Intervention de Katia Julienne

Commission des affaires sociales — Réunion du 14 mars 2018 à 10h05
Audition de Mme Katia Julienne candidate pressentie pour le poste de directrice de la haute autorité de santé en application de l'article l. 1451-1 du code de la santé publique

Katia Julienne, candidate au poste de directrice de la Haute Autorité de santé :

Je suis très honorée d'être proposée à ce poste et de me trouver devant votre commission. La HAS a de nombreuses missions qui sont principalement l'évaluation des produits de santé, la certification des établissements, l'élaboration de recommandations de bonnes pratiques et la garantie de la sécurité des soins. Elle est un organisme scientifique garant de la qualité de notre système de santé.

Je vous présenterai d'abord mon parcours et ce qui motive ma candidature. Depuis ma sortie de l'ENA en 2001, j'ai choisi de rejoindre le ministère des affaires sociales et de la santé. J'ai choisi d'exercer différentes fonctions pour bien connaître chaque segment de notre système de santé et, in fine, avoir une vision et une compréhension globales de l'ensemble de l'offre de soins.

Je suis passionnée par les questions sanitaires, médico-sociales et sociales et j'ai saisi chaque occasion d'exercer des fonctions me permettant de mieux les connaître, dans leur ensemble et dans chacun de ces secteurs. Pendant six ans à la direction de la sécurité sociale, notamment en qualité de sous-directrice en charge du financement du système de santé, j'ai beaucoup travaillé avec la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) et avec les professionnels de santé libéraux. J'ai acquis ainsi une bonne connaissance de l'ambulatoire et des négociations conventionnelles.

J'ai assisté à la mise en place du dispositif de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), dans le cadre de la convention médicale de 2011, et j'ai participé aux travaux qui ont vu évoluer la rémunération des pharmaciens d'officine. À cette époque marquée par la crise du Médiator, puis les Assises du médicament et la loi de 2011, j'étais chargée des produits de santé, ce qui m'a permis de bien connaître l'ensemble du dispositif, de l'accès au marché jusqu'à la fixation des prix.

J'ai également une bonne maîtrise du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam), puisque c'est à cette époque que le taux de croissance de l'Ondam a été fortement ralenti. J'ai pu mesurer l'importance et l'impact des mécanismes de régulation financière, mais aussi leurs limites.

J'ai ensuite rejoint la direction générale de la cohésion sociale au sein de laquelle j'avais déjà travaillé quelques années auparavant sur les questions de handicap, mais cette fois en qualité d'adjointe du directeur général. J'ai ainsi travaillé sur l'ensemble du secteur médico-social et social, y compris les personnes âgées ou les personnes en situation de handicap, au moment de l'élaboration et de l'examen de la loi d'adaptation de la société au vieillissement. Je me suis également penchée sur les questions sociales - la protection de l'enfance, notamment avec les départements, mais aussi l'hébergement d'urgence. J'ai collaboré avec les bailleurs sociaux, notamment dans le cadre du pilotage de la mise en place des diagnostics territoriaux dits à 360 degrés pour améliorer le parcours de prise en charge, depuis l'hébergement d'urgence à l'accès au logement.

Enfin, j'ai rejoint la direction générale de l'offre de soins, qui a une compétence large sur l'offre de soins, mais qui m'a surtout permis de bien connaître le secteur hospitalier dans toute sa diversité - je pense à la mise en oeuvre des groupements hospitaliers de territoire (GHT) et, plus récemment, au lancement du chantier de refonte du régime des autorisations sanitaires. J'ai ainsi piloté la mise en oeuvre de la réforme du financement des soins de suite et de réadaptation. En me déplaçant beaucoup sur le terrain, j'ai pu voir l'importance du lien entre les soins de suite et de réadaptation non seulement avec la MCO (médecine, chirurgie, obstétrique) et donc l'hospitalier mais aussi avec les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou encore les maisons de santé. J'ai constaté l'importance d'avoir toujours à l'esprit le lien entre l'hospitalier, le médico-social et le social.

J'ai également travaillé à la direction de la recherche, des études et de l'évaluation et des statistiques (Drees), ce qui m'a permis, chose rare pour un administrateur civil, de bien connaître les outils des politiques publiques - bases de données et indicateurs. J'ai participé à un certain nombre de publications sur les indicateurs. Ce moment important m'a permis d'échanger avec des scientifiques, et j'y ai pris beaucoup de plaisir. Il me semble très important, pour une personne chargée de l'élaboration et du pilotage des politiques publiques, de bien connaître les outils lui permettant de dresser un état des lieux et de mesurer aussi l'avancée de travaux qu'il peut conduire. Cette expérience m'a procuré une bonne connaissance et surtout une bonne compréhension et une vision panoramique et détaillée de l'ensemble du système sanitaire et social, mais aussi de percevoir les besoins d'articulation et les points de rupture. Je comprends combien les outils de mesure de la qualité et de la pertinence sont diversement développés du fait des diversités d'organisation et de contraintes dans les centres universitaires hospitaliers (CHU), dans un Ehpad ou dans une maison de santé pluri-professionnelle. Il est indispensable de conserver ses réflexes pour faire le lien entre ces champs. Je retire aussi de mon expérience qu'il est extrêmement important de préserver un dialogue continu avec l'ensemble des professionnels, des usagers, de tous les acteurs à la fois au plan national mais aussi de conserver une forte proximité avec le terrain pour répondre à ses attentes et l'aider à régler les problèmes auxquels il est confronté. C'est cette expérience qui m'amène devant vous, et qui, je pense, me permet d'être en mesure d'apporter quelque chose à la HAS.

