thèmes à l'ordre du jour : les priorités politiques du semestre européen, l'avenir de la politique fiscale de l'Union européenne, l'avenir de l'Union économique et monétaire et le prochain cadre financier pluriannuel post-2020. Fabienne Keller et moi-même sommes intervenus en séance, respectivement sur les priorités politiques du semestre européen et sur l'union bancaire.
À l'occasion de la séance plénière inaugurale sur les priorités politiques du semestre européen, il a été souligné le caractère charnière de l'année 2018. Marianne Thyssen, commissaire européenne chargée de l'emploi et des affaires sociales a en effet rappelé que si plusieurs indicateurs macroéconomiques témoignaient d'une reprise, la situation de l'emploi reste hétérogène et dégradée par rapport à 2008.
Les discussions se sont ensuite orientées sur la nécessité de conduire des réformes structurelles de façon coordonnée pour améliorer la résilience de l'Union européenne. Cette question a soulevé des débats à propos de l'accompagnement des États membres dans la mise en oeuvre de ces réformes. Dans son examen annuel de croissance sur le « paquet d'automne » du semestre européen publié en novembre 2017, la Commission européenne recommandait une orientation budgétaire globalement neutre au niveau de la zone euro. Elle relevait également la nécessité de réduire les déséquilibres entre États membres. Cette recommandation a suscité des prises de position divergentes de plusieurs représentants de parlements nationaux, certains parlementaires espagnols et portugais en particulier regrettant le manque de réalisme des ajustements demandés par la Commission européenne.
À cette occasion, notre collègue Fabienne Keller a insisté sur la nécessité, pour la France, de sortir du volet correctif de la procédure pour déficit public excessif dès le printemps 2018, ainsi que sur l'opportunité conjuguée du fin de cycle électoral et de reprise économique pour mener à bien plusieurs projets, à commencer par l'approfondissement de l'union des marchés de capitaux et la finalisation de l'union bancaire.
C'est sur ce projet que je suis intervenu, rappelant les travaux de notre commission pour concilier la définition d'un cadre commun et la préservation des spécificités françaises. J'ai en particulier indiqué que l'union bancaire ne peut fonctionner que si la réduction et le partage des risques vont de pair. Cet indispensable équilibre guidera les négociations en cours sur le système européen de garantie des dépôts.
Cette intervention faisait suite aux propositions de la Commission européenne de décembre 2017. La feuille de route présentée envisage un calendrier résolument ambitieux, fixant le cadre de l'action de la Commission européenne d'ici la fin de son mandat.
S'agissant de l'union bancaire, les échanges à Bruxelles ont toutefois montré que de nombreuses difficultés persistent, tant pour la question des créances douteuses que pour la mise en place d'un système européen de garantie des dépôts.
S'agissant plus largement de la résilience et de la coordination au sein de l'Union économique et monétaire, les débats se sont principalement cristallisés autour de la transformation du Mécanisme européen de stabilité (MES) en un Fonds monétaire européen (FME). Cette évolution a fait l'objet d'une proposition législative de la Commission européenne en décembre dernier. Le Fonds monétaire européen pourrait intervenir, comme le Mécanisme européen de stabilité, en cas de difficultés financières d'un État membre de la zone euro. Surtout, il assurerait la fonction de filet de sécurité du fonds de résolution unique, le deuxième pilier de l'union bancaire. À ce stade, les échanges sont restés très généraux, et ont surtout mis en évidence les divergences entre les parlements nationaux sur la question du transfert au Fonds monétaire européen (FME) de la capacité de surveillance budgétaire actuellement assurée par la Commission européenne.
Les sujets fiscaux ont également occupé une place importante dans nos échanges. Plusieurs dossiers ont été abordés : la lutte contre l'évasion fiscale, les propositions de refonte du régime TVA, la fiscalité du numérique et l'évolution des discussions sur le projet d'assiette commune, puis consolidée, d'impôt sur les sociétés.
Je me concentrerai plus particulièrement sur ces deux derniers sujets. Comme vous le savez, un débat existe entre États membres sur la manière d'appréhender fiscalement les géants du numérique. L'été dernier, à l'initiative de la France, quatre États membres (France, Allemagne, Italie et Espagne) ont appelé à la création d'une taxe sur le chiffre d'affaires, recevant ensuite le soutien de quinze autres États membres. Cette proposition n'est pas partagée par l'ensemble des États, en particulier l'Irlande et les Pays-Bas qui ne souhaitent pas la mise en place d'une taxation spécifique. Telle est également la position du Parlement européen. La commission ECON s'apprêtait à adopter la même semaine les rapports des deux rapporteurs sur les propositions de directives ACIS/ACCIS. Des amendements au projet d'ACCIS visant à compléter la définition d'établissement stable pour prendre en compte les activités numériques ont été adoptés par la commission.
C'est dans ce cadre que j'ai interrogé Valère Moutarlier, responsable de direction générale de la fiscalité et des douanes de la Commission européenne en charge de ces dossiers. La Commission européenne présentera le 28 mars prochain une proposition relative à la fiscalité des entreprises du numérique. Il m'a confirmé que deux axes devraient être retenus. D'abord, une solution de court terme avec une taxation spécifique qui pourrait reposer sur les revenus tirés par ces entreprises de l'utilisation des données personnelles des utilisateurs. Ensuite, une solution de moyen terme, consistant en un amendement du projet ACCIS, avec la définition d'un critère spécifique permettant d'appréhender les activités numériques. Nous suivrons avec attention ces propositions. Nul doute que nous y travaillerons très prochainement.
En dernier lieu, les discussions ont porté sur les priorités politiques et les grands équilibres du prochain cadre financier pluriannuel.
Deux facteurs doivent être pris en compte. Le retrait du Royaume-Uni des contributeurs modifie les équilibres, tandis que l'apparition de nouvelles priorités au cours du cadre financier pluriannuel 2014-2020 montre la nécessité d'une flexibilité accrue du cadre financier.
Ainsi, la Commission européenne a rappelé son souhait de parvenir à un accord politique avant les élections européennes de mai 2019. Elle devrait présenter un premier projet en mai prochain. Les discussions ont toutefois mis en évidence l'âpreté des négociations qui s'ouvrent, en particulier concernant l'évolution des montants consacrés à la politique agricole commune et à la politique cohésion. Je vous rappelle qu'un groupe de travail commun à notre commission des finances et à la commission des affaires européennes, dont sont membres Patrice Joly, Fabienne Keller, Jean-François Rapin et Claude Raynal, a été créé pour suivre ces négociations.