Intervention de Élise Massicard

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 février 2018 à 9h35
Audition conjointe sur les évolutions politiques et diplomatiques de la turquie

Élise Massicard, directrice de recherche au CNRS, attachée au Centre de recherche internationale - Sciences Po (CERI) :

La Turquie est-elle susceptible de dénoncer l'accord avec l'Union européenne sur la gestion des migrants ? Je ne le crois pas, car la Turquie voudrait avancer sur ce sujet concernant les contreparties qui lui avaient été proposées en matière de visas, mais aussi d'union douanière.

La Turquie s'est montrée prête à opérer des changements sur certains points de sa loi antiterroriste. Je pense que la Turquie n'est pas dans une démarche où elle pourrait envisager de dénoncer cet accord et prend la mesure du coût de la rupture avec l'Europe. Je pense que les choses se feront en négociant certains points très précis à l'occasion d'un bras de fer.

Concernant l'avenir politique du président Erdoðan, je ne possède pas de boule de cristal. La seule chose que je puisse dire, c'est qu'il est assez probable que les élections n'amènent pas beaucoup de changements de ce point de vue. Cependant, le socle de sa légitimité politique va continuer à se modifier. Tayyip Erdoðan est arrivé au pouvoir dans le cadre d'élections libres, concurrentielles, en acceptant la logique électorale, puis a mené un certain nombre de réformes en acceptant de se plier au jeu électoral durant des années.

Cette logique fonctionne de moins en moins. C'est la raison pour laquelle l'opposition est muselée, qu'on assiste aujourd'hui à toutes ces mesures de répression, sur lesquelles on n'est pas revenues en détail, mais qui sont assez impressionnantes, et que toutes les ressources publiques sont destinées au parti au pouvoir.

Tayyip Erdoðan est aujourd'hui président, sans être spécialement neutre d'un point de vue partisan. On est là face à un glissement très fort de sa légitimité politique. Tous ses discours de mobilisation de la population autour de la guerre et, plus largement, contre les gülenistes et contre toutes les menaces qui pèseraient sur la Turquie, vont dans ce sens.

La question est de savoir dans quelle mesure ce type de légitimation politique est durable et dans quelle mesure les différents leviers internationaux sont susceptibles de la mettre en cause. Je n'ai pas de réponse précise à vous proposer, mais je pense que c'est ainsi qu'il faut réfléchir.

S'agissant de la question de l'opinion publique turque, il faut bien comprendre que les médias ne sont plus libres en Turquie et qu'il existe extrêmement peu de canaux d'information alternatifs. L'opinion turque est largement encadrée par des médias pro-gouvernementaux.

La manière dont la visite du président Erdoðan en France a été répercutée dans la presse turque est édifiante : cette visite est considérée comme un succès. L'opinion publique est captive d'un univers médiatique qui se rétrécit et qui est sous contrôle.

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