Intervention de Hakim El Karoui

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 8 mars 2018 à 8h30
Audition de M. Hakim El karoui consultant auteur de la lutte des âges comment les retraités ont pris le pouvoir

Hakim El Karoui :

Sur les solutions, il y a des solutions démographiques, des solutions fiscales, des solutions politiques.

Les solutions démographiques consistent à augmenter le nombre d'actifs. Il y a trois leviers. Il faut que les jeunes travaillent plus vite et mieux. On a un énorme problème d'insertion des jeunes sur le marché du travail. On a un énorme problème de formation des jeunes, dont les formations sont souvent inadaptées aux besoins du marché du travail. Deuxième levier : les femmes. Le taux d'activité féminin en France est encore bas, notamment quand on le compare à l'Europe du Nord. Et ne croyons pas qu'une femme en plus qui travaille est un emploi en moins pour un homme, c'est un effet cumulatif. Troisième levier, pas forcément très populaire aujourd'hui : l'immigration. Les immigrés travaillent, ils ne viennent pas vivre aux crochets des Français et de prestations sociales. Ils cotisent beaucoup et coûtent très peu, parce que quand ils viennent, ils sont jeunes et bien portants.

Les solutions fiscales, on en a parlé, c'est la donation et la succession. Il y a des solutions financières, ça c'est pour répondre à votre objection : vous dites que quand on a un appartement que l'on a acheté 500 000 francs, qui vaut aujourd'hui 2 millions d'euros, on n'en fait rien. D'abord, les gens qui vont en profiter à votre décès vont en faire quelque chose, et puis vous avez un patrimoine extraordinaire. Il suffit de rendre liquide ce patrimoine. Et ça c'est très facile financièrement. Il y a plein d'instruments financiers qui permettent de faire la liquidité du patrimoine. Après, il faut le vouloir, et pour le vouloir il faut en avoir besoin. Quand on vous dit que c'est la collectivité et la solidarité nationale qui vont payer, eh bien vous ne rendez pas liquide votre patrimoine. Quand on vous dit qu'on ne peut plus payer, il en est autrement. Le viager intermédié est une façon de faire la liquidité du patrimoine. Toutes les solutions de l'ingénierie financière existent pour mettre de la liquidité sur un actif. Il faut une volonté politique et une contrainte économique. S'il n'y a pas la contrainte économique, on ne le fera pas.

Les solutions politiques, parce qu'en fait c'est le coeur du sujet. La démographie... et la démocratie. Je vous l'ai dit : il y a 52, 53, 54 % de votants de plus de 50 ans à l'élection présidentielle. À l'élection partielle de Belfort, je pense que l'on était aux environs de 75 % de plus de 50 ans. Je n'ai pas les chiffres précis, c'est un ordre de grandeur. La démocratie, mécaniquement, ne parvient pas à exprimer l'intérêt général. L'intérêt général de la France n'est pas qu'elle soit gouvernée dans l'intérêt des inactifs. Pas parce que ce sont des inactifs, mais parce que cette société a besoin d'activité. Or, d'une certaine manière on a un « sur-vote » des retraités et un « sous-vote » énorme des jeunes. Parce que les jeunes ne se reconnaissent pas dans la classe politique, parce que les jeunes sont dans l'individualisation des rapports sociaux. Ils regardent leur intérêt personnel. La difficulté à se projeter dans la collectivité, c'est celle des retraités qui disent qu'ils ont travaillé dur mais c'est aussi celle des jeunes. Ce qui me frappe beaucoup sur ce sujet, c'est que c'est un sujet privé, un sujet de discussion dans les familles. Les grands-parents s'inquiètent par exemple pour leurs enfants et petits-enfants qui ne réussissent pas à entrer sur le marché du travail, qui ne réussissent pas à entrer sur le marché du logement. Quand ils en ont les moyens, ils leur donnent un coup de main : pour le marché du travail, par un coup de fil ; pour le marché du logement par de l'argent, une garantie bancaire, etc. Mais qu'en est-il de ceux qui n'ont pas les grands-parents pour faire cela ? Il faut que cela devienne un sujet public, avec sa complexité politique car ce n'est pas populaire. Les retraites en 2003, ce n'était pas populaire. Il y avait eu dix ans de travaux, avec notamment la création du COR. J'écrivais les discours de Jean-Pierre Raffarin, et quand j'ai fait son discours au Conseil Économique et Social, on aurait pu reprendre sans le modifier le discours de Lionel Jospin quelques années plus tôt. Tout était là, sauf qu'il ne l'avait pas mis en oeuvre. Sur ces sujets-là, il y a un travail d'éducation, de mise à l'agenda, de diagnostic partagé. La situation aujourd'hui n'est pas du tout partagée. Or, il faut le faire, et votre travail y participe.

L'une des questions que je me suis posée est pourquoi les jeunes ne se sentent pas concernés ? Certes, ils se sentent peu concernés par la vie politique, mais ce sujet-là aussi ne les concerne pas. Vous vous souvenez des manifestations contre la réforme des retraites de Fillon ? Il y avait des jeunes dans la rue pour défendre les retraités. Cette solidarité intrafamiliale est formidable, mais ils manifestaient totalement contre leurs intérêts. Ils étaient manipulés par l'UNEF, car le sujet n'existe pas dans la conscience des jeunes actifs. Je pense qu'ils se sont dit : « de toute façon, c'est mort. On sait qu'on n'en aura pas ». Quand je vous dis qu'on va aller vers les assurances privées, on va y aller. On socialise le bas de la pyramide. On a déjà commencé il y a 10 ou 15 ans, le meilleur exemple en est la politique familiale. On est en train, au nom de la solidarité, de libéraliser et de changer le système social. On était dans un système universel, on est en train de passer dans un système libéral au sens des catégories des systèmes sociaux. Le système libéral est le système qui socialise le risque d'en bas. Et le reste c'est chacun pour soi, et c'est de plus en plus chacun pour soi. Cela a même été intégré par la nouvelle génération qui considère que de toute façon, elle n'aura pas de retraite.

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