Je suis honoré d'avoir été invité à vous faire part de mes réflexions et de répondre à vos questions.
Je veux commencer par quelques remarques de méthode, afin de préciser le cadre dans lequel j'ai effectué ma mission.
J'ai été chargé de préparer non pas un rapport, mais une note à usage interne, dite « note stratégique », pour formuler des propositions sur la base de mon expérience personnelle, sans procéder à une sorte de tour du monde qui aurait consisté à aller visiter tous les instituts et toutes les alliances.
Comme vous le savez, les autorités françaises, et tout particulièrement le Président de la République, ont l'intention de s'exprimer sur ce sujet, ainsi que sur la question plus générale de la promotion de la langue française à l'étranger. Les propos que je tiendrai devant vous aujourd'hui sont surtout le fruit de ma réflexion personnelle.
Enfin, une mission avait également été confiée aux trois inspections des ministères des affaires étrangères, de l'éducation nationale et de l'intérieur sur la situation financière et comptable de la Fondation Alliance française, et les rapports de cette fondation avec les différents acteurs de l'action culturelle extérieure de la France.
Mon rôle était de voir comment améliorer l'efficacité du réseau culturel, notamment dans une perspective de rapprochement entre les alliances françaises, d'une part, et l'Institut français et les Instituts français locaux, d'autre part.
Je commencerai par dresser quelques constats avant de vous faire part de mes propositions.
Je veux d'abord évoquer la spécificité du réseau français. La loi du 27 juillet 2010 qui a défini les objectifs, les missions et les instruments de la diplomatie culturelle française évoque « le réseau culturel français », alors qu'il est en réalité composé de deux éléments de nature différente et ayant chacun sa dynamique propre : d'un côté, le réseau placé sous la tutelle de l'État, c'est-à-dire les instituts français, l'Institut français à Paris et diverses agences dans les domaines culturel, scientifique et éducatif ; de l'autre côté le réseau, dynamique, des alliances françaises, qui est formé d'associations de droit privé.
Les instituts français sont au nombre de 98, couvrant une centaine de pays, alors qu'on dénombre 835 alliances françaises - la dernière vient d'être créée à Tunis à l'occasion de la visite du Président de la République. Comment faire cohabiter ces deux réseaux, alors que l'État a toujours la tentation de prendre une part de plus en plus forte dans la tutelle des alliances françaises ? L'État a toujours souhaité que le réseau, qui a commencé à exister dans les années 1880-1890, soit libre et fort, parce qu'il était le meilleur critère de la force de la francophonie et de la francophilie dans le monde. Le fait que le réseau des alliances françaises continue à bien se porter montre que l'influence de la culture française est encore très forte. L'idée, soutenue par certains, d'intégrer les alliances françaises dans un seul et unique réseau sous la tutelle de l'État français n'a pas beaucoup de sens. Le réseau des alliances françaises, né d'initiatives privées, ne peut pas être mis sous le contrôle de l'État français, car les présidents d'alliance française ont leurs propres idées et veulent prendre des initiatives. Il faut accepter la réalité telle qu'elle existe sur le terrain et faire en sorte que ces deux réseaux vivent en bonne entente et de manière complémentaire.
Mon dernier constat porte sur l'utilité de travailler ensemble. En réalité, au niveau local, les deux réseaux parviennent assez bien à s'entendre, même si des progrès peuvent être réalisés. Les deux réseaux ont un intérêt commun à travailler ensemble : les ambassades avec les Instituts, d'un côté, et les alliances françaises, de l'autre, cherchent en permanence les moyens de collaborer du mieux possible.
Il faut tenir compte d'une réalité très forte sur le terrain : le réseau des alliances françaises est extraordinairement hétérogène. Il existe de grandes alliances - songez à celle de New York, et à celles qui existent au Mexique, en Colombie, au Brésil ou ailleurs qui sont des maisons extrêmement fortes, dotées de moyens considérables, rivalisant sans peine avec certains de nos instituts français, voire les dominant. Des alliances de taille moyenne peuvent aussi jouer un rôle important dans le rayonnement culturel et linguistique de notre pays. Enfin, il ne faut pas négliger le rôle que de toutes petites alliances peuvent jouer sur telle partie du territoire d'un pays ; elles des besoins différents.
