Merci monsieur le Président. Le travail que j'ai mené est né d'une réflexion sur la crise de 2008, et notamment sur la gestion de la crise. J'avais eu l'impression que la crise avait été gérée - notamment en Allemagne - dans l'intérêt quasi-unilatéral des retraités : pas de transfert, pas d'inflation, pas de déficit, pas de restructuration de la dette. Qui a gagné à tout cela ? Les retraités. En commençant à travailler sur ce sujet, j'ai eu le sentiment de mettre le doigt sur un problème très profond de notre système social et de notre système de financement.
Cela a donné ce livre engagé, au côté polémique assumé. Je vais vous donner des éléments qui vont plutôt aller dans le sens de ce que vous a dit Louis Chauvel, sauf que je ne regarde pas le sujet des générations. Je regarde « macro », aussi bien aujourd'hui qu'à moyen terme. Il y a une spécificité française : on a cru longtemps qu'on était protégé de ces questions de générations par notre démographie. La France a la démographie la plus forte d'Europe après l'Irlande. C'est toujours vrai, même si depuis 2013 on assiste à une baisse assez importante des naissances.
Mais il est faux de poser la question comme cela. La France n'est pas jeune, elle est juste moins vieille, notamment moins vieille que l'Allemagne. Nous avons probablement vingt ans de retard dans le processus de vieillissement par rapport aux Allemands et par rapport maintenant aux Espagnols et aux Italiens... Mais fondamentalement, quand on regarde les équilibres, on s'aperçoit qu'ils ne sont pas bons, notamment quand on observe notre système de retraite par répartition qui doit être fondé sur trois générations : la génération d'avant, la génération d'aujourd'hui, la génération de demain.
Nous vivons également avec une autre idée fausse : celle que les retraités sont pauvres. Les retraités ne sont plus pauvres, c'est une bonne nouvelle... mais la pauvreté a changé de camp : ceux qui sont pauvres, ce sont les jeunes. Même si tout est relatif, les jeunes sont pauvres, les statistiques le montrent. Il y a eu depuis les années 1980 un formidable rattrapage en faveur des retraités, et il était nécessaire. Sauf qu'il s'est fait - comme il s'agit d'un jeu à somme nulle - aux dépens des jeunes. Donc les retraités ne sont plus pauvres. La meilleure preuve en est que depuis deux ou trois ans, les revenus des retraités ont dépassé ceux des actifs. Rappelons-nous ce quinquennat où l'on disait qu'il fallait « travailler plus pour gagner plus »... désormais, les revenus des retraités ont dépassé les revenus des actifs. Ce qui est quand même extraordinaire en termes d'équilibre social. Il y a évidemment des pensions qui ne sont pas élevées. Et la catégorie des retraités doit être précisée : il y a des retraités pauvres, notamment des femmes, dont les carrières dans le passé étaient souvent entrecoupées et qui étaient moins bien formées que les hommes, leurs études étant beaucoup moins longues. Elles ont ainsi eu des destins professionnels moins intéressants, donc des petites retraites aujourd'hui. En Allemagne, il y a 20 % de différence entre le revenu des actifs et celui des retraités, en faveur des actifs.
L'autre élément dont on ne parle jamais est le patrimoine. Tout le monde parle des pensions, veut se battre contre la hausse insupportable de la CSG... sauf qu'on oublie le patrimoine. Il y a eu un phénomène extraordinaire ces vingt dernières années, surtout dans les grandes villes. Il y a vingt ans, le patrimoine cumulé des moins de cinquante ans et des plus de soixante ans était égal. Aujourd'hui, il y a 50 % de différence, en faveur des plus de soixante ans. C'est un effet d'enrichissement très largement lié à l'immobilier. La hausse de l'immobilier a été continue partout, notamment à Paris. Cela a produit ce déséquilibre qui fait qu'aujourd'hui, si vous êtes un actif qui gagne bien sa vie mais que vous n'avez pas de patrimoine à Paris, vous ne pouvez plus investir et habiter à Paris.
