Intervention de Élise Massicard

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 février 2018 à 9h35
Audition conjointe sur les évolutions politiques et diplomatiques de la turquie

Élise Massicard, directrice de recherche au CNRS, attachée au Centre de recherche internationale - Sciences Po (CERI) :

Tout d'abord, l'AKP a longtemps été un parti attrape-tout et assez diversifié.

L'AKP, ces derniers temps, s'est resserré sur une ligne de plus en plus contrôlée par le président Erdoðan. Les différents sous-groupes proches de l'ancien président Abdullah Gül ou l'ancien premier ministre ont été écartés.

Quant au maire d'Ankara, en poste durant quatre ou cinq mandats, il fait partie des personnalités politiques qui ont été remerciées. Il a été poussé à la démission, mais n'a pas démissionné de son propre chef comme d'autres maires de grandes villes dans lesquelles le vote pour le « non » au référendum constitutionnel de l'an dernier l'a emporté. Ces maires ont été tenus pour responsables des résultats électoraux.

S'il a accepté comme les autres, avec certains remous internes toutefois, c'est parce que, comme les autres, Melih Gökçek doit toute sa carrière politique à l'AKP et aux partis antérieurs.

L'AKP a mis en place une politique de gestion des ressources humaines qui fidélise les personnalités politiques, leur refusant toute ressource politique autonome et ne leur permettant pas de se positionner de façon indépendante. Cela nourrit toutefois des mécontentements et des exclusions qui finissent par devenir assez massives.

S'agissant du Conseil de l'Europe, la Turquie en est un des pays fondateurs et y joue un rôle important. La Turquie est aussi le pays contre lequel il existe le plus de recours devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Plus de 100 000 requêtes lui ont été adressées concernant les mesures de répression suite à la tentative de coup d'État. La CEDH est aujourd'hui complètement submergée par des demandes auxquelles elle n'a pas la capacité matérielle de répondre.

Le Conseil de l'Europe a demandé la création d'une commission d'enquête sur les pratiques de l'état d'urgence en Turquie. Celle-ci a été mise en place et la CEDH est censée y renvoyer tous ses dossiers.

Toutefois, on peut aujourd'hui s'interroger légitimement sur son fonctionnement et son efficacité, puisqu'elle a reçu plus de 100 000 requêtes et n'a rendu à ce jour des décisions que dans 3 000 affaires, décisions qui ne sont pas publiques.

Par ailleurs, elle est critiquée au motif que la plupart des juges sont nommés par le pouvoir.

On s'interroge sur cette procédure, qui semble de toute évidence ne pas répondre aux standards de la CEDH, et qui va poser à nouveau la question du rôle du Conseil de l'Europe et de la présence de la Turquie au sein de celui-ci.

Quant à Mme Meral Ak°ener, elle est en effet la seule candidate à la présidence aujourd'hui déclarée contre Tayyip Erdoðan. C'est une preuve de courage. Elle a réalisé la scission du parti nationaliste turc et a créé un nouveau parti. Elle cherche à fédérer toutes les oppositions, et se heurte à un certain nombre d'offensives de la part du parti au pouvoir, mais surtout à de véritables blocages.

Autant il existe énormément d'opposition contre un pouvoir de plus en plus autoritaire et contre la personnalité d'Erdoðan, autant ces oppositions sont diversifiées. De ce point de vue, elle se heurte, concernant le vote kurde, à un blocage du parti nationaliste turc, qui a un bilan extrêmement critique par rapport à la question kurde. Elle a donc très peu de chances d'attirer beaucoup de voix kurdes. Elle est également confrontée à un blocage de même nature concernant les Alévis, pratiquement aussi nombreux que les Kurdes en Turquie. Ceux-ci ont beaucoup de choses à reprocher au parti nationaliste turc dans lequel elle a été extrêmement active durant des années.

Je suis assez peu convaincue par le fait qu'elle pourrait rassembler ces différentes oppositions. Cependant, pour l'instant, aucun autre candidat n'émerge.

Enfin, existe-t-il des tentatives de politisation de la diaspora par le pouvoir turc ? Oui, il en existe beaucoup, ainsi que des incitations à s'investir au niveau local, dans les organisations de l'islam de France. Aujourd'hui, le rôle des Turcs dans ces organisations va croissant.

En France, un parti lié à l'AKP a été créé. Il s'est présenté aux dernières élections dans plusieurs circonscriptions. Bien que cela reste un petit parti, il montre une volonté d'organisation et d'investissement dans les instances politiques.

Il existe également, à partir des représentations diplomatiques et consulaires, des formes d'encadrement de la diaspora turque très bien organisées au niveau des cours de religion, de langue turc, avec tous les débats sur l'enseignement de la langue turque dans les établissements français que cela peut comporter, les choses se faisant principalement à partir du réseau consulaire.

L'offensive n'est pas neuve, mais elle a gagné en organisation et en encadrement de la diaspora.

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