La HAS a une place singulière et importante dans notre système de santé. Elle est reconnue pour sa contribution à la régulation par la qualité et s'appuie sur ses valeurs : la transparence, l'indépendance et l'expertise scientifique. C'est un organisme extrêmement légitime auprès des professionnels, mais aussi auprès du grand public. Les fondements de la HAS et sa reconnaissance ont généré un fort accroissement de ses missions. La LFSS pour 2018 prévoit l'intégration de l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements sociaux et médico-sociaux (Anesm) à la HAS en avril prochain, évolution extrêmement importante, mais je pense aussi à la télémédecine ou à l'article 51 sur les innovations organisationnelles, auxquelles elle doit participer également. Les enjeux de ces transferts de missions sont pour la HAS d'accroître cette transversalité entre les champs sanitaire, médico-social et social tout en préservant les spécificités de chacun de ces secteurs pour éviter une dilution de l'Anesm au sein de la HAS. C'est la raison pour laquelle son intégration s'accompagne de la mise en place d'une commission spécialisée mais aussi d'une direction spécifique. L'intégration de l'Anesm s'inscrit en cohérence avec la promotion d'un parcours de vie et de soins des patients et des usagers. Cela favorisera des travaux interdisciplinaires et transversaux. L'intégration de la politique d'évaluation de la qualité des établissements sociaux et médico-sociaux au sein de la HAS garantira sa visibilité et sa stabilité sur le long terme, d'autant que les missions de la HAS s'inscrivent dans un contexte marqué par le vieillissement de la population, le développement des maladies chroniques, mais aussi une contrainte financière très forte avec une volonté politique affirmée de garantir un égal accès aux soins - y compris les soins innovants - tout en renforçant la qualité et la pertinence tout au long du parcours de soins.

Dans les prochaines années, la HAS sera confrontée à deux enjeux transversaux. Le premier concerne l'accélération de l'innovation, mouvement qui impacte les produits de santé, notamment le médicament mais aussi le numérique avec la télémédecine et l'intelligence artificielle, l'innovation organisationnelle ou encore l'exploitation des big data. Le développement et l'accès aux innovations doivent concilier l'équité et la soutenabilité de notre système, notamment pour les produits de santé.

Second enjeu transversal, le renforcement de l'implication des patients est indispensable, d'une part parce que le patient doit être davantage partenaire des décisions qui le concernent, d'autre part parce qu'un patient plus impliqué dans un choix thérapeutique prend mieux en charge son comportement. La HAS y travaille déjà. Outre la participation des représentants d'usagers à la commission de la transparence, les associations d'usagers peuvent transmettre des avis - systématiquement pris en compte - dans le cadre de l'évaluation de chaque médicament débattue dans les réunions de cette commission. Cette initiative particulièrement intéressante peut aller au-delà des seuls produits de santé.

Première mission de la HAS, l'élaboration et la diffusion des recommandations de bonnes pratiques sont un levier majeur pour améliorer la qualité de la prise en charge ; la ministre l'a rappelé vendredi dernier dans le cadre des cinq chantiers de transformation du système de santé. Elles sont aussi un enjeu de régulation, en plus de la régulation par l'Ondam.

Elles seront aussi un enjeu dans le cadre de l'article 51 de la LFSS, qui instaure un mécanisme d'innovations organisationnelles, doté d'un fonds financier ; des acteurs de terrain pourront demander un soutien financier pour la mise en oeuvre de nouvelles organisations, de nouveaux modes de prise en charge ou de coordination entre la ville, l'hôpital et le médico-social. Ces innovations doivent favoriser le décloisonnement pour remettre le patient au coeur de sa prise en charge, mais elles doivent aussi être évaluées. La HAS devra définir, selon ses méthodes et en concertation avec les professionnels, dans un calendrier resserré, une batterie d'indicateurs de résultats, y compris du point de vue du patient en matière de pertinence.