Au niveau central, celui des hiérarchies - Fondation Alliance française, d'un côté, État, de l'autre - et des acteurs qui se situent entre les deux - en particulier l'Institut français, qui est un établissement industriel et commercial -, les difficultés sont encore plus grandes pour trouver le bon équilibre dans la coopération. Ce phénomène n'est pas nouveau : je me souviens que, lorsque j'ai eu l'occasion de m'occuper de ces dossiers dans le courant des années 1990, les rapports étaient déjà compliqués et il était difficile de définir le terrain d'action de chacun et les complémentarités qui pouvaient exister. La situation s'est encore compliquée avec la mise en place, depuis la réforme de 2007, de la Fondation Alliance française, qui a essayé de trouver sa place au milieu de ce paysage institutionnel déjà très complexe. À cela s'ajoute le contentieux qui s'était développé entre la Fondation Alliance française et l'Alliance française Paris Île-de-France. Cette dernière a en effet considéré que le transfert de son patrimoine à la Fondation, à la suite de la création de cette dernière, l'avait privée d'une grande partie de ses ressources, d'autant qu'elle doit également verser un loyer annuel, ce qu'elle a refusé de faire au cours des dernières années. Ce contentieux devrait cesser, puisque, selon mes dernières informations, le président de l'Alliance de Paris, Jean-Jacques Augier, a décidé de payer les arriérés de loyer, en espérant que les pouvoirs publics prendront une position définitive et ferme sur ce différend.
Voilà les constats à partir desquels j'ai formulé un certain nombre de propositions aux autorités françaises, à charge pour elles de décider maintenant si elles veulent aller de l'avant. Il faut différencier le niveau local et le niveau central.
Au niveau local, première proposition, il me semble important que l'ambassade, au travers de l'ambassadeur et du conseiller culturel, développe des relations plus structurées avec les alliances françaises. Je pense aux conventions passées entre les ambassades et les alliances françaises locales, qui ne doivent plus être seulement l'occasion d'exposer des principes et des voeux pieux, mais surtout de monter des actions précises et détaillées dans le domaine culturel et linguistique, fondées sur des moyens financiers apportés par l'ambassade. Il faut aussi travailler plus régulièrement avec les présidents des conseils d'administration des alliances françaises locales. Plusieurs d'entre eux m'ont fait part de leurs regrets de ne pas avoir assez de contacts avec les ambassades. Un véritable effort doit être fourni en ce sens. Il faut, enfin, que les ambassadeurs lancent des actions en direction de la communauté francophone de leur pays de résidence, en collaboration avec les alliances françaises, mais aussi avec les représentants des pays membres de la francophonie et d'autres institutions ou associations qui peuvent être des véhicules de l'influence française. La francophonie doit être beaucoup plus vivante.
Ma deuxième proposition concerne les subventions que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères accorde aux alliances françaises. Elles ne sont pas négligeables, puisqu'elles s'élèvent à plus de 30 millions d'euros, et recouvrent, pour l'essentiel, le détachement de 280 personnels dans 220 alliances - délégués généraux et directeurs. Par ailleurs, de 3 à 4 millions d'euros sont consacrés au soutien de projets concrets d'action dans les pays tiers. À l'heure actuelle, ces crédits sont délégués à la Fondation Alliance française, à charge pour elle de les répartir. Il serait de bien meilleure politique, et d'ailleurs probablement plus conforme aux règles de notre comptabilité publique, d'affecter ces crédits à nos ambassadeurs, qui auraient la charge de les répartir entre les alliances, en bonne entente avec la Fondation et avec les délégués généraux, les directeurs et les présidents des alliances locales. C'est, à mon avis, une manière plus efficace de parvenir à des collaborations entre les alliances locales et l'ambassade pour mener des projets très concrets, financés par l'argent de l'État.
Troisième proposition, il me semble nécessaire de professionnaliser davantage le personnel des alliances françaises, en tout cas celui que nous finançons, c'est-à-dire les délégués généraux - ils sont aujourd'hui environ une cinquantaine - et les directeurs. Nous avons fait un effort ces dernières années pour professionnaliser les conseillers culturels et de coopération, en opérant une meilleure sélection répondant à des critères plus rigoureux, en offrant une formation au moment de la prise de poste et au cours de leur mandat. Il faut mener une démarche similaire avec les délégués généraux et les directeurs d'alliance pour que ces personnels aient désormais un profil plus professionnel que cela n'a pu être le cas dans le passé.
Au niveau central, la réflexion doit porter sur les quatre acteurs importants : l'État, la Fondation Alliance française, l'Alliance de Paris et l'Institut français. Pour l'État, tous les interlocuteurs avec lesquels j'ai pu échanger attendent du ministère des affaires étrangères qu'il donne, encore plus qu'il n'a pu le faire jusqu'à présent, la vision stratégique ou, à tout le moins, les grands objectifs prioritaires, à la fois géographiques et sectoriels, pour l'ensemble des acteurs du réseau.