Je crois que j'avais vu des chiffres, mais ils sont à vérifier : 80 % du parc immobilier parisien appartient à des plus de 60 ans. Donc beaucoup plus de patrimoine, et des revenus qui sont devenus supérieurs, des cotisations qui sont plus faibles même si elles commencent à être rééquilibrées et puis, au passage, des manipulations budgétaires qui ont fait que la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a cotisé pour la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), toujours avec cette idée que les retraités sont pauvres. Or ils ne sont plus pauvres, ils sont même beaucoup plus riches que les actifs. Certes, leur patrimoine n'est pas forcément liquide, mais c'est un autre sujet.
Si l'on regarde l'avenir, il ne s'agit pas de savoir si le système de retraite est soutenable, mais quand il va falloir le réformer. C'est en effet un système qui a été imaginé lors d'une période de très forte croissance, de l'économie comme de la population. Quelques chiffres : on avait 5 % de croissance par an pendant les Trente Glorieuses. Dans les années 1960, les baby-boomers alors âgés de 20 ans pouvaient s'attendre à vivre à 50 ans dans un monde quatre fois plus riche, si l'on additionne les 5 % de croissance annuels, et même huit fois plus riche à 65 ans, si l'on avait eu 5 % de croissance pendant 45 ans. Donc on pouvait ponctionner une partie importante de leur revenu parce que la création de richesses à venir était extrêmement importante. Ce système-là ne fonctionne plus lorsque l'on est à 1 ou 2 % de croissance comme c'est le cas aujourd'hui.
La deuxième observation, c'est que l'on va assister à une évolution du travail. La numérisation de l'économie va avoir un impact sur les cotisations sociales. Il y aura plus de travail indépendant, plus de chômage - ou en tout cas des carrières entrecoupées parce que moins salariées, moins organisées - et donc probablement une baisse tendancielle de la capacité à récolter de l'argent via les prélèvements sur le travail.
La troisième remarque est que les dépenses elles-mêmes sont hors de contrôle, les dépenses de santé et de sécurité sociale surtout. Quand on parle des finances publiques, on pense à l'État. Or, les dépenses de Sécurité Sociale depuis 20 ans augmentent 1,6 fois plus vite que les dépenses de l'État. Elles sont par ailleurs beaucoup plus importantes. Quand on regarde depuis 1960 l'évolution du risque vieillesse et du risque santé : c'était 5 % du PIB pour le risque vieillesse en 1960, aujourd'hui c'est à peu près 15 % ; pour la santé 5 % en 1960, aujourd'hui à peu près 11 %... donc 25 % du PIB environ en transfert qui ne sont destinés qu'aux retraités, en tout cas à 80 % (100 % pour le risque vieillesse et les trois quarts pour le risque santé).
Pour les autres risques - le chômage, la famille, la maternité, le logement et la pauvreté - on est passé de 5 % à 7 % du PIB, c'est donc faible. Ce qui a explosé, ce sont les dépenses liées aux transferts sociaux vers les plus âgés. Notre système de santé a connu un succès extraordinaire mesuré par l'allongement de la durée de la vie - on a gagné vingt ans - et aussi par le nombre de décès annuels. Depuis 1950, il y a en France le même nombre de décès par an, c'est-à-dire 550 000 environ. Mais il y a aujourd'hui 20 millions d'habitants de plus qu'il y a 60 ans. Le souci que l'on va avoir est que le baby-boom, qui est maintenant un papy-boom, va se transformer en papy-krach. La génération née après la guerre - entre 1945 et 1965 - va se retrouver, vers 2025, au moment du décès. Or, les dernières années de vie sont très coûteuses en termes de soins et de santé et on va passer de 550 000 décès par an à 650 000 en 2035 et 750 000 en 2045.
