Je suis très heureuse de venir vous présenter ce premier bilan d'action après un an de mandat. Il est essentiel que l'Autorité de la concurrence maintienne des liens avec le Parlement et que le Sénat puisse jouer son rôle dans l'orientation de l'action de cette autorité indépendante.
L'impact du développement des données sur la concurrence est un sujet majeur. Il s'agit de savoir si nous avons les moyens de faire face à la révolution économique fondée sur le numérique. Des ensembles considérables de données sont collectés, circulent et sont valorisés. Nous venons de rendre un avis sur la publicité en ligne qui porte principalement sur l'utilisation des données des consommateurs et leur valorisation par les agences de publicité, les annonceurs et les grands groupes comme Google et Facebook. Le recueil des données offre un avantage concurrentiel considérable dont des entreprises comme Google et Facebook ont su tirer avantage en occupant une place prépondérante sur le marché de la publicité en ligne, avec une augmentation de 12 % l'an dernier. Nous concentrons nos capacités d'analyse et d'investigation sur ces sujets nouveaux et complexes, en coopération avec nos collègues européens. L'étude conjointe que nous avions menée avec l'Allemagne, en 2016, sur le big data, est devenue une référence. Nous lancerons cette année une nouvelle étude conjointe avec nos collègues allemands sur les algorithmes. Nous pourrons ainsi décrypter en amont le cadre d'analyse concurrentiel et proposer une vision cohérente au niveau européen.
Faudra-t-il changer la loi française ? Certaines situations de concurrence remettent en cause la capacité de l'outil législatif actuel, de sorte qu'il faudrait envisager de compléter le code du commerce pour rétablir le bon fonctionnement concurrentiel entre les entreprises. L'Autorité de la concurrence devra par ailleurs relever de nouveaux défis technologiques pour identifier les infractions. Auparavant, il suffisait de courriers, d'e-mails, ou de preuves de réunion pour détecter les infractions de cartel. Désormais, beaucoup d'échanges empruntent uniquement la voie numérique et passent par des messageries cryptées. Nous ferons des propositions au Gouvernement pour adapter la loi sur ce point.
En ce qui concerne les pratiques prohibées qui relèvent du domaine d'intervention de la DGCCRF, le Gouvernement ne baissera pas la garde dans le projet de loi issu des États généraux de l'alimentation (EGA). Au contraire, il renforcera le niveau de dissuasion et l'Autorité de la concurrence développera sa coopération avec la DGCCRF en prévoyant des cas de rejet de saisine pour favoriser l'intervention de la direction générale lorsqu'elle sera mieux placée pour agir au vu de ses outils sur les pratiques restrictives.
Voilà plusieurs années que nous nous préoccupons de concilier le droit de la concurrence et le secteur agricole. Le règlement Omnibus, adopté récemment, a changé les règles de manière fondamentale, en accordant de nouvelles prérogatives aux organisations de producteurs (OP) et aux associations d'organisations de producteurs (AOP). Qu'il s'agisse de planifier la production, d'en optimiser les coûts, de s'accorder sur les prix du marché et même sur les volumes de ventes, tout cela est désormais possible au niveau européen. Il nous a semblé préférable de supprimer les exceptions qui existaient jusqu'alors, afin que tous les produits agricoles soient traités de la même manière.
Nous venons de recevoir une demande d'avis de la part du Gouvernement qui souhaite établir une cartographie de l'application du droit de la concurrence au secteur agricole afin de nourrir le projet de loi issu des EGA. Nous y travaillons.
Comment le commerce en ligne affecte-t-il les conditions de concurrence dans le secteur de la distribution ? De nouveaux acteurs, comme Amazon, qui se sont développés sur une base de pure players dans la vente en ligne, s'intéressent désormais aux magasins. Nous avons des échanges réguliers avec les acteurs de la distribution. Les gouvernants doivent toujours tenir compte de la proportionnalité des règles lorsque de nouvelles pratiques de vente voient le jour. On l'a vu avec le développement d'Uber ou d'Airbnb : le Parlement a été très sollicité pour l'encadrer par de nouvelles règles.
Pour ce qui est de la distribution, nous avons adapté notre logiciel concurrentiel en considérant qu'il fallait y intégrer la vente en ligne pour avoir une vision plus juste du jeu concurrentiel. Dans notre avis « Fnac-Darty » de 2016, nous avons établi que l'évolution de la vente des produits électroniques était telle qu'on ne pouvait plus séparer vente en magasin physique et vente en ligne. Nous avons donc recommandé que l'évaluation de la concurrence ne se limite pas seulement aux magasins physiques, mais prenne aussi en compte la vente en ligne. Certains distributeurs nous ont indiqué être soumis à des contraintes urbanistiques très lourdes pour élargir leurs magasins, alors que les acteurs de la vente en ligne sont beaucoup plus agiles. De la fusion entre le physique et le digital est né le « phygital ». Jusqu'où ira cette fusion ? Quelles seront les stratégies d'entreprises ? Amazon a déjà commencé à racheter des grands distributeurs physiques aux États-Unis. La même chose se produira-t-elle en France ? Dans cette période de transition, l'égalité des conditions de concurrence est un vrai sujet qui nécessite que l'on intervienne sur le plan fiscal.