Le conseil d'orientation stratégique prévu dans la loi de 2010 est co-présidé par le ministre des affaires étrangères et celui de la culture. Nous aurions d'ailleurs intérêt à y associer plus souvent les ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, qui ont également un rôle à jouer dans ce domaine et qui devraient devenir des acteurs naturels de notre action culturelle extérieure. Le ministère des affaires étrangères doit rester le chef de file dans ce domaine car c'est lui qui a la vision d'ensemble. Il doit veiller à mieux définir, année après année, les orientations stratégiques de notre action culturelle extérieure en y associant ses partenaires. C'est la suite logique de ma proposition de déléguer les crédits à nos ambassadeurs, qui doivent être encore davantage les pilotes de notre réseau culturel dans les pays tiers.
La Fondation Alliance française a été contestée, en particulier en raison de ses difficultés financières. Son ancien président s'est retiré, avec une partie du conseil d'administration. Un nouveau président a été nommé, qui s'efforce d'assainir la situation.
Deux questions se posent. Quelle mission confier à cette fondation ? Quel statut et quels moyens lui donner ?
Mon sentiment est qu'il convient de recentrer sa mission sur son rôle de tête de pont du réseau des alliances françaises. Jérôme Clément, son ancien président, avait fait un travail considérable en ce domaine, pour défendre la marque « Alliance française » et veiller à ce que ce label soit décliné à des entités sérieuses. Il faut être présent en cas de recours concernant la marque. Il faut, enfin, animer et gérer le réseau.
La tête de réseau devra avoir une dimension beaucoup plus participative que par le passé. Actuellement, le conseil d'administration de la Fondation est composé d'une dizaine de personnalités qualifiées et de seulement deux représentants du réseau des alliances. Il faudrait inverser cette logique : ce conseil devrait être majoritairement composé de représentants des alliances locales, avec un nombre beaucoup plus limité de représentants de l'État.
Cette structure doit donc être plus souple et légère, et veiller à faire participer davantage les alliances françaises au sein du réseau dans son ensemble.
Faut-il garder le statut de la Fondation ou passer à autre chose ? Les deux options ont leur intérêt.
Si l'on devait conserver la Fondation, elle se retrouverait dans des vêtements très larges, mon souci étant de la recentrer sur son coeur de métier'. Il n'est en effet plus nécessaire de lui confier de missions particulières, par exemple en matière de formation à la langue française, dès lors que de nombreux autres acteurs s'en occupent déjà. Nous devons concentrer nos efforts là où existe une véritable expertise : les agences relevant de l'éducation nationale, l'Alliance française Paris Île-de-France, l'Institut français. Nous avons intérêt à resserrer notre dispositif autour de quelques grands acteurs reconnus, plutôt que de multiplier les interventions en matière de formation à la langue française.
Si l'on fait le choix de maintenir la Fondation, il faut être conscient de la nécessité de réduire ses moyens et son personnel, afin que son statut soit plus conforme à sa mission recentrée et ramenée à l'essentiel : la gestion et l'animation du réseau.
Dans mon esprit, il faut également recentrer l'Alliance française Paris Île-de-France sur son rôle essentiel d'école de langue et lui permettre de rendre ses activités rentables, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle, et donc de retrouver une assise financière solide.
Enfin, nous devons nous accorder sur le rôle que doit jouer l'Institut français, celui de maître d'ouvrage délégué : une agence qui fait travailler ensemble les nombreux opérateurs des domaines éducatif, culturel et linguistique sur la base des demandes provenant du réseau des instituts et de celui des alliances, ainsi que le prévoit la loi de 2010. Il s'agit donc d'un opérateur qui fait essentiellement de la prestation de services. Cela signifie qu'il doit s'ouvrir aux acteurs interministériels, travailler avec les uns et les autres, être plus ambitieux en termes de collecte de ressources financières. Compte tenu de la limitation des crédits publics, il faut être plus offensif pour obtenir, via le mécénat entre autres, davantage d'apports. Après tout, les instituts français ont su, au niveau local, développer considérablement leur autofinancement, lequel représente aujourd'hui près de 70 % du total de leurs recettes ; ce pourcentage est encore plus important, au-delà de 90 %, pour les alliances françaises.
L'Institut français doit, comme il a su le faire dans le passé, relancer cet effort de recherche auprès d'autres contributeurs financiers que l'État.