Que deviennent les comptes de la Sécurité Sociale dans ce contexte ? Lorsque l'on parle du vieillissement, on parle de la retraite. Tout le monde s'intéresse à l'équilibre des comptes de la retraite, mais on ne parle jamais des dépenses de santé. Le débat est en outre toujours posé avec l'idée que les retraités sont pauvres. Tout cela coûte très cher aux actifs car 75 % de ces systèmes de protection sont financés par le travail. Avec un coin fiscal français qui est beaucoup plus important que le coin fiscal allemand, cela a des conséquences sur le financement de l'économie et sur le fait que le patrimoine est très largement bloqué dans l'immobilier avec une valeur de l'immobilier qui augmente beaucoup et une liquidité de l'immobilier faible car détenu par des gens qui n'ont aucun intérêt à faire bouger leur capital.
Le résultat - et je reviens à mon point de départ qui était la crise, moment auquel on aurait pu se dire : « après tout, c'est le moment des comptes, on a vécu au-dessus de nos moyens, la génération du baby-boom a gentiment endetté la France, et d'ailleurs l'Europe, donc elle va payer ». Cette génération a en effet très bien vécu et tant mieux pour elle car elle est née dans des circonstances compliquées. Mais en 2008, une bulle éclate qui aurait pu être l'occasion de la redistribution entre les générations. Or on a fait tout l'inverse : on a préservé le patrimoine et on a préservé la valeur de la rente. Le résultat a été - peu en France et beaucoup en Europe du Sud - une explosion du chômage des jeunes, une politique de désendettement qui s'est faite très largement au détriment des investissements d'avenir et une politique expansionniste qui a fait monter significativement le prix des actifs détenus par ceux qui avaient du patrimoine, les retraités.
Quand j'ai sorti mon livre, j'ai fait le tour des politiques. Ils m'ont dit : « c'est très sympa ce que tu dis, sauf que les plus de 50 ans représentent 37 % de la population française, et 53 % des votants à l'élection présidentielle ».
En effet, et à l'élection législative, c'est plus, et aux élections municipales, c'est encore plus. On a donc un souci de démocratie. Sur ce sujet-là, le corps électoral va voter en fonction de ses intérêts - ce qui est normal - sauf que ces intérêts ne sont pas ceux de la nation, notamment à moyen et à long terme.
Que va-t-il se passer en matière de protection sociale compte tenu de ces enjeux ? Je pense qu'il va y avoir des conflits de répartition. Ensuite, le caractère universel de la protection sociale, et cela a déjà commencé depuis 10 ou 15 ans, va diminuer très rapidement. Par exemple, la politique familiale est devenue une politique sociale, avec d'ailleurs une conséquence assez évidente : la baisse de la natalité. Aussi les inactifs vont devoir payer plus, ce qui s'engage avec la hausse de la CSG.
Que peut-on faire ? Je pense qu'il faudrait que ce débat existe et qu'il soit posé de façon rationnelle. J'ai travaillé sur des sujets divers, dont certains suscitent l'hystérie, comme l'islam. Ce sujet de la lutte des âges suscite autant d'hystérie que le sujet de l'islam. On se fait insulter extrêmement vite par des gens qui nous disent : « on a travaillé toute notre vie ». C'est vrai, mais il faut penser à deux ou trois générations et ça c'est compliqué. Pourtant les chiffres sont là. Que va-t-il se passer ? L'assurance privée va se développer. Avec une baisse du caractère universel de la protection, on socialisera le bas de la pyramide et on privatisera le haut. C'est à peu près certain. Au début du prochain quinquennat émergera la prise de conscience de l'impasse du financement du système de santé, et peut-être un débat s'engagera. Quand on interroge les Français sur les valeurs de la République, la première citée est la Sécurité Sociale. C'est aussi un débat de compétitivité : si on veut rendre le travail plus compétitif - on a d'ailleurs d'extraordinaires poches de compétitivité -, si on veut rebattre les cartes, redistribuer l'argent entre les générations et trouver des solutions pour le financement des retraites, avec des besoins de liquidité du patrimoine des retraités...