Plusieurs défis sont devant nous : il faut favoriser et améliorer leur appropriation par les patients et les professionnels, quel que soit leur mode d'exercice, mais aussi être capable d'en mesurer les évolutions. La HAS a déjà beaucoup oeuvré pour rendre ses recommandations plus lisibles, plus accessibles pour les professionnels, mais le mode de communication doit encore être modernisé. Si nous voulons que ces outils soient bien appropriés, il faut déterminer les outils dont ont besoin concrètement les professionnels pour les aider au quotidien dans leurs pratiques, afin que chacun ait connaissance des recommandations, les mette en oeuvre, et échange avec ses pairs. Je crois beaucoup aux échanges entre pairs, ainsi qu'au ratio des pratiques : au-delà de la diffusion d'outils de bonnes pratiques, nous devons être en capacité de mesurer concrètement si ces pratiques changent, grâce à une bonne exploitation des données.

La deuxième mission concerne l'évaluation des produits de santé. La HAS a déjà conduit des évolutions importantes, comme la mise en place des rendez-vous précoces avec les industriels, le forfait innovation - même si ces deux exemples sont assez récents.

Parmi les points extrêmement importants qui ne concernent pas uniquement la HAS, la mise en place de la valeur thérapeutique relative (VTR) en lieu et place du service médical rendu (SMR) et de l'amélioration du service médical rendu (ASMR), suggérée par le rapport de Dominique Polton de 2015, renvoie à l'évolution des taux de remboursement, puisque les deux sont corrélés. La médecine personnalisée nécessite une gestion plus fine par indication, voire au-delà de l'indication. L'impact financier des innovations et leur accès, notamment sur la « liste en sus », est crucial. La liste en sus ne concerne pas que la médecine chirurgie obstétrique : l'accès aux molécules onéreuses se pose aussi pour l'hospitalisation à domicile, pour les soins de suite et de réadaptation, mais aussi dans le secteur médico-social, notamment dans les Ehpad. Comment mieux exploiter les données en vie réelle dans le cadre de l'évaluation, voire au-delà ? D'autres États se sont beaucoup engagés sur cette voie.

Plus spécifique à la HAS, la conduite d'évaluations médico-économiques est en cours de développement dans certaines institutions et pourrait être davantage encouragée. Il nous faut avoir une approche globale et la HAS - sans être la seule - a un rôle majeur.

Troisième mission, la certification des établissements de santé vise trois objectifs : la médicalisation, la simplification et l'évaluation par les résultats. Jusqu'à présent, l'accréditation a été très centrée sur les structures et les processus mais peu sur la pertinence médicale et sur les résultats de prise en charge. Cette première étape, indispensable, a fait progresser notre offre de soins. Nous devons maintenant la faire évoluer, notamment en termes de médicaments. Depuis la publication d'une ordonnance en début d'année, les agences régionales de santé (ARS) peuvent suspendre ou mettre fin à une autorisation en s'appuyant sur la certification de la HAS. Cette évolution extrêmement importante engage aussi l'évolution de la certification. Les indicateurs doivent être compréhensibles, proches des pratiques, lisibles par les acteurs de terrain qui doivent se les approprier. Portons l'évaluation sur des fondamentaux indiscutables. La capacité des équipes a progressé. Cette évolution a déjà commencé, doit concerner l'ensemble du parcours du patient, tout en sachant que l'hôpital ne représente qu'une partie. La construction d'un référentiel des parcours devient alors une mission essentielle, d'autant plus avec le lancement des expérimentations dans le cadre de l'article 51 qui proposeront de nouveaux modes de financement et dont il nous faudra mesurer la pertinence et les résultats. L'évaluation des GHT renforcera aussi la transversalité et nous devrons maintenir l'évaluation de chaque site et des parcours en lien avec les autorisations délivrées par les ARS.

Nous devrons revisiter certains chantiers en raison du contexte de forte évolution, comme les éléments du socle de qualité et de sécurité des activités autorisées. Ce travail a été engagé en décembre dernier. L'ensemble des autorisations - sanitaires - vont être revues au cours des prochaines années. La HAS doit aider les tutelles à revoir ce socle de qualité, qui doit être le fondement des autorisations qui seront délivrées. La Haute Autorité étudiera les modalités de mise en oeuvre de l'élaboration d'un cadre minimum commun de référence pour l'évaluation interne à chaque catégorie d'établissement social et médico-social mais dans une logique de convergence avec le dispositif de certification des établissements de santé. La HAS pourra instaurer une procédure pour s'assurer de la validité des rapports d'évaluation externe des établissements sociaux et médico-sociaux par des organismes habilités, par exemple par le biais de sondages ou en étudiant la qualité des rapports. La HAS construira ainsi des indicateurs de résultats sur chaque segment de l'offre mais aussi sur les parcours globaux des patients, en transversalité avec chacun de ces segments.

Pour répondre à ces défis, j'ai la faiblesse de penser que mon expérience peut être intéressante et vous assure de mon engagement, de mon énergie et de mon enthousiasme au service de la HAS et des pouvoirs publics.

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