Quant au droit des concentrations d'entreprises, nous avons travaillé à en simplifier les procédures depuis quelques mois, en concertation avec les acteurs. Cependant, notre intervention dans ce champ doit rester proportionnée à des problèmes de concurrence. Faut-il créer un nouveau cas de contrôle des concentrations pour des entreprises qui ont une valeur économique forte mais pas de chiffre d'affaires ? Le rachat de WhatsApp par Facebook pour 20 milliards d'euros a montré la nécessité de créer un cadre de contrôle ex-post très ciblé qui ne dépende pas du chiffre d'affaires des entreprises concernées.
L'un des objectifs de l'Autorité de la concurrence est de détecter les pratiques anti-concurrentielles dans tous les secteurs de l'économie. L'an dernier, ces pratiques se sont maintenues à un niveau élevé, même dans les grandes entreprises bien informées des règles de concurrence. Nous avons prononcé une sanction de 300 millions d'euros à l'encontre d'un cartel dans les revêtements de sols, grâce auquel des entreprises s'étaient entendues pendant des années pour définir les prix, les stratégies commerciales et pour ne pas communiquer sur leurs performances environnementales. Nous devons continuer à nous montrer vigilants. Nous avons également sanctionné Engie pour abus de sa position dominante et ses pratiques de dénigrement des nouveaux entrants dans le secteur du gaz. Le montant total des sanctions que nous avons appliquées l'an dernier est de 500 millions d'euros. Ces sanctions sont proportionnées à la gravité de l'infraction. Nous collaborons avec la Commission européenne pour maintenir notre niveau d'enquête et pour développer des procédures négociées avec les entreprises. Depuis que la transaction a été intégrée dans notre droit, en 2015, avec la loi Macron, les entreprises y ont facilement recours, ce qui a contribué à diminuer les recours devant la cour d'appel.
En ce qui concerne la tendance à la hausse des opérations de concentration, l'Autorité de la concurrence en a autorisé 233 l'an dernier. Les dossiers sont de plus en plus nombreux à faire apparaître des problèmes de concurrence. Ainsi, dans le cadre d'un rapprochement de cliniques privées, nous avons dû demander des engagements pour éviter que les patients aient à subir une augmentation des frais d'hospitalisation et soient assurés que la qualité des soins se maintienne.
L'Autorité de la concurrence reste investie dans sa mission consultative, avec cette année un avis sur l'agriculture, mais aussi sur des problématiques de santé comme la distribution ou la fixation des prix des médicaments. Nous avons également rendu un avis sur la publicité en ligne et un autre sur les audioprothèses dont les prix élevés faisaient qu'un Français sur deux ne s'équipait pas. Le Gouvernement a repris notre proposition sur l'augmentation du numerus clausus des audioprothésistes, de sorte que de nouveaux acteurs ont pu s'installer sur le marché, comme les fabricants de lunettes qui se mettent à vendre des audioprothèses.
Nous continuerons à favoriser le recours à la transaction avec les entreprises. Nous maintiendrons la priorité donnée aux sujets numériques, avec la création d'une unité numérique dédiée que nous devons évoquer prochainement avec le Gouvernement. Récemment, en travaillant sur le cas des deux plateformes Se loger et Logic-immo, nous avons pu mesurer combien l'évaluation des effets de la concurrence dans le cas d'un rapprochement d'entreprises numériques nécessitait des données techniques et des méthodologies particulières.
La coopération européenne en matière de concurrence est un modèle unique au monde. Nous avons développé un mécanisme de subsidiarité très sophistiqué entre les autorités nationales - et particulièrement l'Autorité de la concurrence - et la Commission européenne qui se traduit par des échanges nourris. La mise en commun de nos efforts est particulièrement efficace dans le domaine du numérique, car aucun pays européen n'échappe à la publicité en ligne. Nous avons développé des groupes de travail spécialisés pour identifier les problèmes de concurrence propres à ce secteur.
Nous ferons des propositions au Gouvernement pour réformer notre procédure, afin qu'elle reste efficace et rapide. Les instructions contentieuses prennent trop de temps. Il faut réduire les délais si nous voulons rester pertinents par rapport au temps de l'économie.